Aides d’Etat et règlementation sur les aides de minimis
La réforme des aides de minimis touche directement les groupes de sociétés. En matière fiscale, de nombreux dispositifs de faveur (exonérations, crédits d’impôt, etc.) sont, même si la loi ne l’indique pas, considérés comme des aides d’Etat par le droit européen.
La Commission devrait publier, dans les mois qui viennent, une communication sur la notion d’aide d’Etat (actuellement sous forme de projet soumis à consultation publique) dans laquelle elle synthétiserait sa ligne de conduite pour apprécier si une mesure fiscale doit ou non être considérée comme une aide.
Ces aides doivent théoriquement être notifiées par les Etats membres à la Commission avant leur mise en œuvre. Toutefois, pour éviter des formalités administratives trop nombreuses, la Commission a adopté un certain nombre de règlements dits « d’exemption » qui dispensent des formalités de notification les régimes d’aides, notamment fiscales, qui remplissent les critères posés dans ces règlements. Il existe notamment un règlement pour ce qui concerne les aides de faible montant, dites de minimis, auquel de nombreux dispositifs fiscaux prévus dans le CGI sont expressément soumis.
Jusqu’à présent, les règles de minimis en vigueur figuraient dans le règlement 1998/2006 dont la durée d’application était limitée au 31 décembre 2013. La Commission a donc adopté le 18 décembre 2013 un nouveau règlement qui est entré en vigueur au 1er janvier 2014 (Règlement du 18 décembre 2013, n° (UE) 1407/2013, publié au JOUE L 352 du 24 décembre 2013).
Ce nouveau règlement s’inscrit dans le cadre d’une réforme plus globale des règles relatives aux aides d’Etat annoncée par la Commission en mai 2012 et qui va également donner lieu à la révision d’autres règlements d’exemption et lignes directrices en matière d’aides d’Etat. Cette révision va notamment concerner le règlement général d’exemption par catégorie n° 800/2008 (RGEC) qui régit, entre autres, les aides à finalité régionale, les aides à l’investissement et les mesures de capital risque en faveur des PME, dont la nouvelle version est annoncée pour juillet 2014.
Le plafond des aides de minimis
Le plafond posé par le règlement demeure fixé à 200 000 € par Etat membre et par entreprise sur trois exercices fiscaux, malgré les demandes de certains Etats membres dont la France de le porter à 500 000 € (article 2, § 2). La période de trois ans est spécifique à chaque entreprise en fonction de sa propre date de clôture. En revanche, pour savoir à quelle période se rattache une aide donnée, c’est la « date d’octroi de l’aide » qu’il convient de prendre en considération, celle-ci étant définie comme celle à laquelle le droit légal de recevoir l’aide est consacré selon le régime juridique national applicable (article 3, § 4). Cette définition ne coïncide pas toujours avec la date de versement de l’aide, qui peut être décalée dans le temps. En matière fiscale par exemple, pour les impositions recouvrées par voie de rôle, la jurisprudence estime que la date à retenir est celle de l’avis de mise en recouvrement. Toutefois, des difficultés peuvent surgir lorsque l’impôt est liquidé spontanément par le contribuable et que l’exonération à laquelle il a droit le conduit précisément à ne procéder à aucun versement effectif.
Un seuil de 100 000 € est introduit pour les entreprises de transport de marchandises par route pour compte d’autrui. Les aides aux entreprises du secteur de la pêche et celles actives dans la production primaire de produits agricoles sont soumises à un règlement spécifique.
Par ailleurs, le règlement introduit également des règles spécifiques de répartition des aides déjà reçues en cas de fusion ou de scission (art. 3, §§ 8 et 9). L’objectif de ces règles est de s’assurer que les aides de minimis ayant déjà bénéficié à l’unité économique concernée par l’opération seront bien prises en compte dans le calcul du plafond de 200 000 € en cas d’attribution d’une nouvelle aide postérieurement à l’opération. On ne peut donc que recommander, en cas d’opération de restructuration d’entreprise, d’arrêter un solde des aides de minimis à la date de l’opération. A cet égard, précisons qu’indépendamment des aides fiscales, de nombreuses formes d’intervention publique entrent également dans le champ d’application de ce règlement. Le calcul du solde doit donc intégrer toutes les autres aides de minimis qui auraient pu être perçues par l’entreprise sous quelque forme que ce soit (exonération de charges sociales, subvention des collectivités locales, etc.)
