Ce qu’il faut savoir sur le licenciement pour faute grave au Maroc
15 septembre 2016
Point sur l’encadrement du licenciement pour faute grave au Maroc, motif pour lequel en droit marocain, il n’existe pas de définition établie.
Il est regrettable pour un employeur de se voir condamné à indemniser un salarié alors que ce dernier avait commis une faute non pas bénigne, mais grave. C’est ce qui est susceptible de se produire lorsque la procédure de licenciement n’est pas correctement appliquée. Par deux décisions récentes rendues successivement le 15 janvier 20151 et le 19 février 20152, la Cour de cassation réaffirme l’importance de l’adage « la forme l’emporte sur le fond » en annulant des licenciements disciplinaires au motif que la procédure prévue à cet effet n’a pas été respectée. Les points sur lesquels il convient d’être vigilant.
Qu’est-ce que le licenciement pour faute grave ?
Rappelons que le licenciement est une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, à l’inverse de la démission (laquelle doit faire l’objet d’un écrit, avec signature légalisée) et de la conciliation préliminaire (qui nécessite l’accord des deux parties auprès de l’inspection du travail). Il peut aussi bien concerner un CDI qu’un CDD.
L’employeur ne peut décider de mettre un terme au contrat de travail qui le lie à un salarié sans justification, sous peine de s’exposer à un contentieux judiciaire. Selon le motif de licenciement invoqué, la procédure suivie et les conséquences sur le salarié seront différentes. Dans le cadre de la présente, nous nous focaliserons sur la procédure de licenciement prévue en cas de faute grave du salarié.
Sur l’échelle des motifs de licenciements disciplinaires, la faute grave constitue l’échelon le plus haut. Le licenciement pour faute grave est invoqué dans le cas où le maintien du salarié dans l’entreprise s’avère impossible dans la mesure où l’intention de nuire à l’employeur ou à son entreprise a été caractérisée.
En droit marocain, il n’existe pas de définition de la notion de faute grave. L’article 393 du Code du travail dresse seulement une liste indicative de ce qui peut constituer une faute grave.
En effet, la gravité de la faute commise par le salarié, si elle justifie un licenciement immédiat, sans indemnité ni préavis, ne suppose ou ne justifie en aucun cas que l’employeur puisse licencier son salarié en dehors de la procédure prévue à cet effet.
Cette procédure découle des dispositions des articles 62 et suivants du Code du travail4.
L’étape centrale de la procédure de licenciement consiste à tenir un entretien préalable à la décision de licenciement. Cet entretien préalable doit se dérouler en présence d’un délégué des salariés ou d’un représentant syndical, lorsque l’entreprise en est dotée, ou le cas échéant par un autre salarié de l’entreprise qui aura été choisi par le salarié auditionné.
L’employeur peut également choisir d’être assisté par une personne appartenant à l’entreprise, voire se faire représenter par un membre du personnel. Ce rendez-vous est obligatoire sous peine de considérer toute la procédure de licenciement comme viciée. La convocation à cet entretien et son déroulement obéissent à un formalisme spécifique sur lequel nous allons nous pencher plus en détail.
Engager la procédure :
Formalisme de rigueur. – Convoquer à l’entretien préalable dans les formes suppose que l’employeur respecte des conditions de délai, de rédaction (mentions obligatoires, telle que l’adresse du lieu de l’entretien, etc.) et d’envoi (LRAR) ou de remise en mains propres, et ce dans un délai ne dépassant pas 8 jours à compter de la date de constatation de la faute par l’employeur. En effet, l’entretien préalable ne peut pas être remplacé par un entretien informel. Néanmoins, des entretiens informels peuvent avoir lieu entre la date de la constatation et l’entretien préalable. S’agissant des modalités de remise de la lettre, les juges de fond admettent une 3e modalité ; la notification par le biais d’un huissier de justice, en référence aux règles établies en matière de procédure civile.
Mener l’entretien :
Entretien individuel. L’entretien préalable a un caractère strictement individuel. Il est exclu que l’employeur entende le salarié en même temps que certains de ses collègues, même si des faits parfaitement identiques leur sont reprochés à tous. Rappelons que cet entretien a pour objet de permettre au salarié de faire part de son point de vue, de sa version des faits qui lui sont reprochés et ce faisant d’assurer sa défense.
L’entretien doit s’effectuer de visu. Le salarié n’a pas l’obligation de se présenter à la convocation de son employeur. Son absence ne constitue pas une faute en elle-même. Dans l’hypothèse où le salarié ne se présente pas à l’audition préalable malgré sa convocation, l’employeur sera alors obligé de recourir à l’inspection du travail (dernier alinéa de l’article 62 du Code du travail).
L’absence du salarié pour cause de maladie oblige l’employeur à organiser un nouvel entretien préalable.
L’entretien ne peut être remplacé ni par un échange de courriers, ni par un entretien téléphonique. Il serait en revanche intéressant de connaître la position des juges marocains sur un entretien préalable se déroulant en visio-conférence.
L’employeur expose ses griefs. L’employeur indique au salarié le ou les motifs de la décision qu’il envisage de prendre. Il commet une irrégularité s’il s’en abstient.
