Autoroutes de l’information et contrôle des comptes financiers : attention radar !
Période traditionnelle d’échanges de vœux, le 1er janvier de cette année est aussi marqué par le début d’une nouvelle ère en matière d’échange d’informations entre les administrations fiscales de différents pays, modification qui intéresse tout particulièrement les établissements financiers.
La globalisation de la communication d’information en matière fiscale a été permise par la prise d’effet de deux textes majeurs :
- l’accord multilatéral sur l’échange automatique d’informations relatives aux comptes financiers (l’«EAI»), accord signé par plus de 60 Etats de l’OCDE, d’une part ;
- la directive 2011/16/UE relative à l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal (la «DCAF»), telle que modifiée par la directive 2014/107/UE, d’autre part.
Ces deux textes ont été élaborés avec comme objectif commun la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales.
I. Normes encadrant la capture et la transmission des informations relatives aux comptes financiers
Pour atteindre cet objectif de lutte contre l’évasion fiscale internationale, l’OCDE a conçu une «Norme d’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers», composée notamment d’un modèle commun de déclaration (Common Reporting Standard). Ce modèle commun énumère ainsi les données à collecter à compter du 1er janvier 2016, ces informations devant être ensuite échangées au plus tard en septembre 2017 avec les services fiscaux des pays susceptibles d’être intéressés par celles-ci.
L’harmonisation mondiale des échanges d’informations a également été favorisée par l’action de l’Union européenne. Cette démarche d’amélioration de la coopération des autorités fiscales des Etats membres s’est inscrite dans le même cadre que celui de l’OCDE en vue d’étendre le champ de l’échange automatique : la finalité sous-jacente de cette action était d’uniformiser les conditions de cet échange pour réduire les coûts et les charges administratives pesant à la fois sur les autorités fiscales et sur les opérateurs économiques.
C’est par voie de directive que l’Union européenne a agi pour étendre la systématisation des échanges d’informations en matière fiscale. L’actuelle DCAF oblige dorénavant les autorités fiscales des Etats membres à communiquer des informations sur un large panel de revenus qui comprend non seulement les revenus de l’épargne, mais également les dividendes et les autres revenus produits par des actifs financiers détenus ou versés sur un compte. La Directive Epargne1, qui contenait déjà des obligations de cette nature pour les paiements d’intérêts, a été abrogée avec effet au 1er janvier 2016 afin d’éviter une accumulation d’obligations et de textes similaires2.
Afin de faciliter le fonctionnement de ce nouveau cadre juridique, il a été décidé que l’échange obligatoire d’information serait réalisé par voie de formulaires informatisés où seraient renseignés un certain nombre de champs destinés précisément à délivrer les détails des comptes financiers. Le règlement européen d’exécution3 établissant les modalités d’application de certaines dispositions de la DCAF décrit ainsi l’arborescence que doit revêtir le format informatique requis pour cet échange d’informations.
Il est également intéressant de relever que la coopération entre administrations est en permanente évolution puisqu’à compter du 1er janvier 2017, la transposition de la nouvelle version de la DCAF4 aura pour effet de rendre obligatoire la transmission des informations relatives (i) aux décisions fiscales anticipées en matière transfrontière et (ii) aux accords préalables en matière de prix de transfert.
II. Mise en place des radars dans notre droit interne
La France a activement participé à l’élaboration des nouvelles règles mondiales et européennes en matière d’obligation d’échange d’informations dans le domaine fiscal. Elle s’est donné les moyens de mettre en œuvre ces nouvelles normes dans les plus brefs délais. Le législateur français a d’abord adopté une première loi5 le 28 décembre 2015 autorisant l’EAI et, dès le lendemain, il s’est empressé de transposer la DCAF en modifiant la lettre de l’article 1649 AC du CGI6. Cet article, initialement conçu pour répondre aux exigences de l’accord FATCA conclu avec les Etats-Unis, constitue désormais la base légale qui rend obligatoire et automatique la déclaration de certaines informations à l’administration fiscale française.
