Attention, vie personnelle et vie privée ne sont pas synonymes

25 février 2025
Les faits commis en dehors du temps et du lieu de travail ne peuvent en principe fonder un licenciement pour motif disciplinaire à moins que ces faits constituent un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail.
Toutefois, ces faits ne relèvent pas nécessairement de l’intimité de la vie privée du salarié et peuvent relever simplement de sa vie personnelle. Cette distinction n’est pas sans conséquences.
Il s’en déduit que si le licenciement disciplinaire prononcé pour un motif relevant de l’intimité de la vie privée est nul au motif qu’il porte atteinte à une liberté fondamentale, le licenciement disciplinaire fondé sur un fait de la vie personnelle expose seulement son auteur aux sanctions applicables en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. C’est ce que décide la Cour de cassation dans un arrêt du 25 septembre 2024 (n° 22-20.672).
Des faits commis à l’issue de la journée de travail
Un chauffeur de bus de La RATP est révoqué pour faute grave. Cette rupture est motivée par des « propos et comportement portant gravement atteinte à l’image de l’entreprise et incompatibles avec l’obligation de sécurité de résultat de la RATP tant à l’égard de ses salariés que des voyageurs qu’elle transporte ».
L’employeur se fonde sur le contrôle de police dont le salarié a fait l’objet à l’issue de son service, sur la voie publique et dans son véhicule personnel, au cours duquel les fonctionnaires de police ont constaté la détention et la consommation de cannabis. Ce contrôle a été signalé à l’employeur par la police judiciaire qui a spontanément considéré nécessaire à la sécurité des voyageurs que la situation soit rapportée à l’employeur.
Le salarié conteste alors la validité de cette rupture et saisit le juge prud’homal aux fins d’obtenir la nullité du licenciement et sa réintégration.
La Cour d’appel ayant prononcé la nullité de la rupture en raison de l’atteinte portée au droit fondamental de l’intéressé à sa vie privée, a ordonné la réintégration du salarié et le paiement d’une indemnité correspondant aux salaires que le salarié aurait dû percevoir depuis son éviction jusqu’à sa réintégration effective ainsi que les indemnités de congés payés afférentes.
A l’appui de sa décision, la Cour a relevé que les faits reprochés au salarié ne se rattachaient pas suffisamment à la vie professionnelle dès lors que :
-
- les faits s’étaient déroulés après sa journée de travail et que le fait de décliner son identité et d’indiquer sa profession faisant partie intégrante d’un contrôle par les forces de l’ordre, ne permettait pas de rattacher suffisamment les faits reprochés au salarié à la vie professionnelle et de retenir une faute disciplinaire ;
-
- et que, si le contrat de travail interdisait la prise de stupéfiants avant et pendant le service, il ne l’interdisait pas après, d’autant que la prise de stupéfiants n’avait pas été caractérisée, les tests s’étant révélés négatifs.
L’employeur se pourvoit alors en cassation.
La décision de la Cour de cassation
A l’appui de son pourvoi, l’employeur soutenait que la protection de la vie privée ne s’étendait pas au comportement d’un individu dans le cadre d’un contrôle de police justifié par la découverte d’un sac contenant du cannabis et que, dès lors, la sanction encourue n’était pas la nullité mais l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.
La Cour de cassation procède tout d’abord à plusieurs rappels de principes.
⇒ Elle rappelle que la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur n’ouvre droit pour le salarié qu’à des réparations de nature indemnitaire et que le juge ne peut, en l’absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, annuler un licenciement.
⇒ Elle rappelle la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen implique le droit au respect de la vie privée. (Article 2 de la DDHC, Cons. Const., 9 novembre 1999, n°99-419 DC).
Dans un raisonnement graduel, la Cour de cassation constate que les juges du fond ont relevé que les faits reprochés au salarié de détention et consommation de produits stupéfiants – constatés par un service de police lorsque le salarié était à bord de son véhicule sur la voie publique – est étranger aux obligations professionnelles du salarié découlant de son contrat de travail.
Elle approuve donc la Cour d’appel d’avoir retenu que le simple fait de préciser sa profession n’établit pas un lien suffisant avec la vie professionnelle de sorte que le licenciement disciplinaire du salarié n’était pas justifié.
En effet, selon une jurisprudence constante, le licenciement disciplinaire ne peut être valablement motivé par des faits relevant de la vie personnelle d’un salarié, sauf caractérisation d’un manquement à une obligation découlant du contrat de travail (Cass. soc., 3 mai 2011, n°09-67.464).
Dans une seconde étape de raisonnement, la Cour décide toutefois que si le motif de la sanction était tiré de la vie personnelle du salarié, il ne relevait pas de l’intimité de sa vie privée.
Le licenciement n’est donc pas intervenu en violation du droit fondamental au respect de la vie privée. La Cour censure donc la décision des juges du fond qui avaient déclaré nul le licenciement et retient que le licenciement est seulement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Cette décision est importante en ce qu’elle rappelle que tous les faits commis en dehors du temps et du lieu de travail, s’ils ne se rattachent pas à la vie professionnelle et ne peuvent donc fonder en principe un licenciement disciplinaire, ne relèvent pas pour autant nécessairement de l’intimité de la vie privée.
La sanction du licenciement disciplinaire intervenu en violation de cette règle dépendra donc de la qualification des faits en cause selon qu’ils relèvent de l’intimité de la vie privée ou simplement de la vie personnelle du salarié.
Or il n’existe aucune définition précise et exhaustive de ce qui relève de la vie privée. Dès lors, la distinction entre les faits relevant de l’intimité de la vie privée et les faits de la vie personnelle du salarié, qui sont en principe tous les faits commis hors du temps et du lieu de travail qui ne relèvent pas de la vie privée, demeure malaisée en pratique et laisse toute la place à l’interprétation.
La prudence est donc recommandée lorsqu’un licenciement disciplinaire est envisagé pour un motif tiré de faits commis en dehors du temps et du lieu de travail en raison du risque de nullité du licenciement et des conséquences qui en découlent.
AUTEURS
Caroline FROGER-MICHON, Avocate associée, CMS Francis Lefebvre Avocats
Jehane AZZOUZI-CLAUSEL, Juriste, CMS Francis Lefebvre Avocats
Article précédent
Webinaire : LFSS pour 2025 et actualité du contentieux URSSAF
Article suivant
This is the most recent story.
A lire également
Hamon : stop ou encore ? 2 janvier 2025 | Pascaline Neymond

Détachements et sous-traitance : le dumping social sur la sellette... 6 mars 2014 | CMS FL
Révocation de mandat social et licenciement : les liaisons dangereuses... 29 septembre 2023 | Pascaline Neymond

Le dialogue social à l’heure du Covid-19... 15 juin 2020 | CMS FL Social

Droit social : quand la RSE devient source d’obligations et d’opportunités ... 21 juin 2021 | Pascaline Neymond

Gestion sociale du Covid-19 : nos voisins ont-ils été plus créatifs ? Le cas ... 9 août 2021 | Pascaline Neymond

Détachement de salariés en France : Simplification du SIPSI... 11 mai 2023 | Pascaline Neymond

Covid-19 et gestion des salariés non européens arrivant en France... 8 juillet 2020 | CMS FL Social

Articles récents
- Attention, vie personnelle et vie privée ne sont pas synonymes
- Webinaire : LFSS pour 2025 et actualité du contentieux URSSAF
- RGPD et droit de la preuve en matière de discrimination : un équilibre difficile à trouver
- La garantie de rémunération des titulaires de mandat : les précisions jurisprudentielles
- La transaction rédigée en termes généraux fait obstacle à l’indemnisation du préjudice d’anxiété
- Les apports sociaux de la loi Immigration
- Contrôle URSSAF : pas de chiffrage possible des redressements en dehors des règles prévues par la loi
- Titres-Restaurant : prolongation de la dérogation jusqu’au 31 décembre 2026
- Présomption de démission : attention à la rédaction du courrier de mise en demeure !
- Obligation de loyauté de la négociation collective : bonnes pratiques et points de vigilance