Apport de titres à une société contrôlée : la prudence reste de mise
Il devient indispensable d’appréhender un projet d’apport avec une réflexion poussée sur le montant, l’échéance et la consistance du réinvestissement.
L’apport de titres peut permettre aux particuliers d’échapper à l’imposition immédiate des plus-values afférant aux titres qu’ils ont l’intention de céder. En effet, l’apport des titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) est assorti d’un différé d’imposition et la cession des titres par la société à l’IS ne dégagera de plus-value que si le prix de cession des titres dépasse leur valeur d’apport.
Avant le 14 novembre 2012, les apports effectués par les particuliers à une société contrôlée soumise à l’impôt sur les sociétés bénéficiaient, de plein droit, d’un sursis d’imposition conférant à l’apport un caractère intercalaire, c’est-à-dire qu’aucune plus-value n’était extériorisée.
Depuis cette date, ces opérations sont désormais soumises à un régime de report d’imposition : la plus-value est figée à la date de l’apport, mais son imposition est reportée à un fait générateur ultérieur, notamment en cas de cession des titres reçus en rémunération de l’apport.
Ce régime du report (article 150-0 B ter du CGI) a été adopté pour encadrer et sécuriser les opérations d’apport-cession pour lesquelles l’administration opérait quasi-systématiquement des redressements sur le fondement de l’abus de droit, notamment lorsque la société bénéficiaire de l’apport ne réinvestissait pas une fraction significative du produit de cession des titres reçus en apport.
Le retour de l’abus de droit là où ne l’attendait pas.
Plus de deux ans après l’adoption de ce dispositif, l’administration a enfin publié son commentaire1. La loi prévoit que l’apport de titres peut être rémunéré par une soulte en espèces n’excédant pas 10% de la valeur nominale des titres reçus. Contre toute attente, l’administration précise qu’elle pourrait avoir recours à la procédure de répression de l’abus de droit, «notamment [pour] imposer la soulte reçue, s’il s’avère que cette opération ne présente pas d’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport, et est uniquement motivée par la volonté de l’apporteur d’appréhender une somme d’argent en franchise immédiate d’impôt». Cette référence à l’abus de droit ne peut qu’étonner dans la mesure où le nouveau dispositif avait précisément pour objectif d’éviter que l’administration recoure à cette procédure.
Par ailleurs, l’administration fixe des curseurs rigides là où de la souplesse aurait été la bienvenue. Le grand intérêt du mécanisme de report est qu’il permet à l’apporteur de maintenir en report sa plus-value lorsque la société qu’il contrôle vient à céder les titres qu’elle s’est vue apporter. Afin d’écarter tout risque d’abus, la loi prévoit que si cette cession intervient dans les trois ans de l’apport, le report ne peut être maintenu qu’à la condition que la société cédante prenne et respecte l’engagement d’investir, dans un délai de deux ans à compter de la cession, au moins 50% du produit de cette cession dans le financement d’une activité économique.
Ce mécanisme de réinvestissement constitue un pivot essentiel du dispositif de report et il aurait mérité de nombreuses précisions et, en particulier, la confirmation que le produit de cession à réinvestir s’entend bien net des frais et impôts supportés, ou encore une définition précise des activités économiques éligibles.
C’est pourtant une précision d’une toute autre nature que nous livre l’administration dans son commentaire : elle indique, en effet, que le réinvestissement économique doit être effectué dans une perspective de long terme et présume que cette condition est satisfaite lorsque les biens ou titres qui matérialisent le réinvestissement sont conservés pendant au moins vingt-quatre mois. Cette précision semble conforme à l’esprit du texte et apporte de toute évidence une sécurité juridique aux contribuables dont le plan de réinvestissement respecte ce délai, mais il peut paraitre trop long dans certaines circonstances. Or, si le commentaire n’exclut pas qu’un réinvestissement d’une durée inférieure à vingt-quatre mois puisse caractériser un investissement de long terme, on peut craindre qu’en pratique, l’administration fasse de cette précision le fondement de rehaussements en cas de réinvestissement d’une durée plus courte.
En tout état de cause, si le régime du report d’imposition peut avoir un intérêt pour les opérations qui intègrent une dimension patrimoniale (la loi prévoit que la transmission de titres reçus en apport par voie de succession ou donation permet de purger, sous certaines conditions, la plus-value d’apport), il devient plus que jamais nécessaire de s’interroger sur ses conséquences à court et moyen terme en cas de réorganisation à vocation purement professionnelle.
Ainsi, compte tenu des restrictions et nouvelles exigences posées par l’administration fiscale, il n’est plus possible d’appréhender un projet d’apport suivi d’une cession à moins de trois ans sans une réflexion poussée sur le montant, l’échéance et la consistance du réinvestissement. A défaut, il convient de garder en mémoire que la déchéance du report d’imposition pour cause d’absence de réinvestissement peut engendrer un coût fiscal supérieur à celui qui aurait été supporté en cas de cession directe des titres. En effet, l’apporteur devra supporter l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux à raison de la plus-value initialement placée en report sans disposer des liquidités dégagées par la cession des titres apportés. Dans ce cas, s’il lui est nécessaire de se faire distribuer le produit de cession appréhendé par la société cédante, il devra également en supporter les conséquences fiscales.
Note
1 BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60, à jour au 2 juillet 2015, qui a fait l’objet d’une consultation publique
Auteurs
Stéphane Bouvier, avocat en droit fiscal
Arnaud Fernandes, avocat en droit fiscal
*Apport de titres à une société contrôlée : la prudence reste de mise* – Article paru dans LeRevenu.com le 10 août 2015