Le salarié se défend. L’employeur recueille les explications du salarié qui est libre de s’exprimer. Sauf abus, ses propos ne peuvent pas constituer une cause de licenciement.
L’employeur entend les éventuelles observations de l’assistant du salarié mais il doit veiller à ce que celui-ci ne monopolise pas la parole : c’est au salarié de s’expliquer.
Parler la même langue. C’est une évidence : l’entretien doit être mené dans une langue compréhensible du salarié. Le cas échéant, si l’employeur est étranger et que le salarié ne comprend pas sa langue, l’employeur doit donc faire appel à un interprète.
Taire l’issue. Aussi artificiel que cela puisse paraître, l’employeur ne doit en aucun cas faire part au salarié de sa décision de le licencier pendant l’entretien.
Si c’est au final le choix retenu, il notifiera le licenciement dans les 48 heures suivant la date où il a pris sa décision (article 63 du Code du travail).
Conclure l’entretien :
Compte rendu obligatoire. L’employeur doit rédiger et signer un compte rendu d’entretien. La signature du salarié est également obligatoire, celle du délégué des salariés présent ne l’est pas. Il est conseillé d’être attentif à la manière dont il est formulé car cet écrit sera probablement produit en justice.
Refus de signature du salarié. En cas de refus du salarié de signer le compte rendu d’entretien, l’employeur doit obligatoirement recourir à l’inspection du travail pour solliciter son intervention, sous peine que la procédure de licenciement ne soit viciée, à moins que l’employeur n’ait fait recours à un huissier de justice pour relater le déroulement de l’entretien.
Clore la procédure :
Notifier le licenciement. Le licenciement pour faute grave est notifié au salarié par courrier remis en main propre contre reçu, envoyé en recommandé avec accusé de réception ou par l’entremise d’un huissier de justice, dans un délai de 48 heures suivant la date à laquelle la décision a été prise ; la lettre de licenciement doit indiquer les motifs justifiant le licenciement du salarié, la date à laquelle le salarié a été entendu, le délai pendant lequel la décision peut être contestée devant le tribunal compétent. En cas de contentieux, le juge base son analyse sur les termes de la lettre de licenciement. A défaut, en cas d’insuffisance des motifs, le juge pourra retenir le caractère abusif du licenciement.
Remise de certains documents à l’inspection du travail. Une copie de la lettre de licenciement assortie du procès-verbal d’audition doit être adressée à l’inspection du travail. La carence de l’employeur est également assimilée par la jurisprudence marocaine à un vice de procédure.
Défaut de procédure. Nonobstant la gravité des faits reprochés au salarié, tout manquement à la procédure de licenciement telle que décrite ci-dessus a pour conséquence de considérer le licenciement comme abusif donnant ainsi droit au salarié à l’ensemble des indemnités de licenciement. La qualification de la faute commise par le salarié importe peu dans la mesure où le caractère irrégulier de la procédure est constaté, conformément à l’adage « la forme l’emporte sur le fond ».
Notes
1 Arrêt n°54 rendu dans le dossier social n°2014/1/5/233
2 Arrêt n°501 rendu dans le dossier social n°2013/1/5/1935
3 L’article 39 du Code du travail dispose que : «Sont considérées comme fautes graves pouvant provoquer le licenciement du salarié :
. le délit portant atteinte à l’honneur, à la confiance ou aux bonnes moeurs ayant donné lieu à un jugement définitif privatif de liberté
. la divulgation d’un secret professionnel ayant causé un préjudice à l’entreprise
. le fait de commettre les actes suivants à l’intérieur de l’établissement ou pendant le travail :
– le vol
– l’abus de confiance
– l’ivresse publique
– la consommation de stupéfiants
– l’agression corporelle
– l’insulte grave
– le refus délibéré et injustifié du salarié d’exécuter un travail de sa compétence
– l’absence non justifiée du salarié pour plus de quatre jours ou de huit demi-journées pendant une période de douze mois
– la détérioration grave des équipements, des machines ou des matières premières causée délibérément par le salarié ou à la suite d’une négligence grave de sa part
– la faute du salarié occasionnant un dommage matériel considérable à l’employeur
– l’inobservation par le salarié des instructions à suivre pour garantir la sécurité du travail ou de l’établissement ayant causé un dommage considérable
– l’incitation à la débauche
– toute forme de violence ou d’agression dirigée contre un salarié, l’employeur ou son représentant portant atteinte au fonctionnement de l’entreprise».
4 NB : L’employeur doit également respecter la procédure légale prévue pour le licenciement pour faute grave quand il envisage prononcer le 3e et 4e grade des sanctions disciplinaires.
En outre, pour les délégués de salariés ou les représentants syndicaux, l’employeur devra, en parallèle, entreprendre une procédure supplémentaire, telle que prévue par les dispositions des articles 457 et suivants du Code du travail.
AuteurS
Marc Veuillot, avocat, responsable CMS Bureau Francis Lefebvre Maroc
Ibrahim Douhmad, juriste CMS Bureau Francis Lefebvre Maroc
Avis d’expert : ce qu’il faut savoir sur le licenciement pour faute grave au Maroc – Article paru dans L’Usine Nouvelle paru le 14 septembre 2016
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