Opérations de visites et saisies chez Darty: quand l’Autorité de la concurrence viole le droit à l’assistance effective et immédiate d’un avocat
Les opérations de visite et de saisie (OVS) menées par l’Autorité de la concurrence pour rechercher les preuves de pratiques anticoncurrentielles, appelées aussi « enquêtes lourdes », sont régies par l’article L. 450-4 du Code de commerce. Bien que l’ordonnance du 13 novembre 2008 ait renforcé les droits de la défense des entreprises visitées en prévoyant que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) autorisant les opérations doit comporter la mention de la faculté pour l’occupant des lieux ou son représentant de faire appel à un conseil de son choix (sachant que l’exercice de cette faculté n’entraîne pas, selon ce même texte, la suspension des OVS), cet article ne décrit pas le rôle concret que peut mener l’avocat de la société enquêtée pendant ces opérations.
Le silence gardé par ce texte de loi ne signifie toutefois pas que l’avocat puisse être mis à l’écart lors des enquêtes de concurrence ou que son assistance puisse être réduite à un rôle purement passif. Rappelons en effet que le droit à l’assistance effective d’un avocat est un principe fondamental consacré notamment par la jurisprudence de la CEDH sur le fondement des articles 6§1 et 6§3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH 13 oct. 2009, n°7377/03, Dayanan c/ Turquie) et la pratique décisionnelle du Conseil constitutionnel qui a élevé les droits de la défense au rang constitutionnel (Cons. const. 2 déc. 1976, n°76-70 DC).
Les contours du droit à l’assistance effective d’un avocat dans le cadre de ces enquêtes de concurrence sont également progressivement dessinés par la jurisprudence judiciaire comme l’illustre une ordonnance du premier président de la Cour d’appel de Paris du 28 mars 2018.
L’affaire avait débuté le 17 octobre 2013 au matin lorsque les agents de l’Autorité de la concurrence assistés d’officiers de police judiciaire s’étaient introduits simultanément dans les locaux de plusieurs entreprises soupçonnées d’avoir participé à des pratiques de prix imposés dans le secteur de la distribution de produits dits « blancs » (électroménager) et « bruns » (équipements hi-fi et vidéo, etc.), parmi lesquelles Samsung, Brandt, Miele, Smeg et le distributeur Darty.
Une fois arrivés sur place, les agents de l’Autorité de la concurrence avaient interdit à la société Darty d’appeler toute personne extérieure, y compris ses avocats, avant la fin de la pose des scellés sur les portes des bureaux et locaux à visiter.
La société Darty avait alors contesté à la fois la légalité de l’ordonnance du JLD ayant autorisé les opérations au moyen d’un appel devant le premier président de la Cour d’appel et le déroulement des opérations au moyen d’un recours exercé devant cette même juridiction.
L’ordonnance commentée intervient sur renvoi après cassation de l’ordonnance de la cour d’appel de Paris du 6 janvier 2016 qui avait infirmé l’ordonnance du JLD ayant autorisé les opérations.
Elle confirme finalement l’ordonnance du JLD mais annule les opérations de visite et de saisie menées par l’Autorité de la concurrence dans les locaux de Darty, et ce alors même que l’Autorité de la concurrence avait restitué à la suite de l’arrêt de cassation les documents et supports d’information qui avaient été saisis.
Le premier président de la Cour d’appel relève que la société Darty n’a pas eu la possibilité d’informer son conseil dès le début des opérations mais seulement après la pose de scellés. Il en conclut que ce refus constitue une violation du bénéfice de l’assistance effective et immédiate d’un avocat, ce qui permet à Darty de demander l’annulation des OVS. A cet égard, la démonstration d’un grief par la société n’est pas exigée, le droit à l’assistance effective d’un avocat étant un principe absolu.
Cette ordonnance s’inscrit dans la ligne de plusieurs arrêts faisant suite à ces mêmes OVS rendus par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 4 mai 2017. Dans l’un de ces arrêts relatif aux OVS menées chez Samsung Electronics France, la juridiction suprême avait annulé les procédures de visite et saisie menées au sein de cette société en précisant qu’il résulte de l’article L. 450-4 du Code de commerce que « les droits de la défense peuvent être exercés par l’occupant des lieux dès la notification de l’ordonnance autorisant les opérations de visite et saisie ».
CA Paris ordonnance 28 mars 2018 n°17/16586
Auteur
Amaury Le Bourdon, avocat, droit de la concurrence et droit de la distribution