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Brexit : un «no deal» lourd de conséquences fiscales tant pour les sociétés que pour les particuliers

Brexit : un «no deal» lourd de conséquences fiscales tant pour les sociétés que pour les particuliers

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord est devenue l’hypothèse la plus probable. Dès lors, sauf report de délai, à compter du 30 mars à 00h00, les entreprises et particuliers résidents du Royaume-Uni deviendraient des tiers à l’Union européenne. Les répercussions sur leur fiscalité ne sont pas négligeables, notamment en matière d’impôts directs (impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu et prélèvements sociaux).

1. L’impact d’un Brexit « dur » sur les relations et les flux intra-groupe

La possibilité pour certains groupes de bénéficier du régime français de l’intégration fiscale pourrait être remise en cause. En effet, en l’absence de mesure spécifique d’accompagnement, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne entraînerait la sortie du groupe d’intégration des filiales françaises détenues par l’intermédiaire d’une société résidente du Royaume-Uni. Dès lors, notamment, leurs résultats fiscaux ne pourraient plus être compensés avec ceux du groupe fiscal intégré. De même, le Brexit devrait entraîner la cessation des groupes fiscaux dits « horizontaux » constitués de filiales françaises d’une société résidente du Royaume-Uni. La loi de finances pour 2019 a néanmoins prévu des dispositions permettant de différer les conséquences de la cessation du groupe à la fin de l’exercice 2019 afin de permettre aux groupes concernés de se réorganiser sans faire cesser l’intégration.

La fiscalité de certaines distributions serait également renchérie par une sortie du Royaume-Uni sans accord. S’agissant des dividendes entrants, les dividendes reçus par certaines sociétés mères françaises de leurs filiales britanniques détenues à 95% ou plus sont actuellement taxés à hauteur d’une quote-part de 1%. Avec un Brexit « dur », ces dividendes seraient taxés à hauteur d’une quote-part de 5%. L’administration a toutefois admis, par un rescrit du 6 mars 2019, que dans l’hypothèse d’un Brexit dur, les produits perçus à raison des participations dans des sociétés établies au Royaume-Uni jusqu’à la clôture, par la société bénéficiaire, de l’exercice en cours lors du retrait du Royaume-Uni, seront réputés provenir de sociétés établies dans l’Union européenne.

Pour ce qui est des dividendes sortants -dividendes distribués par des filiales françaises à leurs sociétés mères britanniques-, ils sont actuellement exonérés de retenue à la source en cas de détention d’au moins 10% du capital pendant une période minimale de 2 ans, voire de 5% dans certains cas1. Après le Brexit, les dividendes versés par des filiales françaises détenues à 10% ou plus pourront continuer à bénéficier d’une exonération de retenue à la source en France sur le fondement de la convention fiscale conclue entre la France et le Royaume-Uni le 19 juin 2008.

L’exonération de retenue à la source ne serait cependant plus applicable en cas de détention de 5% à 10% du capital ; la retenue à la source serait néanmoins limitée à 15% par la convention fiscale franco-britannique. La situation serait inchangée pour les participations en deçà de 5%, avec une retenue à la source de 15%. Enfin, les sociétés britanniques ayant une succursale en France resteraient quant à elles exonérées de retenue à la source sur les bénéfices qu’elles réalisent via leur succursale et qui sont réputés distribués à des associés non-résidents, du fait de l’application de la convention fiscale franco-britannique.

Aucun impact n’est à prévoir concernant le versement d’intérêts et de redevances par une société française à une société britannique. En effet, la directive « intérêts et redevances » de 20032 serait caduque mais les intérêts ne seraient pas soumis à retenue à la source en France et la convention fiscale franco-britannique prévoit que les redevances sont exonérées de retenue à la source.

En matière de restructurations, les directives « fusions »3 deviendraient elles aussi caduques post-Brexit mais cela n’affecterait pas le régime de neutralité fiscale des restructurations. En effet, celui-ci s’applique d’ores et déjà en présence de sociétés ayant leur siège dans un Etat tiers ayant conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, ce qui est le cas du Royaume-Uni. Les apports faits par des sociétés françaises à des personnes morales britanniques seraient néanmoins soumis à la souscription d’une déclaration spéciale permettant d’apprécier les motifs et conséquences de l’opération de restructuration ainsi qu’à l’obligation de rattacher les éléments apportés à un établissement stable de la personne morale étrangère situé en France.

Par ailleurs, l’application de certains dispositifs anti-abus serait facilitée. Ainsi, les sociétés françaises contrôlant des sociétés britanniques bénéficiant d’une imposition inférieure à 50% de celle à laquelle elles auraient été soumises en France ne peuvent aujourd’hui se voir réclamer l’impôt sur les sociétés français sur les bénéfices non distribués de ces filiales que si l’administration fiscale démontre que la détention des filiales correspond à un montage artificiel en vue d’éluder l’impôt français (article 209 B du CGI). Une fois que le Royaume-Uni sera sorti de l’Union européenne, et alors que se profile une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés britannique, les sociétés françaises contrôlant des sociétés britanniques bénéficiant d’un régime fiscal privilégié devraient, pour écarter l’application de l’article 209 B du CGI, démontrer que les opérations de leurs filiales ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices au Royaume-Uni; cette condition serait réputée remplie si la filiale concernée exerce principalement une activité industrielle ou commerciale effective au Royaume-Uni.

2. Des conséquences notables concernant l’imposition des particuliers

Les particuliers souhaitant quitter la France pour le Royaume Uni ne devraient pas être impactés en matière d’exit tax. La loi de finances pour 2019 a en effet étendu la possibilité de bénéficier du sursis automatique de paiement de l’impôt afférent aux plus-values latentes sans obligation de constituer des garanties, qui était auparavant réservée aux transferts vers des pays membres de l’Union Européenne et de l’Espace économique européen (EEE), aux pays avec lesquels la France a conclu une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ainsi qu’une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement, ce qui est le cas du Royaume-Uni4.

Concernant les particuliers détenteurs de titres éligibles au PEA, l’ordonnance du 6 février 20195 prévoit un délai de grâce, qui pourrait aller jusqu’à 3 ans, afin de maintenir l’éligibilité au PEA et au PEA-PME des titres d’émetteurs britanniques acquis avant le 30 mars 2019. La durée exacte sera prochainement précisée par arrêté ministériel. Toutefois, les titres acquis à compter de cette date ne seront plus éligibles au PEA.

Par ailleurs, la sortie de l’UE du Royaume-Uni aurait également des conséquences en matière de prélèvements sociaux. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit qu’à compter du 1er janvier 2019, les personnes qui relèvent d’un régime de sécurité sociale d’un autre Etat membre de l’EEE ou de la Suisse sont exonérées de CSG et de CRDS sur les revenus du patrimoine et produits de placement et ne sont redevables que du prélèvement de solidarité au taux de 7,5%. Dès lors, en l’absence de ratification de l’accord général de sortie par le Royaume-Uni, ni ce dispositif, ni le règlement européen (CE) n°883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ne pourrait s’appliquer aux redevables britanniques et ces derniers seront soumis à l’ensemble des prélèvements sociaux au taux de 17,2%.

Par ailleurs, un Brexit dur pourrait complexifier les démarches des résidents fiscaux français bénéficiaires de revenus mobiliers payés par un établissement bancaire situé au Royaume-Uni qui devraient déclarer eux-mêmes les revenus mobiliers encaissés et acquitter le montant des prélèvements correspondants avant le 15 du mois suivant leur perception.

A ce stade, le législateur français et l’administration fiscale n’ont pas encore paré à tous les effets indésirables du Brexit non couverts par la convention fiscale franco-britannique, mais d’autres mesures pourraient être prises dans les prochains mois. Restons attentifs…

Notes

1 Article 119 ter du CGI.
2 Directive n°2003/49/CE du Cons., 3 juin 2003, relative au régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d’Etats membres différents.
3 Directive n°2005/56/CE du PE et du Cons., 26 oct. 2005, Directive n°2009/ 133/ CE du Cons., 19 oct. 2009, Directive n°2017/1132/ CE du PE et du Cons., 14 juin 2017.
4 « Brexit : liste de questions / réponses » mise en ligne par l’administration fiscale sur https://www.impots.gouv.fr/portail/brexit-liste-de-questions-reponses .
5 Ordonnance n°2019-75 du 6 février 2019 relative aux mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne en matière de services financiers.

 

Auteurs

Annabelle Bailleul-Mirabaud, avocat associé, fiscalité internationale

Adea Meidani, avocat, fiscalité internationale

 

Brexit : un « no deal » lourd de conséquences fiscales tant pour les sociétés que pour les particuliers – Article paru dans le magazine Option Finance le 18 mars 2019