Un bonus peut-il être discrétionnaire ?
3 avril 2014
Si la jurisprudence admet l’attribution par l’employeur de primes ou bonus sur une base discrétionnaire et indépendamment donc de tout critère prédéterminé, c’est sous réserve du respect des principes d’égalité et de non discrimination.
Une liberté consacrée
Indépendamment des éléments de rémunération prévus par le contrat de travail, l’employeur peut-il accorder à des salariés qu’il estime particulièrement méritants une prime additionnelle, dont le montant est librement déterminé et ce, sans risquer ensuite de devoir la verser chaque année ?
La Cour de cassation répond positivement à cette question(1), en rappelant toutefois que si cet élément de rémunération présente les critères de «généralité» (l’ensemble des salariés ou une catégorie d’entre eux est concernée), «fixité» (la prime est fixe dans son principe, bien que pouvant évoluer dans son montant) et «constance» (la prime est versée avec régularité), il est constitutif d’un usage. Son éventuelle remise en cause nécessite alors le respect de la procédure correspondante : information des représentants du personnel, information des salariés et respect d’un délai de prévenance.
Indépendamment de cette éventuelle qualification d’usage de la prime en cause, s’est posée la question de la nécessaire prédétermination des règles d’octroi de cet avantage.
A ce sujet, deux décisions rendues en 2007(2) par la chambre sociale de la Cour de cassation ont pu semer le doute. La juridiction suprême avait, en effet, affirmé que «si l’employeur peut accorder des avantages particuliers à certains salariés, c’est à la condition que tous les salariés de l’entreprise placés dans une situation identique puissent bénéficier de l’avantage ainsi accordé et que les règles déterminant l’octroi de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables».
Or, un avantage discrétionnaire ne découlant d’aucune obligation ne pouvait par nature être prédéfini.
Certainement consciente de la nécessité de clarifier cet important point, la chambre sociale de la Cour de cassation a eu l’occasion de le faire dans un arrêt en date du 10 octobre 2012(3). Après avoir précisé que le contrat de travail pouvait prévoir l’attribution d’une prime laissée à l’appréciation de l’employeur, la Cour de cassation a ainsi affirmé que ce dernier pouvait continuer à verser un bonus discrétionnaire sans se fonder sur des critères objectifs préalablement déterminés. Dans cette décision, un salarié d’une banque bénéficiait d’une rémunération de base à laquelle venait s’ajouter un bonus discrétionnaire. Il a pris acte de la rupture de son contrat de travail et demandé devant la juridiction prud’homale la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, en raison du caractère selon lui illicite des modalités de ce bonus discrétionnaire.
Pour rejeter les demandes du salarié, la Cour de cassation affirme donc tout d’abord que l’employeur dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, est en droit d’attribuer une prime laissée à sa libre appréciation mais elle apporte un important tempérament à cette liberté : «sous le contrôle des juges, l’employeur a le devoir de justifier des raisons objectives de l’attribution ou non d’une prime discrétionnaire et ce, dans le respect du principe d’égalité de traitement».
Une liberté encadrée : le nécessaire respect des principes d’égalité de traitement et de non discrimination
Le tempérament à la liberté d’attribution d’une prime discrétionnaire est ainsi clairement énoncé : son exercice ne doit pas porter atteinte au principe d’égalité de traitement.
Ce principe d’égalité de traitement avait, rappelons-le, été dégagé en 1996 par la Cour de cassation dans son arrêt Ponsolle et en ces termes : «la règle de l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes [est] une application de la règle plus générale « à travail égal, salaire égal » […] ; qu’il s’en déduit que l’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés de l’un ou l’autre sexe, pour autant que les salariés en cause sont placés dans une situation identique». Et la Cour de cassation de préciser, dans un arrêt en date du 30 avril 2009(4) qu’il «appartient à l’employeur d’établir que la différence de rémunération constatée entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale, est justifiée par des éléments objectifs et pertinents que le juge contrôle».
En d’autres termes et si l’employeur peut librement décider d’octroyer un bonus à l’un de ses salariés, il doit veiller à ce que ses collègues «effectuant un même travail ou un travail de valeur égale» le perçoivent également. A défaut ils s’exposent à ce que ces derniers en sollicitent également le versement devant la juridiction prud’homale.
Au principe d’égalité de traitement convient-il à présent d’ajouter le principe de non discrimination. Ce principe d’ordre public, sanctionné civilement mais également, à la différence du principe d’égalité de traitement, pénalement, fait obstacle à ce que la non attribution d’un bonus repose sur un motif illicite (le sexe du salarié, son appartenance syndicale etc.).
En conclusion il peut donc être relevé :
- que l’employeur peut décider d’octroyer unilatéralement une prime à un salarié et ce, indépendamment de toute stipulation dans son contrat de travail ;
- que cette attribution doit cependant tenir compte de la situation des autres salariés avec lesquels une comparaison peut être utilement opérée, afin d’éviter toute atteinte aux principes d’égalité de traitement voire de non discrimination.
Il convient enfin de réserver la situation particulière des banques et des établissements financiers ou des sociétés de gestion pour lesquelles l’attribution des rémunérations variables donne lieu à un encadrement particulier (directives CRDIV, AIFM….).
Notes
1. Cass. soc., 20 juill. 1978, Bull civ. 1978, V, n°611
2. Cass. soc., 27 mars 2007, n°05-42587 & 25 oct. 2007, n°05-45.710
3. Cass. soc., 10 oct. 2012, n°11-15.296
4. Cass. soc., 30 avril 2009, n°07-40.527
A propos de l’auteur
Pierre Bonneau, avocat associé. Il intervient en conseil et contentieux en droit du travail, droit pénal du travail et droit de la protection sociale.
A lire également
Le salarié créateur de logiciel : l’articulation délicate entre droit d’a... 4 août 2017 | CMS FL
Loi relative aux restrictions d’accès à certaines professions en raison ... 7 décembre 2021 | Pascaline Neymond
Le périmètre de l’obligation consultative du CE en cas de cession d’une br... 2 novembre 2015 | CMS FL
De l’instabilité chronique du régime des actions gratuites... 28 décembre 2016 | CMS FL
Clause Molière : l’utilité du débat en question... 28 juillet 2017 | CMS FL
La mise à l’épreuve des délégations de pouvoir «horizontales» dans les g... 8 juillet 2022 | Pascaline Neymond
Ruptures du contrat de travail et transaction : les écueils à éviter... 15 juillet 2013 | CMS FL
Cessions d’entreprises en difficulté : typologie des risques en droit social... 1 octobre 2018 | CMS FL
Articles récents
- La convention d’assurance chômage est agréée
- Sécurité sociale : quelles perspectives pour 2025 ?
- L’intérêt à agir exclut la possibilité pour un syndicat professionnel de demander la régularisation de situations individuelles de salariés
- Présomption de démission en cas d’abandon de poste : les précisions du Conseil d’Etat sur le contenu de la mise en demeure
- Quel budget pour la sécurité sociale en 2025 ?
- Syntec : quelles actualités ?
- Modification du taux horaire minimum de l’allocation d’activité partielle et de l’APLD
- Congés payés acquis et accident du travail antérieurs à la loi : premier éclairage de la Cour de cassation
- Télétravail à l’étranger et possible caractérisation d’une faute grave
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable