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Arrêt CAA Paris, 23 septembre2021, n°20PA03026

Avocat au téléphone pour rompre une relation commerciale

Par un arrêt du 23 septembre 2021, la Cour administrative d’appel confirme le redressement d’une société fondé sur un taux d’intérêt intragroupe plus élevé que celui de l’article 39-1-3 du CGI, faute pour la société d’avoir apporté des justifications convaincantes sur le caractère de pleine concurrence de ce taux.

  1. Une application classique de la règle de limitation de la déductibilité des intérêts assortis aux prêts intragroupes

Une lecture combinée des articles 39-1 3° et 212-1 du Code général des impôts (« CGI ») nous renseigne sur les limites fixées par le législateur à propos des taux d’intérêts assortis aux prêts intragroupes.

En effet, en application des principes énoncés dans ces deux articles, les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d’une entreprise par une entreprise qui en détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social ou y exerce en fait le pouvoir de décision, ou qui est placée sous le contrôle d’une même tierce entreprise que la première, sont déductibles dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises d’une durée initiale supérieure à deux ans ou, s’il est plus élevé, au taux que l’entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues. Faute pour la société de rapporter la preuve de la normalité du taux qu’elle pratique intragroupe, les montants d’intérêts indument déduits seront réintégrés dans son résultat et elle sera imposée en conséquence. Cette règle fait l’objet d’un contentieux fourni devant le juge de l’impôt.

C’est précisément sur le fondement de cette règle que la société française SAS Sakar s’est vue redressée au regard de ses exercices 2013 à 2015. En l’espèce, la société avait emprunté en intragroupe auprès de sa société mère 2 millions d’euros avec un taux d’intérêt à 5,5 %, alors que le taux d’intérêt légal était de 2,84%. L’administration, lors d’un contrôle fiscal, a établi que la société n’avait pas rapporté la preuve de la conformité de ce taux de 5,5 % au taux de marché.

En effet, les preuves que la société a tenté d’apporter pour justifier ce taux ont été rejetées par l’administration fiscale, par le tribunal administratif de Montreuil et enfin par la cour administrative d’appel de Paris :

  • la société avance que le taux de 5 % pratiqué en intragroupe est proche du taux de 4,58 % rémunérant un emprunt de 500 000 euros que l’une de ses filiales a pu obtenir auprès d’un établissement bancaire indépendant. Pour la cour, il ne s’agit pas d’un comparable pertinent dès lors que les deux sociétés emprunteuses n’exerçaient pas la même activité (holding mixte d’une part et filiale de l’autre) ; qu’elles n’avaient pas emprunté le même montant (2 millions d’euros pour l’une contre 500 000 euros pour l’autre) ; que leur emprunt n’était pas réalisé dans le même but (en l’espèce, la société avait emprunté pour acquérir une autre société alors que de l’autre côté, il s’agissait d’un prêt pour acquérir un immeuble) et que le taux d’intérêt de l’emprunt souscrit par la filiale s’élevait en réalité à 3,75 % et pas à 4,58 %, une fois retraités les frais et assurances ;
  • le contribuable ajoute que la société prêteuse n’a exigé la constitution d’aucune garantie. Pour la cour, la société n’établit pas en quoi cette circonstance justifierait le taux pratiqué en l’espèce ;
  • Enfin, la société explique que le même taux de 5 % est appliqué, par principe, à l’ensemble des sociétés du groupe. Selon la cour, le contribuable n’a pas apporté de preuve pour justifier cela.

Dès lors, la cour administrative d’appel rejette la requête de la SAS Sakar et confirme son redressement.

  1. Une décision s’inscrivant dans le courant jurisprudentiel actuel

Cette solution s’inscrit de manière classique dans la tendance jurisprudentielle actuelle en matière de déductibilité des taux d’intérêts consentis pour des prêts intragroupe. En effet, ces dernières années, le juge de l’impôt a précisé les contours de la règle issue de la lecture combinée des articles 39-1-3 et 212-I du CGI.

Plusieurs arrêts récents ont été rendus avec des solutions allant globalement dans le sens des intérêts des contribuables, en ce qu’ils assouplissent les conditions permettant à ces derniers de rapporter la preuve de la normalité du taux intragroupe pratiqué et donc d’en maintenir la déduction.

Par exemple, le juge a pu préciser d’une part, que la seule appartenance à un groupe de sociétés ne saurait permettre de présumer que le risque de solvabilité de l’emprunteuse (qui est l’un des éléments dont découle le taux d’intérêt) se trouve automatiquement réduit. Il faut que l’administration prouve l’existence d’une garantie implicite résultant de l’appartenance au groupe, ainsi que son influence bénéfique sur le risque de solvabilité de la société emprunteuse et d’autre part, le juge a précisé que la preuve du caractère normal du taux pratiqué peut être reconstituée a posteriori (CE, 18 mars 2019, n° 411189, « SNC Siblu »).

Le Conseil d’Etat a également pu, dans un avis du 10 juillet 2019 (n° 429426, « SAS Wheelabrator Group »), se prononcer en faveur de l’admissibilité des références obligataires pour justifier du taux des intérêts intragroupe, à partir du moment où elles émanent « d’entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables, lorsque ces emprunts constituent, dans l’hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe).

Toutefois, cet avis doit être tempéré dès lors que depuis qu’il a été rendu, plusieurs arrêts se sont appuyés sur les principes qui s’en dégageaient mais aucune juridiction n’a accepté les comparables apportés par les sociétés. Par exemple, dans le contentieux « Willink », la cour administrative d’appel de Paris rejette les comparables apportés par la société sur le principe que les entreprises sélectionnées n’étaient pas dans des situations économiques comparables. La critique de la cour venait notamment du fait qu’au sein de l’échantillon servant de base au modèle statistique utilisé pour calculer le niveau de risque retenu, les sociétés défaillantes étaient surreprésentées et le panel ne contenait seulement qu’une dizaine de données financières (CAA Paris, 23 septembre 2020, n° 20PA00585, « Société Willink »).

Enfin, le Conseil d’Etat a récemment validé l’utilisation de logiciels de « scoring » pour évaluer la notation de crédit d’une société emprunteuse (plus précisément, le juge administratif a considéré qu’une notation réalisée par le logiciel « RiskCalc », développé par l’agence Moody’s, était un élément de preuve sérieux). Avant cet arrêt, l’administration fiscale refusait de tels éléments de preuve, au motif que ces outils financiers ne présentent pas le même niveau de finesse que les analyses produites par les agences de notation classiques, dites agences de « rating ».  Cette décision est donc bienvenue pour les contribuables, en ce qu’elle leur offre plus de sécurité et d’amplitude dans les modes de preuves qu’ils choisissent au soutien de la preuve du caractère normal et de pleine concurrence des taux d’intérêts qu’ils pratiquent au sein de leur groupe (CE, 11 décembre 2020, n° 433723, « SA BSA »).

Très récemment, dans un arrêt rendu quelques jours après la solution apportée par la cour administrative d’appel de Paris, les juges d’appel versaillais (CAA Versailles, 28 septembre 2021, n° 19VE00546, « Société financière Lilas ») se prononcent sur les contours de la notion de sociétés liées. Notamment, cette affaire semble avoir permis aux juges administratifs de préciser que l’exercice en fait du pouvoir de décision conjointement avec une autre société peut permettre de remplir la condition relative à l’existence de liens de dépendance entre les entités visée par l’article 212-1 du CGI. Toutefois, au regard des faits de l’espèce et notamment des clauses d’un pacte d’actionnaire, ce contrôle de fait n’est pas démontré.

III. Quelques pistes de réflexion concernant l’admissibilité par les juges de la preuve de la normalité du taux intragroupe

En l’espèce, l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 23 septembre 2021, qui est défavorable au contribuable, est néanmoins classique au regard de la position traditionnelle des juges qui s’attachent beaucoup à la comparabilité des sociétés emprunteuses, et qui rejettent la déductibilité des intérêts versés au titre de prêts intragroupe si cette condition n’est pas remplie à leurs yeux. A l’avenir, on peut conseiller aux contribuables placés dans des situations similaires d’étoffer encore davantage les preuves qu’ils apportent.

Au regard du cas d’espèce, on peut se demander si la société ayant emprunté auprès d’un établissement financier indépendant était détenue à 100 % par la SAS Sakar. Dans ce cas, ce prêt s’analyserait en un prêt consenti à la holding qui est sa seule actionnaire, et cela pourrait permettre à la société de fournir à l’administration fiscale un comparable interne pertinent.

Plus généralement, un benchmark de taux d’intérêt pourrait permettre de justifier le taux d’intérêt intragroupe en établissant la note de crédit de la société à partir d’un outil de scoring et en identifiant des émetteurs d’obligations sur le marché ayant le même risque de crédit et offrant des taux de rendement équivalents à celui du taux d’intérêt intragroupe.

Auteurs

Mohammed Haj Taieb, avocat counsel en droit fiscal