Application de la notion de forclusion par tolérance
Le défendeur à une action en contrefaçon a tout intérêt à soulever la fin de non-recevoir tirée de la forclusion par tolérance. C’est ce qu’enseigne cet arrêt rendu par la Cour de cassation (Cass. com., 5 juillet 2016, n°14-18.540).
En l’espèce le titulaire de la marque communautaire « Noa », grand nom de l’industrie des cosmétiques, avait agi en contrefaçon à l’encontre du titulaire de la marque postérieure « Ainhoa », également présente dans le secteur des cosmétiques. Ces marques, enregistrées à quelques mois d’intervalle, désignaient toutes deux des produits cosmétiques de la classe 3.
La Cour d’appel a déclaré l’action du titulaire de la marque antérieure « Noa » forclose, en justifiant sa position par des considérations relativement classiques au regard des règles encadrant la forclusion par tolérance. L’invocation de ce moyen de défense suppose en effet de rapporter la preuve que le titulaire de la marque antérieure, connaissant l’exploitation de la marque postérieure, a délibérément toléré son usage pendant plus de cinq années consécutives à la date de l’assignation en contrefaçon. Il s’agit alors de sanctionner la passivité des titulaires tout en préservant les marques contre un risque prolongé d’annulation pour contrefaçon.
La Cour de cassation reprend en substance l’argumentation de la Cour d’appel, qui reposait essentiellement sur la connaissance nécessaire par le titulaire de la marque « Noa » de l’existence et de l’exploitation de la marque « Ainhoa ». Le faisceau d’indices utilisé prend ainsi en compte les annonces publicitaires « nombreuses et régulières », dans plusieurs pays de l’Union européenne, dont des pays dans lesquels le titulaire de la marque initiale commercialisait ses propres produits, mais également les publications et magazines. La Cour relève les salons professionnels auxquels les deux parties ont participé concomitamment, et souligne leur adhésion conjointe à la même association de parfums et cosmétiques. Cette analyse par faisceau d’indices démontre une volonté du juge de mettre en exergue la proximité des deux titulaires ainsi que l’utilisation concomitante des marques litigieuses. De cette proximité, la Cour a déduit que le titulaire de la marque « Noa » avait nécessairement, ou du moins aurait dû raisonnablement, avoir connaissance de l’existence de la marque « Ainhoa » et de son exploitation.
Si la solution paraît classique au regard de la jurisprudence relative à la contrefaçon de marque et l’invocation de la forclusion par tolérance, l’angle retenu par le pourvoi est plus surprenant.
La demanderesse au pourvoi reproche en effet aux juges du fond l’absence d’identification des produits de classe 3 pour lesquels elle aurait dû avoir connaissance de l’utilisation de la marque postérieure. En outre, la Cour d’appel aurait dû, selon elle, caractériser une tolérance délibérée de l’usage de la marque postérieure, et ce pendant cinq années consécutives au jour de l’assignation en contrefaçon. Cette défense semble bien faible face aux arguments avancés par la Cour et finalement retenus par la Cour de cassation.
Surtout, on sait que le dépôt de la marque postérieure doit avoir été effectué dans l’ignorance de l’atteinte portée au droit antérieur. Dans l’invocation de la forclusion par tolérance aussi, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude : soulever ce moyen de défense suppose que la marque postérieure ait été déposée de bonne foi. Il est alors surprenant que les demandeurs au pourvoi n’aient pas fondé leur demande sur ce moyen. En effet, les deux marques ont été déposées puis enregistrées à seulement quelques mois d’écart et la réputation du titulaire de la marque antérieure sur le marché des cosmétiques laisse à penser que sa marque « Noa » a pu être connue des autres acteurs du secteur.
Cet arrêt témoigne de l’intérêt de soulever la forclusion par tolérance en défense à une action en contrefaçon, ainsi que son efficacité. A contrario, il incite les titulaires de marque à redoubler de vigilance quant à l’existence de marques similaires postérieures qui porteraient atteinte à leurs droits.
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Clotilde Patte, juriste, droit de la propriété intellectuelle