Le périmètre d’appréciation du plafond
C’est la principale nouveauté du règlement qui précise que ce seuil s’apprécie par « entreprise unique », c’est-à -dire en réalité au niveau du groupe.
L’article 2, § 2, du règlement donne une définition de l’entreprise unique qui oblige à prendre en compte, pour le calcul des seuils, les entreprises auxquelles cette entreprise est liée lorsque tel est le cas ((la définition de la notion d’« entreprise liée » est identique à celle retenue par le règlement n° 800/2008 pour l’appréciation de la notion de PME).
Pour l’appréciation du seuil de 200 000 €, il convient donc d’agréger toutes les entreprises qui entretiennent entre elles directement ou indirectement l’une des relations suivantes :
- Détention de la majorité des droits de vote (directement ou via un pacte d’actionnaires) ;
- Droit de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance ;
- Droit d’exercer une « influence dominante » en vertu d’un contrat ou d’une clause statutaire.
Pour la Commission, cette nouvelle définition de « l’entreprise unique » n’est qu’une clarification de l’état du droit relatif à l’interprétation de la notion d’entreprise tel qu’il résultait déjà de la jurisprudence de la CJUE. En effet, dans un arrêt du 13 juin 2002 (CJCE, 13 juin 2002, Commission c/ Pays-Bas, C-382/99), la Cour avait déjà jugé que l’appréciation du plafond de minimis devait s’apprécier de manière consolidée en englobant toutes les entreprises contrôlées en droit ou en fait par le bénéficiaire de l’aide.
Toutefois, on sait que plusieurs Etats membres dont la France n’appliquaient pas cette interprétation de la notion « d’entreprise » et considéraient que le seuil de 200 000 € s’appliquait par entité juridique bénéficiaire. Ce point a d’ailleurs expressément été soulevé par la France dans ses réponses à la consultation publique organisée par la Commission sur le projet de nouveau règlement et la Commission en était d’ailleurs parfaitement consciente.
Conséquences fiscales du nouveau périmètre
Même si, en théorie, la nouvelle définition de l’entreprise unique n’est que la consécration textuelle de la jurisprudence de la Cour et est donc censée avoir toujours existé, la probabilité de voir la Commission européenne remettre en cause sur ce fondement les aides de minimis octroyées par le passé paraît assez faible. En effet, elle précise dans le règlement que le but de ces nouvelles dispositions est d’énoncer des critères clairs et exhaustifs afin d’assurer la sécurité juridique, ce qui a contrario permet de considérer qu’elle estime que le droit positif n’était antérieurement pas clair sur cette question.
S’agissant de la possibilité, pour l’administration, de fonder des redressements relatifs aux aides fiscales sur cette définition consolidée de la notion d’entreprise, là encore la France ayant publiquement indiqué à la Commission appliquer cette notion par entité juridique, ce risque paraît assez peu probable.
Pour l’avenir, en revanche, on peut s’attendre à ce que la Commission suive de près l’application de cette notion par les Etat membres. L’administration fiscale pourrait donc être amenée à vérifier ce point dans le cadre de futurs contrôles fiscaux.
En pratique, pour écarter tout risque de remise en cause des aides perçues, les groupes d’entreprises devront mettre en place une procédure de suivi global des aides de minimis au niveau du groupe. Cela étant, dans la mesure où le franchissement du seuil de 200 000 € s’apprécie sur une période de trois exercices fiscaux, des difficultés ne manqueront pas de surgir pour les groupes dans lesquels toutes les entités n’ont pas la même date de clôture de leurs exercices fiscaux.
A propos de l’auteur
Claire Vannini, avocat en matière de droit de la concurrence national et européen. Elle se consacre au droit de la concurrence, au droit européen et à la régulation des industries de réseau (transports, énergie, communications électroniques).
Article paru dans la revue Option Finance du 3 mars 2014