Bail commercial et défiscalisation : l’obligation de loyauté du preneur
L’exploitant d’une résidence services, preneur à bail commercial conclu dans le cadre d’une opération de défiscalisation, qui se réserve la faculté de donner congé à l’issue de la première période triennale et qui use de cette prérogative, manque à son devoir de loyauté contractuelle. Tel est l’enseignement de l’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 5 octobre 2017.
En l’espèce, des particuliers avaient acquis en l’état futur d’achèvement des maisons individuelles destinées à être exploitées en résidence pour personnes âgées. Pour bénéficier d’avantages fiscaux, les propriétaires ont, chacun, consenti un bail de neuf ans à une société exploitante, avec faculté pour elle de résilier les baux à chaque période triennale. La société locataire a donné congé aux bailleurs au terme de la première période triennale. C’est dans ce contexte que les bailleurs ont assigné la société locataire en indemnisation de leurs différents préjudices.
Dans un arrêt du 18 mars 2016, la cour d’appel de Poitiers a relevé que la conclusion des baux commerciaux s’inscrivait dans une opération de défiscalisation et que la société locataire n’ignorait pas que le régime fiscal favorable, dont les bailleurs devaient bénéficier, serait compromis en cas de cessation de la location des biens en meublé. Elle a ainsi condamné la société locataire pour manquement à son devoir de loyauté contractuelle.
Saisie par la société locataire, la Cour de cassation confirme cette analyse. Sa décision est salutaire d’un point de vue fiscal. Au-delà du cas particulier qui en est l’objet, elle est susceptible de concerner les nombreux dispositifs fiscaux qui se succèdent au fil du temps pour inciter les particuliers à investir dans des biens immobiliers notamment en résidences services (par exemple, le « Censi-Bouvard », voire le « Duflot-Pinel » actuellement), et qui conditionnent en principe le bénéfice de l’avantage fiscal à un engagement de location effective et continue du bien pendant neuf ans. L’administration fiscale admet des dérogations au caractère continu de la location, mais celles-ci sont limitées et reposent sur des conditions strictes (ex. liquidation du locataire exploitant, vacance courte, etc.). La Cour vient donc sécuriser la situation de particuliers bailleurs dont les engagements sont dépendants du comportement des exploitants, sur lesquels ils ont peu de prise.
Cette décision fait écho à une autre décision récente de la Cour qui a affirmé, sans aucun fondement textuel, que l’article L.145-7-1 du Code de commerce imposant une durée ferme et obligatoire de neuf ans minimum pour les baux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme classées, est d’ordre public même pour les baux conclus avant son adoption par la loi dite « Tourisme » n°2009-888 du 22 juillet 2009 (Cass. 3e civ., 9 février 2017, n°16-10.350).
Une question prioritaire de constitutionnalité avait été soulevée pour violation du principe d’égalité entre les exploitants résidence de tourisme classées et les autres exploitants qui bénéficient de la faculté de résiliation triennale.
La Cour de cassation avait considéré que la différence de traitement existant entre les preneurs de logements situés dans une résidence de tourisme classée, qui seuls ne peuvent user de la faculté de résiliation triennale en application de la loi, et les autres locataires commerciaux, est justifiée par un motif d’intérêt général d’ordre économique tenant à la nécessité de garantir la pérennité de l’exploitation des résidences de tourisme classées. Elle avait ainsi refusé de transmettre la QPC (Cass. 3e civ., 16 mars 2017, n°16-40.253).
Compte tenu de la solution commentée, la différence de traitement ne se justifie guère, ce qui devrait conduire en pratique à une extension de l’article L.145-7-1 du Code de commerce à l’ensemble des bénéficiaires de ces dispositifs fiscaux.
Auteurs
Frédéric Gerner, avocat associé, droit fiscal
Sandra Kabla, avocat counsel, droit immobilier et droit commercial