Actions de groupe : un nouveau dispositif en matière de discrimination au travail
9 mai 2017
La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle prévoit, en parallèle du cadre commun aux actions de groupe qu’elle a étendu, un dispositif spécifique en matière de discrimination au travail à l’égard des salariés, des candidats à un emploi, à un stage, ou à une période de formation en entreprise.
L’action de groupe, inspirée des « class action » du système anglo-saxon, a été introduite en droit français par la loi Hamon du 17 mars 2014. Elle permet à un requérant d’exercer pour le compte de plusieurs individus une action en justice dans les domaines de la consommation, de la santé et désormais en matière de discrimination dans le cadre professionnel (certaines modalités de mise en œuvre seront précisées par un décret à paraître).
Une action réservée aux syndicats représentatifs et aux associations agréées
Cette action peut être engagée par les organisations syndicales représentatives ou par les associations pour la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap, constituées depuis au moins cinq ans. Cependant, les associations ne peuvent initier une action qu’en faveur des candidats, à l’exclusion des salariés. Les syndicats représentatifs conservent ainsi un monopole.
En réalité, les outils du droit du travail permettaient déjà la défense des salariés et des candidats à un emploi ou à un stage victimes d’une discrimination. La nouveauté introduite par l’action de groupe est la faculté de regrouper en une seule requête l’action pour le compte de victimes ayant subi une discrimination directe ou indirecte fondée sur un même motif à l’encontre d’un même employeur. Les individus ont ensuite la faculté d’adhérer au groupe postérieurement au jugement pour en bénéficier (sous réserve de réunir les critères de rattachement et dans le délai fixés par le juge).
L’action de groupe en matière de discrimination au travail vise à faire cesser « le manquement » allégué et le cas échéant à permettre la « réparation des préjudices subis ». Sont concernées par cette action de groupe toutes les discriminations prohibées par le Code du travail.
La mise en demeure préalable à la phase judiciaire
Lorsqu’une discrimination collective est alléguée, l’organisation syndicale représentative ou l’association qui souhaite intenter une action de groupe doit demander, avant la saisine de la juridiction, à l’employeur de faire cesser la situation de discrimination collective (concernant au moins deux victimes). Dans un délai d’un mois à compter de la réception d’une telle demande, l’employeur a l’obligation d’en informer le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, ainsi que les organisations syndicales représentatives au sein de l’entreprise.
Le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, ou une organisation syndicale représentative au sein de l’entreprise, peut demander à l’employeur d’engager « une discussion sur les mesures permettant de faire cesser la situation de discrimination collective alléguée » (avec le risque -difficilement maîtrisable- que l’adoption de mesures soit interprétée comme la reconnaissance de la discrimination sur la période antérieure).
De l’introduction de l’action de groupe à l’indemnisation par l’employeur
L’action de groupe ne peut être engagée devant le Tribunal de Grande Instance (dans le secteur privé) qu’à l’issue d’un délai de six mois à compter de la demande tendant à mettre un terme à la discrimination collective ou immédiatement après la notification par l’employeur du rejet de la demande formulée, par le syndicat représentatif et/ ou l’association compétente.
Dans le cadre de cette procédure, si la discrimination est constatée, le juge pourra enjoindre à l’employeur, sous astreinte, toutes les mesures visant à mettre un terme à cette discrimination.
En ce qui concerne la demande de réparation, l’indemnisation des salariés victimes de la discrimination est limitée aux préjudices nés après la notification de la mise en demeure dans la phase pré-contentieuse. L’action en faveur des candidats, elle, est susceptible de couvrir l’intégralité de leur préjudice.
En cas de constatation de la discrimination, le juge définit la composition du groupe en fixant des critères de rattachement, les préjudices susceptibles d’être réparés par catégorie de plaignants ainsi que le délai d’adhésion pour se prévaloir du jugement. La demande en réparation à la suite de ce premier jugement s’exerce directement auprès de l’employeur condamné ou du demandeur. En cas de difficulté, les individus devront introduire devant le même Tribunal une action individuelle pour obtenir la condamnation.
Une source potentielle d’augmentation des contentieux en matière de discrimination
L’action de groupe en droit du travail échappe donc à la compétence du Conseil de Prud’hommes. Mais elle n’impacte pas la faculté des salariés de saisir individuellement la juridiction prud’homale que ce soit pour des demandes portant sur le même objet ou s’agissant des préjudices qu’ils estiment avoir subis avant la notification de la mise en demeure. Le salarié devrait nécessairement augmenter ses chances de succès en utilisant les éléments de la phase pré-contentieuse ou le résultat judiciaire de l’action de groupe. De plus, celle-ci a pour effet de suspendre la prescription des actions individuelles pour des faits de même nature.
Cette nouvelle action risque de modifier les pratiques : d’une part en permettant aux salariés et aux candidats de mutualiser les frais d’une procédure judiciaire et de bénéficier des résultats d’une procédure qu’ils n’auraient pas engagée seuls face à l’employeur, augmentant ainsi le risque de contentieux. D’autre part, une telle action et/ou la menace de celle-ci pourraient être également exploitées par les syndicats à l’occasion des négociations obligatoires (égalité homme-femmes, travailleurs handicapés, etc.) ou pour bénéficier d’une plus grande visibilité à l’égard des salariés afin de renforcer leur influence.
Cette nouvelle action est à rapprocher des évolutions récentes en matière de discrimination au travail (nouveaux critères, renforcement de la lutte contre les discriminations notamment dans le cadre du dialogue social, aménagement de la charge de la preuve, etc.) et devrait inciter les entreprises à être vigilantes sur leur pratique et à développer, quelle que soit leur taille, leurs actions de prévention et de lutte contre toutes formes de discriminations dans les relations de travail.
Auteur
Maïté Ollivier, avocat en droit social
Actions de groupe : un nouveau dispositif en matière de discrimination au travail – Article paru dans Les Echos Business le 4 mai 2017
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