Bitcoins : quelle fiscalité ?
Par un arrêt du 26 avril (n°417809, 418030, 418031, 418032, 418033), le Conseil d’Etat s’est prononcé sur les modalités d’imposition des cessions ou échanges de « bitcoins » par des particuliers, telles que prévues jusqu’alors par la doctrine administrative.
En effet, rappelons que la doctrine administrative (n°730 du BOI-BIC-CHAMP-60-50 et n°1080 du BOI- BNC-CHAMP-10-10-20-40) distingue :
- les cessions réalisées à titre occasionnel, qui relèvent du régime des bénéfices non commerciaux (BNC) ;
- et les cessions réalisées à titre habituel, qui relèvent du régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).
En cas de soumission à la tranche marginale du barème de l’impôt sur le revenu, ce traitement peut conduire à un niveau d’imposition (hors prélèvements sociaux) de plus de 45%.
Dans sa décision, le Conseil d’Etat, adopte une approche différente, qui conduit à invalider partiellement la doctrine administrative, en considérant que :
- dans la mesure où les « unités de bitcoin » ont la nature de biens meubles incorporels, le gain issu de leur cession relève en principe du régime des plus-values sur cession de biens meubles prévu à l’article 150 UA du CGI (conduisant à appliquer à la plus-value un abattement de 5% pour chaque année de détention au-delà de la deuxième, avant de la soumettre, à un taux d’impôt sur le revenu de 19% et de prélèvements sociaux de 17,2%).
Deux précisions doivent être apportées :
- les cessions pour un prix inférieur à 5 000 euros sont exonérées ;
- les moins-values constatées lors de cessions antérieures de même nature ne sont pas imputables sur les plus-values constatées ultérieurement.
Ce régime s’avère plus avantageux que le régime issu des commentaires administratifs en cas de soumission au taux marginal du barème progressif, sous réserve de l’imputation des pertes :
- la cession peut toutefois relever :
– des BNC, lorsque le « bitcoin » cédé (même à l’occasion d’une cession unique) a constitué la contrepartie de la participation du contribuable à la création ou au fonctionnement du système d’unité de compte virtuelle : ce cas vise les bitcoins générés par minage ;
– des BIC, en cas de profits tirés de l’exercice habituel d’une activité de cession « d’unités de bitcoin » acquises en vue de leur revente, y compris lorsque la cession prend la forme d’un échange contre un autre bien meuble (ce qui revient à confirmer la doctrine administrative sur ce point).
Après application du barème progressif de l’impôt sur le revenu (selon le régime réel ou micro), l’imposition marginale de ces deux types de revenus peut atteindre 45%, auxquels il convient d’ajouter les prélèvements sociaux et le cas échéant la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus de 3 ou 4%.
La qualification des gains de cession de bitcoins selon le régime des plus-values de cession des biens meubles met à la charge des cédants des obligations relativement précises. En effet, le cédant, pour déterminer la plus-value imposable, devra non seulement indiquer le prix de cession et le prix d’acquisition des bitcoins cédés, ainsi que – s’il souhaite bénéficier de l’abattement pour durée de détention – la date d’acquisition des bitcoins cédés.
Par ailleurs, il est important de rappeler que le contribuable est tenu de déposer spontanément auprès de son centre des impôts une déclaration spécifique (imprimé 2048-M) dans le mois qui suit la cession, accompagné du paiement de l’impôt correspondant.
Concernant les contribuables ayant été imposés au barème progressif de l’impôt sur le revenu à raison de gains réalisés antérieurement à l’arrêt du Conseil d’Etat, ils pourront, s’ils y ont intérêt et sous réserve qu’ils ne relèvent pas des catégories des BNC (minage) ou de celles de BIC (achat / revente), déposer une réclamation contentieuse afin d’obtenir le dégrèvement du surcoût d’impôt résultant de l’application de la doctrine administrative. Le délai pour formuler cette réclamation est de trois ans : à titre d’illustration, un contribuable imposé au barème progressif de l’impôt sur le revenu au titre d’un gain sur bitcoins réalisé en 2017 peut déposer une réclamation jusqu’au 31 décembre 2020.
A ce stade, la question de la portée de l’arrêt du Conseil d’Etat se pose.
S’il est certain qu’elle dépasse les gains sur bitcoins et qu’elle est applicable à tous les gains sur les crypto-monnaies (Ether, Ripple…), on peut s’interroger sur sa transposabilité aux autres crypto-actifs et plus particulièrement aux tokens souscrits dans le cadre d’ICO (Inital Coin Offerings).
En effet, le développement de ces opérations, qui constituent une alternative aux financements traditionnels, soulève de nombreuses questions fiscales notamment concernant la fiscalité des souscripteurs :
- lors de l’acquisition de tokens au moyen de crypto-monnaie : sur ce point, la solution dégagée par le Conseil d’Etat s’applique assurément au gain d’échange constaté par le souscripteur, alors même que l’opération ne génère pas de liquidités au moyen desquelles il pourra se libérer de l’imposition qui doit être acquittée dans le mois suivant l’opération ;
- lors de la cession des tokens à un tiers : la solution dégagée par le Conseil d’Etat semble pouvoir être défendue, sous réserve que les tokens puissent être qualifiés de bien meubles incorporels, comme les bitcoins.
La loi PACTE, dont le projet est en cours d’examen par le parlement, pourrait être une occasion d’apporter de précieux éclaircissements sur la fiscalité applicables aux opérations sur les crypto-monnaies et sur les crypto-actifs.
Auteurs
Matias Labé, avocat counsel, droit fiscal
Mathilde Gauthier, avocat, droit fiscal