Bref panorama de la jurisprudence 2017 sur les transferts de droits sociaux
Tous les ans, les opérations de M/A donnent inexorablement lieu à des contentieux nombreux qui concernent tant la formation des opérations que leurs conséquences. 2017 aura encore apporté, sinon de véritables innovations, tout au moins des précisions et illustrations utiles pour la pratique.
La jurisprudence de l’année 2017 relative aux transferts de droits sociaux offre aux praticiens des visages multiples. Sans doute, les grandes décisions de principe qui font évoluer un domaine n’ont pas véritablement été au rendez-vous. Dans beaucoup de cas, on s’inscrit dans le sillage d’une solution déjà établie. On ne saurait cependant tenir ces décisions pour négligeables car elles apportent divers éclairages et précisions, sur le régime de l’opération de transmission (I) et sur le régime des garanties mises à l’épreuve par cette transmission (II). Un bref panorama, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, ne semble en ce sens pas inutile.
I) Le régime de l’opération de transmission
S’agissant d’une cession de titres, l’opération suppose d’abord que les titres soient susceptibles d’être cédés. L’existence de limites statutaires ou conventionnelles à la cessibilité des titres est souvent de ce point de vue une source de difficultés. En particulier, la détermination des frontières d’éventuels droits de préemption est l’objet de nombreux contentieux : l’année 2017 a apporté un nouveau lot de tels contentieux (v. not. Com., 21 juin 2017, n°15-24.534). Bien que la matière soit factuelle, le contrôle de la Cour de cassation paraît assez strict ; il en va ainsi en cas de fraude à la préemption, où même non soumise à un droit de préemption visant les seules cessions de contrôle, la cession d’une participation minoritaire constitue une fraude à ce droit si elle s’accompagne de modifications statutaires donnant le contrôle, serait-il seulement conjoint, à l’acquéreur (Com., 15 mars 2017, n°15-20.440).
La Cour de cassation a encore enrichi sa jurisprudence relative à la sanction de l’obligation d’information inhérente au devoir de loyauté du dirigeant qui se porterait acquéreur de titres pour les revendre aussitôt plus cher : il est rappelé que le préjudice subi par l’actionnaire en cas de réticence dolosive ne consiste qu’en la perte d’une chance de pouvoir négocier ses actions à un meilleur prix (Com., 15 mars 2017, n°15-14.419).
La cession de droits sociaux nécessite la stipulation d’un prix réel et sérieux, l’absence de ces qualités entraînant la nullité du contrat, et non sa requalification en libéralité à défaut d’intention libérale du cédant vis-à-vis de l’acquéreur (CE, 25 janvier 2017, n°392063 et 392065). L’évaluation du caractère suffisant de la contrepartie au transfert des parts s’avère particulièrement sensible lorsque la cession envisagée est une composante d’une transaction à laquelle le cédant serait partie : la transaction est en effet nulle si n’est pas constatée l’existence de concessions réciproques (C. civ., art. 2044). En revanche est valable la transaction aux termes de laquelle le dirigeant et principal actionnaire d’une société concessionnaire automobile cède ses actions au constructeur pour un euro, le cessionnaire s’engageant par ailleurs à investir dans la société. Si le cédant n’est pas, dans une telle hypothèse, le bénéficiaire direct des concessions financières consenties à la société, ces dernières assurent la poursuite de l’activité de la société, dont il retire un avantage en conservant ses fonctions de dirigeant, auxquelles est attachée une rémunération substantielle (Com., 5 juillet 2017, n°15-22.220).
Si l’on s’intéresse maintenant aux effets du contrat de cession, la cession des parts sociales emporte cession des droits attachés aux titres et seulement de ces droits-là. En revanche, la cession n’emporte pas transfert de plein droit à l’acquéreur du compte courant d’associé sauf clause contraire en ce sens. La Cour de cassation n’est pas revenue sur ce principe (pour une illustration, v. Com., 5 juillet 2017, n°15-20.806).
Sur le front du contentieux des transmissions à titre universel, la jurisprudence continue de préciser les effets de la transmission : ainsi, l’opération de restructuration ne pourra emporter transmission du passif civil à la société bénéficiaire dans le cadre d’un apport d’actifs sans transmission universelle du patrimoine (Com., 26 avril 2017, n°15-25.622).
