Assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid–19
18 septembre 2020
Pour faire face au rebond épidémique en France et à la multiplication des clusters en milieu professionnel constatés depuis le milieu de l’été, le Gouvernement a décidé, de suivre l’avis du conseil scientifique du 28 août 2020 en renforçant les préconisations du protocole sanitaire en entreprise. Il prévoit l’application de nouvelles mesures, telles que la systématisation du port du masque grand public dans les lieux collectifs clos et rappelle l’importance du respect des autres mesures barrières. Publié le 31 août au soir sur le site Internet du ministère du Travail, ce protocole est applicable depuis le 1er septembre 2020.
Mode d’emploi de ce nouveau protocole.
Pourquoi des protocoles sanitaires ?
Le premier protocole sanitaire, publié par le ministère du Travail le 3 mai 2020, en vue de préparer le déconfinement, avait pour objectif de répondre à la demande de plusieurs organisations patronales d’une part, d’avoir connaissance de consignes sanitaires claires et ayant une portée juridique reconnue sur les actions à mettre en œuvre dans les entreprises et, d’autre part, de disposer de moyens pratiques pour les mettre en œuvre.
Elles estimaient ces deux conditions indispensables pour permettre aux entreprises d’assumer leur obligation de moyen renforcée en matière de sécurité face à un « risque pandémique dont nul ne peut prétendre avoir la maîtrise et dont les entreprises ne sont pas à l’origine ».
S’appuyant sur les avis du Haut conseil de la santé publique (HCSP), le protocole national de déconfinement pour les entreprises pour assurer la santé et la sécurité des salariés était donc destiné à accompagner les employeurs dans la préparation de la reprise de l’activité en présentiel des salariés.
Modifié à plusieurs reprises, ce protocole a été remplacé depuis le 1er septembre 2020 par le protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid-19.
Que prévoit ce nouveau protocole ?
Le protocole sanitaire formalise, en matière de santé et sécurité au travail, les recommandations du HSCP pour se protéger contre le risque de contamination au Covid-19.
Parmi les recommandations faites aux entreprises, figurent :
-
- la systématisation du port du masque dans les lieux collectifs clos qui peut faire l’objet d’adaptations permettant aux salariés d’enlever temporairement leur masque, en fonction du niveau de circulation du virus dans le département d’implantation de l’entreprise et de l’espace de travail des salariés ;
-
- le port de la visière en complément du masque dans des situations régulières de proximité avec plusieurs personnes lorsqu’un dispositif de séparation n’est pas possible ;
-
- le recours au télétravail qui permet de limiter l’affluence dans les transports en commun et dans les locaux de l’entreprise ;
-
- le maintien des gestes barrières telles que la distanciation physique (respect d’une distance d’au moins un mètre, maintien des dispositifs de protection dans les espaces rapprochés, etc.), les mesures d’hygiène (lavage des mains, couverture du nez et de la bouche en toussant ou en éternuant dans son coude, salutation sans se serrer la main, etc.) et les autres mesures barrières complémentaires (aération régulière des locaux, nettoyage et désinfection régulière des locaux et surfaces de travail, etc.) ;
-
- le concours de la médecine du travail pour organiser le travail des personnes vulnérables qui reprennent leur activité en présentiel.
Quelle portée juridique de ces protocoles ?
Alors que le Gouvernement a été habilité par la loi instituant l’état d’urgence à prendre un certain nombre de mesures par ordonnance pour faire face aux conséquences sociales, économiques et financières de l’épidémie de Covid-19, le ministère du Travail, outre ces ordonnances et leurs décrets d’application publiés au Journal officiel, a régulièrement publié sur son site Internet des questions-réponses, des foires aux questions (FAQ), des guides de bonnes pratiques, des fiches métiers ainsi que des protocoles sanitaires.
