Bientôt du nouveau sur la nature de l’action indemnitaire pour rupture d’une relation commerciale établie en droit de l’Union européenne ?
Dans le cadre d’un litige relatif à la rupture de relations commerciales établies, la cour d’appel de Paris a posé à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle portant sur la « qualification de l’action indemnitaire pour rupture de relations commerciales établies en cas de fourniture de marchandises pendant plusieurs années à un distributeur sans contrat cadre ni exclusivité » (CA Paris, 7 avril 2015, n°14/17985, Société Granaloro c/ Société Ambrosi).
En l’espèce, des relations commerciales existaient, depuis environ vingt-cinq ans, sans contrat cadre, entre une société de droit italien et une société de droit français. La société italienne a informé la société française de sa décision de changer de distributeur vingt jours avant l’échéance, ce qui aurait dû constituer une durée de préavis insuffisante au regard de l’article L.442-6 I 5° du Code de commerce.
En droit interne français, il est dorénavant établi que l’action relative à la rupture des relations commerciales relève de la matière délictuelle (Cass. Com., 18 janvier 2011, n°10-11.885 et Cass. Com., 20 mai 2014, n°12-26.705). Cette interprétation avait d’ailleurs été suivie en première instance par le tribunal de commerce de Marseille.
Toutefois, lorsque la situation présente, comme en l’espèce, un caractère international, la qualification de nature délictuelle ou contractuelle de l’action détermine l’application de l’article 5.1 ou de l’article 5.3 du règlement (CE) n°44/2001 (dit règlement Bruxelles I) et donc la compétence du tribunal. Si l’action est qualifiée de délictuelle, le tribunal compétent sera, en application de l’article 5.3 du règlement celui du fait dommageable. Si au contraire elle est qualifiée de contractuelle (en tant qu’elle vise la cessation d’un contrat), le tribunal compétent sera, en matière de vente de marchandises à supposer cette seconde qualification retenue, celui de l’Etat membre dans lequel en vertu du contrat les marchandises ont été ou auraient dû être livrées au sens de l’article 5.1 (b) dudit règlement.
Au regard du droit de l’Union européenne cette qualification d’action contractuelle ou délictuelle est dite autonome par rapport à celle retenue par les droits nationaux et relève donc de la compétence du droit communautaire. Ainsi, la matière délictuelle au sens de l’article 5.3 du règlement Bruxelles I vise toute demande mettant en jeu la responsabilité d’un défendeur et ne relevant pas de la matière contractuelle au sens de l’article 5.1 du règlement (CJCE, 27 septembre 1988, aff. C-189/87, Athanasios Kalfelis c/ Banque Schröder, Münchmeyer, Hengst et Cie, et a.). La matière délictuelle se définit donc « en creux » par rapport à la notion de matière contractuelle. Toutefois, la Chambre commerciale de la Cour de cassation ne paraît pas toujours suivre le cheminement communautaire puisqu’elle s’est déjà fondée, dans des espèces internationales, sur la nature délictuelle de la responsabilité issue de l’article L.442-6 I 5° pour justifier l’application de l’article 5.3 (cf. notamment Cass. Com., 25 mars 2014, n°12-29.534).
Or, en l’espèce, bien que la cour d’appel réaffirme que l’action fondée sur l’article L.442-6 I 5° est de nature délictuelle en droit interne français, elle adopte la démarche du droit communautaire et sursoit à statuer afin de connaître la position de la Cour de justice de l’Union européenne sur cette intéressante question. La décision de la Cour d’appel doit être saluée en ce qu’elle permettra de clarifier les débats futurs d’un contentieux français d’importance majeure.
Auteur
Stéphanie de Giovanni, avocat en droit de la distribution et contrats internationaux.