Bilan de la jurisprudence récente sur les conditions de recours au travail de nuit
9 décembre 2014
Afin d’assurer la protection de la santé des salariés, la mise en place du travail de nuit dans l’entreprise est subordonnée à des conditions particulièrement restrictives. Le recours au travail de nuit est exceptionnel et ne peut être envisagé comme un mode d’organisation normal du travail au sein de l’entreprise.
Au plan formel, la mise en place structurelle du travail de nuit dans l’entreprise ou son extension à de nouvelles catégories de salariés est subordonnée à la conclusion préalable d’un accord collectif, qui doit comporter des clauses obligatoires parmi lesquelles, les raisons qui permettent de justifier le recours au travail de nuit. A défaut d’accord collectif, l’obtention préalable d’une autorisation de l’inspection du travail est indispensable.
Le projet de mise en place ou d’extension du travail de nuit, doit par ailleurs donner lieu à l’information et à la consultation préalable des représentants du personnel, ainsi qu’à une consultation spécifique du médecin du travail.
En outre, le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit est une modification du contrat de travail qui ne peut être imposée au salarié sans son accord.
Les critères justifiant le recours au travail de nuit sont particulièrement stricts.
L’article L.3122-32 du Code du travail prévoit expressément que le recours au travail de nuit doit être exceptionnel. A cet égard, l’administration du travail a précisé que le caractère exceptionnel pouvait résulter de l’appartenance de l’entreprise à un secteur d’activité particulier. Il est vrai que dans certains secteurs, le travail de nuit est inhérent à l’activité exercée (discothèques, casinos, hôpitaux, etc.). Dans les autres secteurs, le recours au travail de nuit implique en revanche d’examiner au préalable si d’autres possibilités d’aménagement du temps de travail sont envisageables (Circulaire DRT n° 2002-09 du 5 mai 2002).
Par ailleurs, le Code du travail subordonne le recours au travail de nuit à deux conditions supplémentaires : il doit prendre en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et il doit être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale.
C’est sur le fondement de ces dispositions que la Société SEPHORA s’est récemment vue interdire de faire travailler des salariés après 21 heures dans son magasin situé avenue des Champs-Elysées.
Dans le cadre de cette affaire, l’enseigne a tout d’abord tenté de contester la constitutionnalité des dispositions du Code du travail fixant les conditions de recours au travail de nuit, en se fondant notamment sur l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre.
Saisi dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a néanmoins jugé le 4 avril 2014, que les dispositions du Code du travail portant sur les conditions du recours au travail de nuit étaient conformes à la Constitution dès lors qu’elles permettaient notamment de concilier, sans déséquilibre manifeste, la liberté d’entreprendre et l’impératif de protection de la santé.
C’est dans le prolongement de cette décision que, le 24 septembre 2014, la Cour de cassation a mis un terme à cette affaire très médiatisée en posant pour principe que «le travail de nuit ne peut pas être le mode d’organisation normal du travail au sein d’une entreprise et qu’il ne doit être mis en œuvre que lorsqu’il est indispensable à son fonctionnement» (Cass. soc, 24 septembre 2014, n° 13-24.851).
Partant du postulat que le commerce de la parfumerie n’est pas un secteur où le travail de nuit est inhérent à l’activité, la chambre sociale a considéré qu’en l’espèce, pour justifier le recours au travail de nuit, l’enseigne aurait dû démontrer qu’il n’existait pas d’autre possibilité d’aménagement du temps de travail et que son activité économique supposait le recours au travail de nuit.
Or, les arguments tirés de l’emplacement exceptionnel du magasin situé avenue des Champs-Elysées, de sa spécificité par rapport aux autres magasins de l’enseigne qui sont exclusivement ouverts la journée et de l’importance du chiffre d’affaires réalisé sur la période de nuit (20%), n’ont pas été considérés comme suffisants par la Haute Cour pour caractériser la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique et justifier le recours au travail de nuit.
Le faible volume d’heures effectuées de nuit ne suffit pas à écarter l’application des sanctions pénales prévues en cas de recours illégal au travail de nuit.
La sévérité de la position retenue par la Cour de cassation doit encourager les employeurs à faire preuve de la plus grande prudence en cas de recours au travail de nuit.
Rappelons en effet que la méconnaissance des dispositions relatives aux conditions de mise en place du travail de nuit est sanctionnée pénalement. Ainsi, récemment, la chambre criminelle de la Cour de cassation a sanctionné par une peine d’amende, un employeur du secteur du commerce alimentaire au motif qu’il n’était pas en mesure de démontrer que le recours au travail de nuit était nécessaire pour assurer la continuité de son activité économique.
Pourtant en l’espèce, l’employeur semblait disposer d’un argument solide, puisque les salariés concernés n’effectuaient pas un volume d’heures suffisant sur la période comprise entre 21 heures et 6 heures, pour être qualifiés de travailleurs de nuit (Cass. crim, 2 septembre 2014, n° 13-83.304).
Auteur
Céline Renault-Cossoul, avocat, intervient dans le conseil et la défense des entreprises en matière de droit du travail, droit de la sécurité sociale et de la protection sociale.
Article paru dans Les Echos Business le 8 décembre 2014
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