Des éléments sont aussi apportés quant à la transmission du passif pénal. S’il est bien établi que la responsabilité pénale d’une société absorbante ne peut être recherchée pour des faits commis par la société absorbée, ou encore que la sanction pénale prononcée à l’encontre de l’absorbée ne peut se transmettre à la société absorbante du fait de l’extinction de l’action publique, quid du paiement des dommages-intérêts aux parties civiles au titre de l’action civile intentée contre l’absorbée ? La Cour de cassation admet la transmission d’une telle obligation à l’absorbante : celle-ci, venant aux droits et obligations de la précédente, est tenue de payer des dommages-intérêts aux parties civiles, dès lors que cette dernière a fait l’objet d’une fusion-absorption après qu’il ait été statué au fond sur l’action publique (Crim., 28 février 2017, n°15-81.469).
II) Transmission et garanties
Le contentieux des garanties de passif est dense et l’année 2017 n’a pas dérogé à la tendance des dernières années. La jurisprudence apporte quelques éclairages, confirmant s’il en était besoin une tendance marquée à s’en remettre au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Ainsi pour la sanction encourue en cas de non-respect par le cessionnaire de la procédure de mise en œuvre de la garantie fixée par les parties, à défaut de précisions contractuelles. Au début de l’année 2017, la Cour de cassation a ainsi rejeté le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel jugeant que le non-respect de la procédure n’est pas de nature à priver à lui seul le cessionnaire du bénéfice de la garantie, et peut seulement donner lieu au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice que le retard apporté à la notification convenue a pu causer aux cédants (Com., 25 janvier 2017, n°15-17.137, 15-18.246). Peut-on considérer que la garantie a été consentie au bénéfice de la société cédée en l’absence de stipulation claire en ce sens ? Un arrêt du 8 mars dernier juge que le seul bénéficiaire d’une garantie d’actif et de passif est, en principe, l’acquéreur des droits sociaux, et qu’à défaut de stipulation claire en faveur de la société cédée, elle n’est pas la bénéficiaire de la garantie (Com., 8 mars 2017, n ° 15-19.174).
Comme précédemment, il convient de s’interroger sur les opérations de transmission universelle. La dernière jurisprudence de la Cour de cassation a pu préciser les règles applicables en matière de cautionnement dans les opérations de fusion. Si la disparition par absorption du créancier met en principe fin à l’obligation de couverture de la caution (solution déduite de C. civ., art. 2292), celle-ci demeure tenue à raison des dettes nées antérieurement à la fusion, ce qui est le cas du prêt souscrit avant celle-ci, la dette naissant de la remise des fonds (Com., 22 février 2017, n°14-26.704). Intérêts, pénalités et frais afférents au prêt peuvent dès lors être demandés à la caution par la société absorbante, puisque ces créances prennent naissance le jour où ce prêt a été contracté (Com., 20 avril 2017, n°15-19581).
Il en va de même en cas de transmission à titre universel touchant non plus le créancier mais le débiteur : l’obligation de la caution qui s’était engagée à garantir ses dettes n’est maintenue pour la garantie des dettes de la société absorbante nées postérieurement à la fusion que dans le cas d’une manifestation expresse de volonté de cette caution d’étendre sa garantie à de telles dettes (Com., 17 mai 2017, n°15-15.745). Le fait que la société absorbante « ne [soit] pas étrangère à l’opération de cautionnement » est sans conséquence : la survivance alléguée de l’intuitus personae à l’opération de transmission à titre universel ne permet pas de maintenir l’engagement initial de la caution auprès de la société absorbante en l’absence de stipulation claire en ce sens, sauf à présumer le cautionnement, à l’encontre de ce que prévoit l’art. 2292 C. civ. La règle est étendue aux sous-cautionnements : en cas d’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions à une autre société par le créancier, l’obligation de la sous-caution, qui s’était engagée envers la caution de ce créancier, n’est maintenue pour la garantie des dettes nées postérieurement à la scission que dans le cas d’une manifestation expresse de volonté de la sous-caution (Com., 8 mars 2017, n°15-14.290).
Cette solution ne vaut, en tout état de cause, pas pour les garanties autonomes : dans un arrêt remarqué du 31 janvier 2017, la Cour de cassation a pu estimer de manière encore inédite semble-t-il que la garantie autonome, qui ne suit pas l’obligation garantie (C. civ., art. 2321 al. 4), n’est pas transmise en cas de scission de la société qui en bénéficie (Com., 31 janvier 2017, n°15-19.158). Seule une clause contraire de l’acte de garantie, ou une acceptation du garant dans un acte annexé au traité de fusion ou de scission, peut y déroger.
Auteurs
Alain Couret, professeur émérite à l’Ecole de droit de la Sorbonne et avocat associé CMS Francis Lefebvre Avocats
Bruno Dondero professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne et of counsel CMS Francis Lefebvre Avocats