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ATAD III : passer la substance des holdings au filtre de la directive société écran s’impose dès cette année.

ATAD III : passer la substance des holdings au filtre de la directive société écran s’impose dès cette année.

Les administrations fiscales des Etats de source des revenus ou de résidence de l’actionnaire se résoudront elles réellement à l’analyse de l’Etat de résidence de la société « à risque » ?

Répondant à une demande du Parlement Européen à la suite de Panama Papers et Luxleak, la Commission a rendu public le projet de directive 2021/0434 ou ATAD III visant à prévenir l’utilisation de sociétés écrans. Ses dispositions transposées devraient être applicables au 1er janvier 2024 avec la nécessité d’apprécier certains critères dès cette année (soit 2 ans avant).

Le dispositif vise à titre principal les sociétés holdings, financières, détentrices de droits de propriété intellectuelle et immobilières avec une activité ou des actifs transfrontaliers. Les entreprises bancaires ou financières règlementées sont exclues comme les fonds AIFM.

Les entreprises éligibles devront elles-mêmes déclarer à l’administration si elles présentent ou non un risque d’être considérées comme société écran à travers l’application de 3 critères. Dans l’affirmative, la société conserverait la possibilité de démontrer que son interposition ne présente aucun avantage fiscal, ce qui ne l’empêcherait pas d’être signalée dans un fichier central dédié à destination de tous les Etats membres. A défaut, la « société à risque » devra justifier qu’elle n’est pas une société écran à travers 3 autres critères de substance minimale (d’activité et de gestion locale). En cas d’échec, la société devenue « écran » sera fiscalement neutralisée : son actionnaire sera imposable par transparence et le bénéfice par la société écran des dispositions favorables des directives et des conventions seront refusés. La société conservera néanmoins une dernière possibilité de démontrer une substance suffisante liée à son activité par son autonomie de gestion et une activité économique réelle générant les revenus.

La directive vise à harmoniser la définition des sociétés écran et la sanction attachée en mettant en place un système de transparence entre les Etats membres. La question de substance appelle le plus souvent une réponse à géométrie variable et nécessairement différente selon les activités. Une harmonisation efficace à travers des critères objectifs commanderait d’harmoniser également leur appréciation qui devra nécessairement varier chez et selon les Etats de résidence de la société. L’appréciation des conditions d’exonération et de renversement de présomption devraient également être alignées.

Le dispositif devrait imposer aux Etats membres (de source ou de l’actionnaire) de s’en tenir à l’analyse conduite par un autre Etat membre (Etat de résidence de la société). On ne peut toutefois éviter de s’interroger sur d’éventuelles difficultés d’application.

L’Etat de la source ou de l’actionnaire ne sont pas privés d’appliquer leur propres règles anti-abus en cas d’avis favorable de l’Etat de la société[2]. Par ailleurs, les « explications détaillées » qui mériteraient d’être précisés- figurant en introduction de la proposition -de directive permettent « aux administrations fiscales », de se référer à leur droit interne autre que celui tiré de la directive pour apprécier la substance minimale de la société[3]. Le pluriel employé en visant l’administration fiscale associé à la référence au droit interne semble ouvrir aux autres Etats membres la possibilité de conduire leur analyse. La reconnaissance de la possibilité offerte aux autres Etats d’inviter l’Etat de résidence de la société à reconsidérer sa position et d’initier une procédure de contrôle fiscal ne milite pas pour une appréciation distincte. Néanmoins, les enjeux de base taxable et le caractère nécessairement variable de la notion de substance devraient valoir d’intéressantes passes d’arme entre les autorités compétentes, le plus souvent au détriment du contribuable.

L’application de la directive aura surtout pour effet de lister la plupart des sociétés éligibles au bénéfice de tous les Etats membres sauf à ce qu’elles aient justifié qu’elles ne permettent pas au groupe d’obtenir un avantage fiscal. Le risque de contrôle ne peut être ignoré.

Les groupes et les fonds d’investissements sont donc encouragés à réévaluer la robustesse des sociétés susceptibles d’être dans le champ d’ATAD III. Renforcer la capacité locale de la société, transférer son siège de l’entreprise dans l’Etat de l’actionnaire (bénéficiaire effectif), restructurations, sont autant de pistes à privilégier.

Enfin, on notera qu’une société détenant des crypto assets est susceptible d’entrer dans le champ du dispositif. En revanche, les prestataires de service financiers dédiés aux crypto-actifs sont exclus (dans l’anticipation de leur réglementation européenne à venir) ;

Société à risque ?

Une société entrera dans le champ si elle remplit les trois critères suivants :

1° plus de 75% de ses revenus sont passifs depuis deux ans : dividendes, intérêts y compris de crypto actifs, redevances, plus-values, loyers y compris sur immeubles, revenus d’actifs mobiliers patrimoniaux autres que les titres (si leur valeur comptable excède 1 M€), revenus d’activités financières ou revenus de services sous-traités à une entreprise liée (au moins 25% des droits de vote ou dans le capital notamment) ;

2° plus de 60% de ses revenus ou de la valeur comptable des actifs détenus provient ou est situé hors du pays de résidence de l’entité depuis deux ans. Si des actifs immobiliers (ou mobiliers patrimoniaux autre que des titres comme de l’art ou un yacht si leur valeur excède 1 million d’euros) totalisent plus de 75% de la valeur de actifs, la condition est réputée remplie quel que soit le niveau des revenus ;

3° l’administration de la société a été confiée à un tiers (gestion quotidienne et processus de décision sur fonctions significatives) également depuis au moins deux ans ; ou si elle compte moins de 5 salariés à plein temps consacré aux activités générant les revenus.

