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Attractivité du régime fiscal des brevets : l’espoir demeure

Attractivité du régime fiscal des brevets : l’espoir demeure

Si le gouvernement français semble décidé à aligner le régime de taxation réduite des brevets sur les recommandations de l’Action 5, les modifications envisagées ne devraient pas diminuer l’attractivité du régime fiscal français de la propriété intellectuelle.

Dans la perspective de prendre en compte « les évolutions du droit européen et des travaux de l’OCDE », le gouvernement a lancé une consultation publique sur une réforme annoncée de l’impôt sur les sociétés (IS)1. Outre des réflexions sur le devenir de l’intégration fiscale ou de la déductibilité des charges financières, Bercy envisage une modification du régime fiscal de la propriété intellectuelle (PI), dans la lignée de l’Action 5 du plan relatif à la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS)2. Si des craintes ont été émises sur une possible remise en cause des différents dispositifs faisant actuellement de la France un pays particulièrement attractif en matière de PI, ni le contenu de l’Action 5 de BEPS, ni l’orientation prise par les questions composant la consultation de la réforme de l’IS ne nous semble justifier une telle appréhension.

I. L’Action 5 de BEPS : le nexus comme indicateur de substance

La substance constitue la pierre angulaire de l’Action 5 de BEPS. Selon ces travaux, tout régime fiscal préférentiel devrait dépendre de l’existence d’une activité substantielle, afin d’éviter que des bénéfices imposables ne puissent être artificiellement transférés hors du pays où a lieu la création de valeur.

Afin d’évaluer cette activité substantielle, l’Action 5 retient une approche du lien, aussi dénommée approche du « nexus ». Un lien direct doit ainsi nécessairement exister entre un revenu bénéficiant d’avantages fiscaux et les dépenses à l’origine de ces mêmes revenus. Appliquée à un revenu issu de la PI, cette méthode implique que les avantages fiscaux résultant d’un régime fiscal dérogatoire bénéficient uniquement aux revenus prenant source dans des activités de R&D effectuées par le contribuable lui-même.

A cet effet, il est proposé d’appliquer un ratio de lien (le fameux nexus) déterminant la proportion du revenu tiré de la PI éligible à des avantages fiscaux. Ce ratio résulterait du rapport entre, au numérateur, les dépenses de R&D engagées par le contribuable lui-même auxquelles s’ajoutent les dépenses d’externalisation entre parties non liées (les « dépenses éligibles »), et, au dénominateur, ces mêmes dépenses augmentées des coûts d’acquisition des actifs incorporels concernés et les dépenses d’externalisation à des parties liées (les « dépenses totales »).

En application des recommandations de l’Action 5, les juridictions membres de l’OCDE conservent toutefois une certaine latitude dans l’application de ces principes. Elles peuvent notamment choisir d’appliquer une majoration de 30% des dépenses éligibles, sans que le ratio ne puisse excéder 100%, afin de ne pas pénaliser excessivement les contribuables ayant acquis des actifs de propriété intellectuelle ou qui externalisent à des parties liées. Par ailleurs, alors que l’approche du lien requiert en principe un suivi des dépenses et des revenus par actif de PI, les juridictions pourront, sous certaines réserves, choisir d’appliquer une méthode par produit dans l’hypothèse où de multiples actifs de PI sont incorporés dans un même produit. Toutes les dépenses éligibles et totales afférentes au développement de chacun des actifs de PI seront alors agrégées pour déterminer le ratio de lien à appliquer aux revenus de PI propres au produit considéré. L’Action 5 prévoit enfin que les juridictions puissent considérer le nexus comme une simple présomption réfragable. Le contribuable pourrait alors bénéficier du régime de taxation réduite sur une assiette plus large s’il démontre qu’il a effectué des activités créant plus de valeur que ne l’indique le calcul du lien.

II. Le régime fiscal français : un paysage attractif sous le feu de critiques…

Le système fiscal français de PI contient plusieurs dispositifs avantageux dont la coexistence procure à la France une attractivité certaine.

En premier lieu, les entreprises françaises bénéficient d’un régime de taxation réduite sur certains revenus issus de la PI3. Est ainsi notamment imposé au taux de 15%4, le résultat net de la concession de brevets et droits assimilés, à la seule condition qu’ils aient le caractère d’éléments de l’actif immobilisé5. Ce régime est d’autant plus attractif qu’il est également applicable s’il existe des liens de dépendance entre la société concédante et le concessionnaire, à condition de pouvoir démontrer que l’exploitation du droit concédé est réel et crée, pour le concessionnaire, une valeur ajoutée. Outre ce régime de taxation réduite, les entreprises qui exposent des dépenses de recherche ou d’innovation peuvent bénéficier du crédit d’impôt recherche, à hauteur de 30% des dépenses de recherche éligibles n’excédant pas 100 millions d’euros, et à 5% au-delà6. Le système fiscal français prévoit enfin différents régimes spéciaux d’exonération en fonction du statut de l’entreprise, comme celui existant pour les jeunes entreprises innovantes7.

