Appréciation de la validité d’une promotion permanente sur un site Internet
La Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue préciser le 11 juillet dernier les conditions d’analyse de la licéité des réductions de prix permanentes au regard de la prohibition des pratiques commerciales trompeuses.
Une société commercialisant des produits de musculation avait été condamnée du chef de pratiques commerciales trompeuses après qu’une enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), menée sur le site Internet www.musculation.fr, avait relevé que des promotions de prix permanentes faisant référence à des prix initiaux en réalité non appliqués et mentionnant une durée limitée de promotion finalement prorogée indéfiniment avaient été pratiquées sur de nombreux produits.
Elle avait été relaxée par la cour d’appel de Grenoble au motif notamment que le « consommateur moyen » utilisé comme référence pour analyser le caractère trompeur d’une pratique commerciale était, en l’espèce (indication « promo » accolée à un prix barré), celui qui est intéressé par des produits accompagnant la pratique de la musculation, ce qui induit des achats antérieurs entraînant une certaine connaissance des niveaux de prix pratiqués et le fait qu’il cherche à acquérir ces produits sur Internet, mode d’achat permettant une comparaison presque instantanée avec des produits semblables vendus par des concurrents. La Cour de cassation a cassé cet arrêt en énonçant en particulier que, pour apprécier le critère de l’incidence de la pratique sur le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, les juges du fond ne peuvent pas se fonder sur des critères inopérants tenant à l’intérêt particulier du client éventuel pour le produit concerné en raison d’achats antérieurs sur Internet et à sa faculté de comparer instantanément les prix pratiqués par d’autres commerçants en ligne (Cass. crim., 11 juillet 2017, n°16-84.902).
Cette décision apporte donc des pistes de définition de la notion de « consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé » sans toutefois la définir de manière positive. La solution adoptée par la juridiction suprême nous apprend que ce consommateur de référence n’est pas un consommateur habitué des produits concernés. Cette approche, retenue par la Cour d’appel et cassée par la Cour de cassation, aurait, à notre sens, restreint de manière significative la notion de pratique commerciale trompeuse en exigeant de tout consommateur une connaissance préalable suffisante du type de produits concernés, et notamment, comme en l’espèce, de leurs caractéristiques tarifaires usuelles (niveaux de prix, promotions usuellement pratiqués, etc.).
La Cour de cassation ne se prononce pas en revanche sur la validité des promotions permanentes en tant que telles. Ces pratiques promotionnelles destinées à provoquer une décision d’achat précipitée des consommateurs peuvent effectivement être de nature à encourir la qualification de pratique commerciale trompeuse.
Notons que ce type de pratique promotionnelle rappelle la pratique commerciale réputée trompeuse visée à l’article L.121-4, 7° du Code de la consommation consistant à « déclarer faussement qu’un produit ou un service ne sera disponible que pendant une période très limitée ou qu’il ne sera disponible que sous des conditions particulières pendant une période très limitée afin d’obtenir une décision immédiate et priver les consommateurs d’une possibilité ou d’un délai suffisant pour opérer un choix en connaissance de cause ». Les pratiques commerciales réputées trompeuses sont considérées comme trompeuses en toutes circonstances, sans qu’il soit besoin de vérifier que le « consommateur moyen » ait pu effectivement être induit en erreur ou non. Il n’était toutefois pas question dans l’affaire commentée de ce texte qui, semble-t-il, aurait potentiellement pu être invoqué.
Revenons par ailleurs sur l’attendu de principe, adopté par la Cour de cassation au double visa du texte interdisant les pratiques commerciales trompeuses et du texte interdisant les pratiques commerciales déloyales, qui précise qu’« une pratique commerciale est trompeuse notamment si elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service, et si elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ».
L’article L.121-2 du Code de la consommation interdit les pratiques commerciales trompeuses, c’est-à -dire celles qui, en particulier, reposent sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et qui portent, notamment, sur le caractère promotionnel du prix.
Cette interdiction est assortie de lourdes sanctions pénales (article L.132-2 du Code de la consommation): emprisonnement de deux ans et amende de 300 000 euros (1,5 million d’euros pour les personnes morales), montant pouvant être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10% du chiffre d’affaires moyen annuel ou à 50% des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité.
Issue d’une transposition imparfaite en droit français de la directive d’harmonisation maximale 2005/29 du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales, cette incrimination a été circonscrite par la jurisprudence.
L’article 6§1 de la directive 2005/29 impose en effet la réunion de deux conditions pour qu’une pratique commerciale trompeuse soit caractérisée. Ainsi, outre la condition reprise par l’article L.121-2 du Code de la consommation précité, la pratique commerciale doit, en application du droit de l’Union européenne, aussi amener ou être susceptible d’amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement. Cette seconde condition, non négligeable, n’a pas été reprise à l’article L.121-2.
Ces deux conditions propres aux pratiques commerciales trompeuses sont distinctes des conditions permettant de caractériser une pratique commerciale déloyale, dont les pratiques commerciales trompeuses constituent une sous-catégorie (articles L.120-1 in fine du Code de la consommation et 5§4 de la directive 2005/29 ; voir CJUE, 19 septembre 2013, C-435/11).
De manière constante, la jurisprudence française a tenté, semble-t-il, de réintégrer la seconde condition posée par la directive 2005/29 en se fondant, de manière partielle, sur l’article L.120-1 du Code de la consommation qui interdit les pratiques commerciales déloyales. La seconde condition posée par ce texte, bien que proche, n’est toutefois pas identique à la condition prévue par la directive pour les pratiques commerciales trompeuses (« elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service »/ »elle […] amène [le consommateur moyen] ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement »).
Dans l’arrêt de 2013, la cour de justice de l’Union européenne semble cependant considérer que ces deux conditions seraient équivalentes en substance.
L’attendu de principe adopté par la Cour de cassation semble donc laisser subsister quelques interrogations sur la définition d’une pratique commerciale trompeuse, d’une part, au regard du principe d’interprétation stricte de ce texte de nature pénale, d’autre part, au regard de la primauté du droit de l’Union européenne.
La notion de pratique commerciale trompeuse, désormais cardinale en droit de la publicité et de la promotion des ventes, mériterait donc d’être plus amplement clarifiée. En attendant, les praticiens demeurent face à une incrimination susceptible de les induire en erreur.
Auteur
Amaury Le Bourdon, avocat en droit de la concurrence et droit de la distribution