Le champ est défini largement sans distinguer la nature de l’activité sous réserve des sociétés exclues comme les sociétés détenant des participations exclusivement dans des sociétés établies dans le même Etat membre et ayant des bénéficiaires effectifs également dans le même Etat.

Société à risque sans avantage fiscal pour les bénéficiaires effectifs.

La justification de l’absence d’avantage fiscal de l’interposition devrait faire sortir la société du dispositif. Une demande individuelle fondée sur une analyse comparative chiffrée s’impose. Un avis positif de l’administration de l’Etat de résidence de la société pourrait être valable jusqu’à 6 ans.

Société à risque présumée être une société écran ?

Une fois considérée comme « à risque », la société doit justifier d’une substance minimale acceptable. Les indicateurs listés sont la disposition de locaux en propre ; la détention d’un compte bancaire actif dans l’UE ; l’existence d’au moins un dirigeant qualifié qui prend régulièrement des décisions relatives aux activités générant les revenus et qui est résident (ou frontalier) de l’Etat de la société sans être salarié ou dirigeant de sociétés non liées. Cette dernière condition vise à écarter les fiduciaires principalement. A défaut de remplir la condition liée au dirigeant, l’emploi de salariés qualifiés et à plein temps dont la moitié au moins serait résidents du même Etat que l’entité permettrait de remplir le critère. La société est libre de joindre tous autres documents qu’elle jugera utile par ailleurs.

Si tous les critères sont remplis, la société sera considérée à risque uniquement mais ne sera pas pour autant une entité écran.

La production de justificatifs a priori satisfaisants n’est pas nécessairement une garantie si les « autorités fiscales » par exemple considéraient que les conditions de droit interne autres que celles découlant de la directive n’étaient pas remplies[4]. Cette précision est troublante nous l’avons vu. Elle jette un doute sur les autorités fiscales concernées. S’agirait-il de celles des autres Etats membres concernés ? Cela ne correspondrait pas à l’esprit d’harmonisation de la directive qui invite à s’en tenir à l’analyse de l’Etat de résidence de la société. Néanmoins, même si l’on devait s’en tenir au droit interne de l’Etat de résidence de la société, cela introduirait des distorsions d’analyse selon l’Etat de résidence Des éclaircissements seraient souhaitables pour limiter toute velléité des Etats autres que celui de résidence de la société de conduire leur propre analyse ; ne serait-ce qu’au travers de leurs règles anti-abus.

Présomption réfragable

L’entité sera présumée société écran si l’un au moins un des indicateurs n’était pas rempli sauf à pouvoir démontrer (i) de la justification économique de la création de la société ; (ii) de la preuve concrète du processus des décisions les plus importantes localement ; et (iii) de l’activité réelle des salariés et leur qualification. Une décision favorable pourrait être valable 6 ans.

Les sanctions

Les avantages fiscaux liés à l’interposition, tant chez l’Etat de la source du revenu que chez son bénéficiaire effectif sont neutralisés ; le droit interne restera seul applicable sauf application d’une convention fiscale entre l’Etat de la source du revenu et celui de l’actionnaire. Aucun certificat de résidence ne sera émis ou alors avec une mention expresse pour prévenir l’application de la convention fiscale avec l’Etat de la société écran y compris à l’égard de pays tiers.

Nouvelles modalités d’imposition des revenus transfrontaliers : Transparence fiscale

Tirant toutes les conséquences de l’absence de prise en compte de la société écran, l’actionnaire de la société sera imposé par transparence sur les revenus et gains de la société écran avec déduction en droit interne des impôts supportés par la société écran dans son Etat de résidence et dans l’Etat de la source (avec le cas échéant application de la convention fiscale entre l’Etat de source et l’Etat de l’actionnaire).

Echange des informations dans les 30 jours : transparence entre Etats membres

Un fichier central est prévu pour recevoir les informations reçues des entreprises considérées comme à risque mais aussi celles conduisant à écarter la présomption. Les informations devront être communiquées dans les 30 jours de la réception du fichier associé à la liasse fiscale ou de la décision individuelle rendue par l’administration de l’Etat membre de la société considérée comme écran. Enfin, chaque Etat membre pourra faire la demande à celui de résidence de la société pour déclencher un contrôle sur la base d’informations en sa possession. L’Etat requis devra réagir rapidement et partager l’analyse retenue, qui sera, le cas échéant, diffusée, à travers le fichier central.

Pénalité pour non-respect :

Les Etats membres sont libres de fixer les sanctions attachées au non-respect des obligations déclaratives avec un minimum requis de 5 % du chiffre d’affaires de la société écran.

Article paru dans Option finance le 07/03/2022

[1]   Avec mes vifs remerciements pour Marie Navarron, élève avocat diplômée du master 2 OFIS (Paris I) pour sa contribution.

[2]   Page 17 (3) de la proposition de directive.

[3]   Page 11 de la proposition de directive.

[4]   Page 10 de la proposition de directive.

Auteurs

Michel Collet, avocat associé en droit fiscal