Ces documents, normatifs dans leur contenu, ne sont en réalité ni des lois, ni des décrets ni même des arrêtés, seuls textes susceptibles d’instituer des règles contraignantes pour les personnes. Ils relèvent donc de ce qu’on appelle la soft law, le droit souple, par opposition à la hard law, le droit contraignant : ils prescrivent des comportements à adopter mais ne les rendent pas juridiquement obligatoires.
D’ailleurs, le ministère du Travail, dans le questions-réponses publié sur son site le 7 septembre 2020 définit lui-même le protocole comme un « document de référence », une « norme sanitaire applicable dans les entreprises ». Ce document précise que ses « recommandations doivent être prises en considération par l’employeur pour la mise en œuvre des principes généraux de prévention qui lui incombe en application de l’article L.4121-2 [du Code du travail] ». En outre, il précise que « les entreprises doivent décliner à leur niveau après évaluation des risques les dispositions du protocole pour mettre en place les éléments de protection du salarié en privilégiant le dialogue social ».
Comment mettre en Å“uvre en pratique le protocole sanitaire dans les entreprises ?
Le port obligatoire du masque en entreprise ne s’impose pas directement aux salariés par l’effet de la loi ou du règlement. C’est donc conformément à son obligation de prévention des risques prévue à l’article L.4121-1 du Code du travail que l’employeur peut décider de mettre en place cette obligation en déclinant à son niveau le protocole publié le 31 août 2020. Il appartient alors à chaque employeur de procéder à une évaluation et analyse des risques et, le cas échéant, de mettre en œuvre les mesures complémentaires éventuellement nécessaires à celles déjà déployées, pour prendre en considération ces nouvelles recommandations.
S’agissant plus particulièrement du port systématique du masque dans les lieux collectifs clos, le protocole précise qu’il peut faire l’objet d’adaptations en fonction du niveau de circulation du virus dans le département d’implantation de l’entreprise et de l’espace de travail des salariés.
Dans le cadre d’un dialogue avec les instances représentatives du personnel, les entreprises doivent faire preuve d’autonomie dans la détermination de leurs règles de sécurité, en particulier en ce qui concerne la généralisation du port du masque, pour deux raisons :
- d’une part, le port systématique, indifférencié et permanent du masque peut s’avérer inopportun selon la configuration des locaux de l’entreprise, gênant voire dangereux selon les fonctions occupées par certains salariés ;
- d’autre part, l’obligation de porter un masque dans tous les lieux collectifs clos des entreprises, même assortie de certaines exceptions, est une mesure qui porte atteinte à la liberté individuelle des salariés, compte tenu des contraintes et de la gêne qu’elle occasionne. Elle doit donc être justifiée et proportionnée au risque réellement encouru.
En tout état de cause, si l’entreprise après avoir procédé à son analyse de risque en concertation avec les représentants du personnel, décide de ne pas imposer le port du masque dans tous les lieux collectifs clos, elle devra être en mesure de justifier des raisons afin que sa responsabilité ne puisse être recherchée pour manquement à son obligation de sécurité.
Nul doute que le protocole sera pris en compte par l’inspecteur du travail en cas de contrôle et le juge en cas de litige pour apprécier le respect par l’employeur de son obligation de sécurité.
Ensuite, après avoir pris les mesures adaptées pour prévenir le risque lié à la propagation du Covid-19 dans l’entreprise, l’employeur doit organiser et dispenser une information des travailleurs sur les risques qu’il constitue pour leur santé et leur sécurité et les mesures de prévention qui ont été prises.
Lorsque l’obligation de porter le masque dans les lieux collectifs clos est instituée dans l’entreprise, elle peut être portée à la connaissance des salariés par une note de service.
A notre sens, pour les entreprises qui en sont doté, cette note de service devrait être adjointe au règlement intérieur – dont le contenu strictement encadré par la loi – doit comporter «les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise ou l’établissement, notamment les instructions prévues à l’article L.4122-1 » (C. trav., art. L.1321-1) .
