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Apposition d’une marque protégée en France, sur des produits fabriqués en France destinés à l’exportation, constitue une contrefaçon de cette marque

Apposition d’une marque protégée en France, sur des produits fabriqués en France destinés à l’exportation, constitue une contrefaçon de cette marque

La décision commentée constitue un des exemples les plus récents de la nouvelle tendance de la Cour de cassation qui consiste à souligner et expliquer ses revirements de jurisprudence (Cass. com., 17 janvier 2018, n°15-29.276).

Ce revirement intervient dans un litige lié à l’utilisation de la marque correspondant à la
transcription phonétique en chinois du nom CASTEL. Enregistrée en France au nom de la société éponyme, elle était utilisée par deux ressortissants chinois pour désigner des vins mis en bouteille en France et exportés vers la Chine.

Dans une décision de 2007, la Cour de cassation avait écarté la qualification de contrefaçon dans une situation où des produits cosmétiques, qui portaient la marque française NUTRI-RICHE appartenant à une société hollandaise, avaient été fabriqués en France en vue de leur commercialisation dans des pays étrangers où cette marque était détenue par Lancôme (Cass. com., 10 juillet 2007, n°05-18.571).

Au vu de cette décision, il n’y aurait pas de contrefaçon dans le cas où l’usage de la marque intervient uniquement dans la sphère interne de l’entreprise, c’est-à-dire dans son cercle privé, et ne donne lieu à aucun acte d’usage du signe litigieux en France. En quelque sorte, la licéité de la commercialisation à l’étranger immuniserait les actes accomplis en France.

L’arrêt NUTRI-RICHE a été critiqué en son temps, au motif que l’exonération pour « motif légitime » prévue par l’article L.716-10 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) vise uniquement les faits de détention et non pas de reproduction de la marque contrefaite ou d’importation ou exportation des produits qui en sont revêtus. De surcroît, la solution retenue ne serait pas compatible avec la directive 89/104 du 21 décembre 1988 sur les marques, qui ne prévoit pas une telle exception. En effet, la Cour de justice a toujours souligné à propos de la portée du droit exclusif, et donc de la définition des actes pouvant être qualifiés de violation de ce droit, que la directive opère une harmonisation exhaustive et que Etats membres n’ont aucune marge de liberté pour accorder une protection plus étendue ou plus étroite. La solution déduite du « motif légitime » aurait effectivement conféré à une marque française une protection moins étendue que celle prévue par la directive.

Consciente de cette difficulté, la Cour de cassation estime désormais que l’interprétation des articles L.713-2 et L.716-10 du CPI donnée dans l’arrêt du 10 juillet 2007, « comme ménageant une exception de motif légitime de détention de produits revêtus du signe contrefaisant sur le territoire français, dans lequel ce signe était protégé en tant que marque, dès lors que ces produits étaient destinés à l’exportation vers des pays tiers dans lesquels ils étaient licitement commercialisés et qu’il n’existait pas de risque que ces marchandises puissent être initialement commercialisées en France, de sorte que les entreprises poursuivies n’avaient fait usage du signe litigieux qu’afin d’exercer leur droit exclusif portant sur la première mise sur le marché de produits revêtus du signe incriminé dans des pays où elles disposaient de ce droit », ne fait pas une application correcte du principe d’harmonisation prévu par l’article 5-1, de la directive n° 89/104 qui ne prévoit pas une telle exception.

En conséquence, ayant constaté que la marque avait été apposée en France, territoire sur lequel elle était protégée, la Cour d’appel a déduit exactement que les droits de propriété avaient été violés, quand bien même il n’y avait aucun contact avec les consommateurs français, les produits étant destinés à l’exportation.

La solution semble conforme au droit positif en vigueur aujourd’hui.

Toutefois, la nouvelle directive d’harmonisation du droit des marques n° 2015/2436 du 16 décembre 2015, que la France doit transposer avant le 14 janvier 2019, prévoit en son article 10-4, que le titulaire d’une marque nationale est habilité à procéder à la rétention en France, de tout produit portant une marque contrefaisante destiné à un pays tiers, à moins qu’il soit démontré que le titulaire de la marque enregistrée n’a pas le droit d’interdire la mise sur le marché desdits produits dans le pays de destination finale.

La solution prévue en matière de transit ne pourrait-elle pas s’appliquer également aux produits fabriqués en France, dans la sphère privée d’une entreprise et exclusivement destinés à être exportés ? Soutenir le contraire, alors que le pays continue de se désindustrialiser, reviendrait à encourager la délocalisation de la fabrication des produits destinés à l’exportation.

Eclairé à la lumière de l’article 10-4 de la nouvelle directive, le « motif légitime » de la décision NUTRI-RICHE n’apparaît pas si injustifié.

 

Auteur

José Monteiro, of Counsel, droit de la propriété intellectuelle