Obligations d’information des institutions financières
La nouvelle rédaction de l’article 1649 AC du CGI en vigueur depuis le 31 décembre 2015 précise les informations exigées au titre de l’application de la DCAF7 et des conventions fiscales que la France a conclues en la matière. Ces obligations d’informations pèsent sur les teneurs de compte, les organismes d’assurance et assimilés ainsi que sur toute autre institution financière. Il s’agit pour ces institutions de déclarer notamment les revenus de capitaux mobiliers, les soldes de comptes et la valeur de rachat des bons ou contrats de capitalisation et placements de même nature. Les entités déclarantes ont par conséquent l’obligation, d’une part, d’identifier les comptes, les paiements ainsi que les personnes concernées et, d’autre part, de collecter les données relatives aux résidences fiscales et les numéros d’identification fiscale (NIF) de l’ensemble des titulaires de comptes et des personnes les contrôlant. Pour chaque client non-résident, il appartient à l’institution financière de transmettre les informations relatives à ce client à l’administration fiscale française et celle-ci sera, dans un second temps, en charge de la transmission de ces informations auprès de l’autorité fiscale du pays de résidence de ce client.
Le manquement à ces obligations est sanctionné par une amende fiscale spécifique fixée à 200 euros par compte déclarable comportant des informations omises ou erronées, sauf si ce manquement résulte du refus du client de transmettre les informations et que l’institution déclarante a informé l’administration de ce refus8.
Avec cette nouvelle rédaction, la France est désormais dotée d’un dispositif lui permettant de se conformer à ses engagements communautaires et conventionnels. Afin que les institutions financières soient en mesure de transmettre à l’administration fiscale les informations portant sur les comptes financiers qu’elles gèrent, il convient maintenant de préciser ces textes sur un plan pratique. Pour ce faire, nous comprenons qu’une instruction spéciale BOI-INT-AEA-20 serait en cours de rédaction. Par ailleurs, le décret relatif aux modalités d’échange d’informations dans le contexte de l’accord FATCA (qui avait complété l’article 1649 AC du CGI alors en vigueur) devrait quant à lui être modifié pour tenir compte de ces nouveautés législatives.
Le maintien des obligations d’information des agents payeurs d’intérêts
Il est enfin utile de rappeler que l’abrogation de la directive Epargne n’a pas pour autant supprimé les obligations déclaratives spécifiques à l’imprimé fiscal unique (IFU) qu’un agent payeur d’intérêts est tenu de remplir9 sous peine d’amende pouvant atteindre jusqu’à 50 % des montants omis ou erronés.
Il y a donc fort à parier qu’à la suite de l’installation de ces nouveaux radars automatiques, les opérateurs financiers vont devoir accroître leur vigilance pour éviter toute mise à l’amende…
Notes
1 Directive 2003/48/CE.
2 Certaines obligations de la Directive Epargne limitativement énumérées sont cependant susceptibles d’être prolongées au-delà du 1er janvier 2016 dans la seule mesure où un paiement d’intérêts serait survenu avant cette date.
3 Règlement européen d’exécution (UE) 2015/2378.
4 DCAF telle que de nouveau modifiée par la directive (UE) 2015/2376 du 8 décembre 2015.
5 Loi 2015-1778 du 28 décembre 2015.
6 Loi 2015-1786 du 29 décembre 2015.
7 Article 8, paragraphe 3 bis de la DCAF (portant sur le champ d’application et les conditions de l’échange automatique et obligatoire d’informations).
8 Article 1736, I, 5 du CGI
9 Articles 242 ter du CGI et des articles 49 I ter à 49 I sexies de l’annexe III au CGI.
Auteurs
Thierry Granier, avocat associé, en matière de fiscalité internationale,
Anne Cadet, fiscalsite en matière de fiscalité internationale