Un arrêt inquiétant pour les titulaires de marques de l’Union européenne exploitées uniquement dans un Etat membre
Le titulaire d’une marque de l’Union européenne (UE) ne saurait échapper à la déchéance pour non usage de sa marque en apportant la preuve d’une exploitation uniquement en Italie alors que le marché pertinent ne présente pas de spécificité territoriale de nature à justifier un usage restreint à un seul État (TUE, 6 octobre 2017, T-386/16).
Dans cette affaire, le titulaire de la marque de l’UE Silente Porte & Porte était attaqué en déchéance pour non usage de sa marque par un concurrent.
Dans la décision déférée, la 1re chambre de recours de l’Office de l’UE pour la propriété intellectuelle (EUIPO) avait estimé que le critère de territorialité de l’usage n’était pas satisfait en l’espèce. En effet, au regard de la nature des produits en cause et de l’absence de limitations quant à leur commercialisation, les documents produits limités au seul territoire italien étaient insuffisants pour démontrer un usage sérieux de la marque contestée pour l’ensemble de l’Union (décision du 28 avril 2016, R 240/2015-1). Le raisonnement est approuvé par le Tribunal de l’Union européenne (UE).
Il commence par rappeler les principes énoncés par la Cour de justice dans l’arrêt Leno Marken : « s’il est certes justifié de s’attendre à ce qu’une marque de l’Union, en raison du fait qu’elle jouit d’une protection territoriale plus étendue qu’une marque nationale, fasse l’objet d’un usage sur un territoire plus vaste que celui d’un seul État membre pour que celui-ci puisse être qualifié d’usage sérieux, il n’est pas exclu que, dans certaines circonstances, le marché des produits ou des services pour lesquels une marque de l’Union a été enregistrée soit, de fait, cantonné au territoire d’un seul État membre » (CJUE, 19 décembre 2012, C-149/11).
Il relève ensuite que les produits en cause, à savoir des portes, ne présentaient aucune spécificité territoriale justifiant que leur usage soit limité au seul territoire italien. En effet, il s’agissait d’articles de base, utilisés et vendus dans tous les lieux où il existait des bâtiments avec des pièces à fermer, pouvant être utilisés par tous les consommateurs de l’Union.
Le Tribunal en conclut que c’est à juste titre la chambre de recours a considéré qu’aucun usage hors du territoire italien, pour la période pertinente, n’ayant été démontré par le titulaire de la marque contestée, « le critère de territorialité de l’usage n’était pas satisfait en l’espèce ».
Qualifié d’ »étonnant » par la doctrine, cet arrêt est à prendre très au sérieux par les titulaires de marques de l’UE et notamment les PME dont les activités sont souvent limitées au territoire de leur Etat membre d’origine.
Certes, « s’il n’est justifié de protéger les marques communautaires et contre celles-ci, toute marque qui leur est antérieure, que dans la mesure où ces marques sont effectivement utilisées » (considérant 10 du règlement 207/2009 du 26 février 2009), et s’il est logique de s’attendre à ce qu’une marque de l’UE fasse l’objet d’un usage plus large qu’une marque nationale d’un État membre, l’arrêt commenté véhicule cependant une conception bien singulière du caractère unitaire du marché de l’Union.
En effet, alors que la Cour de Justice avait antérieurement relevé que pour apprécier l’existence d’un usage sérieux dans l’Union d’une marque de l’UE, « il convient de faire abstraction des frontières du territoire des États membres » (arrêt Leno Marken, préc., point 44), sans tenir compte des caractéristiques du territoire de l’État membre en question, il conclut néanmoins aujourd’hui qu’une marque de l’UE ne fait pas l’objet d’un usage sérieux si cet usage de concerne qu’un seul État membre.
En tout état de cause, l’exploitation, même limitée à un seul Etat membre, d’une marque peut être compensée par son importance quantitative et par la régularité de cet usage. Ces paramètres sont tout aussi importants et doivent (devraient) être examinés de concert avec le critère de la territorialité.
Auteur
José Monteiro, of Counsel, droit de la propriété intellectuelle