Le dispositif visé par les critiques de l’OCDE est celui du régime de taxation réduite. Sur le fondement des recommandations de l’Action 5, les experts de l’OCDE l’estiment en effet « dommageable », notamment parce que les critères d’éligibilité des revenus sont trop larges et qu’ils ne sont pas conditionnés au fait que l’activité de R&D soit localisée en France.

III. … qui ne devrait pas fondamentalement être remis en cause

Tenter d’imaginer les contours de la réforme du régime fiscal français de la propriété intellectuelle nécessite de rappeler l’objectif de l’Action 5 de BEPS. Cette dernière vise en effet à lutter contre une délocalisation artificielle de profits taxés de manière préférentielle hors du pays où les dépenses sont engagées. Cette délocalisation était relativement aisée dans le cadre des principaux régimes étrangers de « patent box ». De manière simplifiée, ceux-ci requéraient de constituer un compte de résultat regroupant les seuls charges et produits relatifs à la propriété intellectuelle, le bénéfice net étant imposé à taux réduit. Les groupes multinationaux pouvaient ainsi transférer des brevets déjà développés pour obtenir une « box » majoritairement constituée de revenus bruts taxés faiblement.

Le taux réduit d’imposition des revenus de la PI en France étant toutefois supérieur aux taux de droit commun de certains pays européens, l’attractivité fiscale de la France en la matière repose davantage sur la différence de taux applicable à la déduction des charges et à l’imposition des produits. Les entreprises établies en France peuvent ainsi déduire des dépenses de recherche au taux de droit commun, pour lesquelles elles peuvent en outre obtenir un crédit d’impôt, tout en imposant les produits afférents à taux réduit.

Dans le cadre du régime français actuel, il apparaît ainsi opportun, dans la logique même de l’Action 5 de BEPS, de localiser en France ses dépenses de recherche liées à la création de PI et les revenus liés à son exploitation. Les statistiques mises en avant par les responsables politiques français pour défendre l’absence de caractère dommageable du régime français – dont on peut regretter qu’elles n’aient pas été produites plus tôt lors des travaux afférents à l’Action 5 – contredisent d’ailleurs une localisation artificielle des brevets en France. Selon les chiffres repris par Bercy, la part des brevets inventés à l’étranger détenus en France n’est que de 26%, contre 50% en Irlande ou en Suisse en 2015, voire 90% au Luxembourg8.

Aussi, même si la consultation publique semble indiquer que l’approche du nexus sera retenue, ses conséquences devraient être relativement limitées pour les groupes multinationaux tirant actuellement profit du régime fiscal français dans la mesure où la majorité de leurs dépenses de création de PI sont effectivement localisées en France. A ce titre, la possibilité envisagée par la consultation publique de majorer de 30% les dépenses éligibles devraient leur permettre de prendre en compte les éventuelles dépenses externalisées auprès de sociétés liées.

L’orientation du questionnaire de la consultation publique relative à la réforme du régime permet également de conserver un certain optimisme. Loin d’interroger les contribuables sur l’impact de la fin du régime, celui-ci indique « qu’il est envisagé de maintenir un taux réduit de taxation des redevances tirées de l’exploitation [des droits de PI actuellement] couverts par le régime », et ouvre même la possibilité d’une extension à d’autres actifs, tels les logiciels, conformément aux développements de l’Action 5.

Notes

1 https://www.economie.gouv.fr/consultation-reforme-impot-sur-societes. En réponse à la demande du MEDEF, le ministre de l’économie a accepté de repousser au 31 mai la date limite de réponse.
2 OCDE (2016), Lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance, Action 5 – Rapport final 2015, Éditions OCDE.
3 Article 39 terdecies du code général des impôts (CGI).
4 Pour une société à l’IS.
5 Pour les droits acquis à titre onéreux, le régime de taxation réduite n’est applicable qu’à l’issue d’un délai de deux ans.
6 Article 244 quater B du CGI.
7 Article 44 sexies-0 A du CGI.
8 Ingrid Feuerstein, Fiscalité : pourquoi l’OCDE s’attaque au régime français des brevets, Les Echos, 27 janvier 2017.

 

Auteurs

Stéphane Gelin, avocat associé, spécialisé sur la planification fiscale, les prix de transfert et la fiscalité des fusions-acquisitions pour les multinationales françaises et étrangères.

Antoine Faure, avocat en fiscalité internationale

 
Attractivité du régime fiscal des brevets : l’espoir demeure – Article paru dans le magazine Option Finance le 14 mai 2018