En effet, si le port du masque « grand public » ne figure pas dans la règlementation en matière de santé au sens strict, cette mesure, lorsqu’elle est mise en œuvre, en constitue néanmoins une pour assurer la protection de la santé du salarié.
Dès lors que la note de service vaut adjonction au règlement intérieur, il y a lieu en principe pour l’employeur de procéder d’une part, à la consultation préalable du comité social et économique (CSE) sur cette note de service et, d’autre part, à sa transmission à l’inspecteur du travail et à l’accomplissement des formalités de dépôt et de publicité.
Toutefois, par dérogation à ces dispositions, les obligations ainsi arrêtées pourraient, compte tenu de l’urgence, recevoir une application immédiate à la condition que ses prescriptions soient immédiatement et simultanément communiquées au secrétaire du CSE ainsi qu’à l’inspection du travail.
En outre, l’insertion de l’obligation du port du masque dans le règlement intérieur permet de prévoir expressément que tout manquement est passible d’une sanction disciplinaire.
Cette mention est d’autant plus importante que l’obligation du port du masque en entreprise, qui se situe dans le prolongement du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 sur les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans les territoires sortis de l’état d’urgence sanitaire, n’a pas – comme cela a été exposé – de base juridique contraignante.
Ainsi, le salarié qui ne porterait pas son masque ne pourra être poursuivi au titre d’un manquement à une règle légale mais au titre du non-respect du règlement interne à l’entreprise.
Néanmoins, même prévue dans le règlement intérieur, le juge judiciaire dans le cadre d’un contentieux individuel conserve toute latitude pour apprécier le caractère justifié et proportionné de la sanction retenue contre le salarié pour manquement cette obligation.
L’inflation de textes de toute nature, depuis le début de cette crise sanitaire sans précédent, place les entreprises dans une situation d’insécurité juridique. Cette instabilité juridique doit conduire les entreprises non seulement à reprendre les recommandations à leur compte en les adaptant à leur situation, mais également à faire preuve de la plus grande prudence dans l’application qu’elles font des recommandations du Gouvernement en matière de protection de la santé et de sécurité des salariés.
Article publié dans Les Echos Executives le 18/09/2020
A lire également
Mise en place du « flex office » : les bonnes questions à se poser... 5 juillet 2021 | Pascaline Neymond
Quelles sanctions en l’absence de télétravail ?... 22 mars 2021 | Pascaline Neymond
Quelle est la nature juridique du protocole national pour assurer la santé et l... 11 septembre 2020 | CMS FL Social
Covid-19 : nouvelle adaptation des mesures sanitaires face à la menace épidém... 1 décembre 2021 | Pascaline Neymond
Télétravail à l’étranger : quels enjeux pour les employeurs et les salariÃ... 16 juillet 2021 | Pascaline Neymond
Covid-19 : initiatives législatives en matière de don/monétisation de jours d... 16 septembre 2020 | CMS FL Social
Représentation équilibrée des femmes et des hommes sur les listes de candidat... 2 décembre 2021 | Pascaline Neymond
Avenant de révision-extinction d’un accord collectif : « Ce que les part... 23 octobre 2023 | Pascaline Neymond
Articles récents
- La convention d’assurance chômage est agréée
- Sécurité sociale : quelles perspectives pour 2025 ?
- L’intérêt à agir exclut la possibilité pour un syndicat professionnel de demander la régularisation de situations individuelles de salariés
- Présomption de démission en cas d’abandon de poste : les précisions du Conseil d’Etat sur le contenu de la mise en demeure
- Quel budget pour la sécurité sociale en 2025 ?
- Syntec : quelles actualités ?
- Modification du taux horaire minimum de l’allocation d’activité partielle et de l’APLD
- Congés payés acquis et accident du travail antérieurs à la loi : premier éclairage de la Cour de cassation
- Télétravail à l’étranger et possible caractérisation d’une faute grave
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable