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L’avenir des tarifs réglementés de vente de gaz et d’électricité en question

L’avenir des tarifs réglementés de vente de gaz et d’électricité en question

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu mercredi 7 septembre 2016 sa décision (7 septembre 2016, ANODE, C-121/15) sur la question préjudicielle que lui avait posée le Conseil d’Etat à propos des tarifs réglementés de vente du gaz en France (15 décembre 2014, ANODE, req. 370.321). Ces tarifs doivent être proposés aux petits consommateurs par les opérateurs historiques (GDF-Suez devenue ENGIE, les entreprises locales de distribution) et par Total Energie Gaz. Tous les fournisseurs peuvent concurremment proposer du gaz naturel à tous les consommateurs, à des prix librement fixés et, de fait, inférieurs depuis des années aux tarifs réglementés.

Le Conseil d’Etat demandait d’abord si « l’intervention d’un Etat membre consistant à imposer à l’opérateur historique de proposer au consommateur final la fourniture de gaz naturel à des tarifs réglementés, mais qui ne fait pas obstacle à ce que des offres concurrentes soient proposées, à des prix inférieurs à ces tarifs, par le fournisseur historique comme par les fournisseurs alternatifs » constitue « par sa nature même, une entrave à la réalisation d’un marché du gaz naturel concurrentiel mentionnée à l’article 3, paragraphe 1 de la directive 2009/73/CE ». Si tel devait être le cas, sa seconde question portait sur les objectifs d’intérêt économique général susceptibles de justifier une telle entrave et, en particulier, la sécurité d’approvisionnement et la cohésion territoriale.

S’inscrivant expressément dans la ligne des précédents Federutility, ENEL Produzione et Commission c/ Pologne, et suivant son avocat général, la Cour de justice dit pour droit que les tarifs réglementés constituent une entrave à la réalisation d’un marché du gaz naturel concurrentiel, mais admet que de tels motifs d’intérêt économique général peuvent conduire à rendre une intervention publique sur les prix du gaz compatible avec le droit de l’Union. L’arrêt renvoie largement à la juridiction nationale le soin d’apprécier au cas d’espèce les justifications invoquées par le gouvernement devant la juridiction administrative suprême.


Les tarifs réglementés de vente de gaz constituent une entrave au marché intérieur, susceptible néanmoins d’être justifiée par l’intérêt économique général

La Cour, rappelant ses arrêts Federutility (20 avril 2010, C-265/08), ENEL Produzione (21 décembre 2011, C-242/10) et Commission c/ Pologne (10 septembre 2015, C-36/14), confirme qu’une intervention publique sur le prix de vente du gaz naturel est une mesure qui, par sa nature même, entrave la réalisation du marché intérieur du gaz naturel (Federutility, § 35 et Commission c/ Pologne, § 56), quand bien même cette intervention ne fait pas obstacle à ce que des offres concurrentes soient proposées à des prix inférieurs aux tarifs réglementés par tous les fournisseurs sur le marché.

Cette entrave peut néanmoins être justifiée au regard des articles 14 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union et 3(2) de la directive 2009/73/UE, ainsi que du Protocole n° 26 sur les services d’intérêt général annexé au Traité de l’Union, dans les termes exposés par l’arrêt Federutility à propos de la législation italienne de l’époque. La Cour confirme ainsi que trois conditions doivent être respectées : l’intervention doit poursuivre un objectif d’intérêt économique général ; son imposition doit respecter le principe de proportionnalité ; elle doit prévoir des obligations de service public clairement définies, transparentes, non discriminatoires et contrôlables, ainsi que garantir un égal accès des entreprises de l’Union aux consommateurs.

Sur l’objectif d’intérêt général, les autorités françaises évoquaient la nécessité d’assurer la sécurité d’approvisionnement, ainsi que la cohésion territoriale. La Cour de justice considère que ces exigences constituent en effet des objectifs d’intérêt général qui peuvent, le cas échéant, justifier que soient imposées à des entreprises des obligations de service public portant sur le prix du gaz.

La Cour infère de nouveau du principe de proportionnalité que de telles obligations ne peuvent porter atteinte à la libre fixation du prix de la fourniture de gaz naturel, depuis l’ouverture complète de ce marché à la concurrence (le 1er juillet 2007), que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de l’objectif d’intérêt économique général qu’elles poursuivent et, par conséquent, durant une période nécessairement limitée dans le temps. Cette durée doit être bornée à ce qui est strictement nécessaire pour atteinte ledit objectif. La méthode d’intervention choisie ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Enfin, l’exigence de nécessité doit également être appréciée au regard du champ d’application personnel de la mesure en cause, et plus précisément, de ses bénéficiaires.

La Cour relève enfin qu’elle n’a été saisie d’aucun élément d’analyse de la troisième condition, tout en insistant sur le caractère nécessairement non discriminatoire des obligations de service public.

Le Conseil d’Etat appréciera si le maintien de ces tarifs est justifié en France depuis 2013

Sans lui dénier sa compétence pour apprécier si la législation et la réglementation françaises sont compatibles avec l’ouverture du marché à la concurrence (le Conseil d’Etat est saisi d’un recours contre le décret n° 2013-400 du 16 mai 2013 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel), la Cour donne quelques lignes directrices à la juridiction nationale devant laquelle l’affaire revient maintenant.

Sur la proportionnalité de la mesure, d’abord, la Cour invite le Conseil d’Etat à examiner la composante du prix sur laquelle l’intervention peut être nécessaire et exprime un doute quant au champ d’application national des tarifs réglementés, en se demandant s’il ne serait pas préférable de les réserver à certaines catégories de clients situés dans des zones reculées et identifiées selon des critères géographiques objectifs. De même, en va-t-il ainsi quant au caractère permanent des tarifs réglementés. Enfin, la Cour de justice invite le Conseil d’Etat à examiner s’il est possible de justifier que les tarifs réglementés bénéficient de façon identique aux clients domestiques et aux petites ou moyennes entreprises, au regard des objectifs poursuivis.

S’agissant ensuite de l’obligation de service public consistant à fournir du gaz naturel à des tarifs fixés par l’Etat à tout bénéficiaire potentiel qui le demande, la Cour indique que le système de désignation des entreprises chargées d’obligations de service public ne peut exclure a priori aucune entreprise.

Le débat est donc loin d’être clos.

Parmi les questions sous-jacentes figure celle de l’application éventuelle de cette jurisprudence aux tarifs réglementés de vente d’électricité.

 

Auteurs

Christophe Barthélemy, avocat associé en droit de l’énergie et droit public.

Aurore-Emmanuelle Rubio, avocat en droit de l’énergie et droit public.