Le cadre fiscal des organismes de financement spécialisé
Le dynamisme du droit des fonds laisse souvent à la traîne le droit fiscal. Dans ce contexte, la définition rapide d’un régime fiscal pour les organismes de financement spécialisé par la loi de finances pour 20191 souligne l’importance que revêtent ces organismes pour la place.
A titre de rappel, les organismes de financement spécialisé (« OFS« ) ont été introduits en France par l’Ordonnance n°2017-1432 du 4 octobre 2017 portant modernisation du cadre juridique de la gestion d’actifs et du financement par la dette2, dans le but de diversifier les modes de financement des petites et moyennes entreprises. Les OFS peuvent investir dans un large éventail d’actifs (créances, titres de capital, instruments financiers, etc.)3 en se finançant par l’émission de parts, d’actions ou d’obligations et, dans certaines conditions, par emprunt.
A l’instar des organismes de titrisation (« OT« ), les OFS constituent une seconde catégorie d’organismes de financement. Ils peuvent revêtir deux formes juridiques : soit la forme de fonds de financement spécialisé (« FFS« ), une copropriété sans personnalité morale, soit la forme de société de financement spécialisé (« SFS« ), constituée sous forme de société anonyme ou de société par actions simplifiée dotée de la personnalité morale4.
Cependant, à la différence des OT, les OFS relèvent de la catégorie des fonds d’investissement alternatifs (« FIA« ). A ce titre, ils jouissent d’un régime juridique à la fois souple et attractif fixé aux articles L. 214-190-1 et suivants du Code monétaire et financier (« CMF« ). D’une part, ils bénéficient du passeport européen de la Directive « AIFM5« , leur permettant une commercialisation auprès d’investisseurs professionnels de l’Union européenne. D’autre part, ils sont éligibles à l’agrément « ELTIF6« , leur permettant d’octroyer des prêts aux sociétés dans tous les Etats européens.
Bien qu’en théorie attractifs, le développement des OFS était contrarié par l’absence de régime fiscal spécifique. La loi de finances pour 2019 a jeté les bases d’un cadre fiscal pour les OFS en prenant deux options : faire des SFS des sociétés presque comme les autres (1) et ne rien dire sur les FFS (2).
1. Les sociétés de financement spécialisé : des sociétés presque comme les autres
De par leur forme sociale, les SFS sont assujetties à l’impôt sur les sociétés (« IS« ) dans les conditions de droit commun. L’objectif affiché est de permettre ainsi aux SFS d’être éligibles au bénéfice des conventions fiscales. Toutefois, ces sociétés ne sont pas soumises aux règles comptables applicables à la généralité des entreprises. Les SFS relèvent en effet du plan comptable des organismes de placement collectif à capital variable7, régime comptable particulier qui était susceptible d’entraîner des conséquences fiscales particulièrement défavorables pour les SFS (en particulier, imposition des plus-values latentes sans déduction des moins-values subies).
L’article 38, 2 ter du Code général des impôts (« CGI« ) issu de la loi de finances pour 2019 a précisément pour objet de corriger le résultat fiscal des SFS des distorsions résultant de ce traitement comptable et de replacer les SFS dans la même situation que les autres sociétés commerciales.
D’une part, le profit ou la perte résultant de la cession d’un élément d’actif, les commissions de souscription et de rachat acquises ainsi que les frais de constitution, fusion ou apports supportés au cours d’un exercice doivent être pris en compte pour la détermination du bénéfice imposable de cet exercice. D’autre part, les gains ou pertes latents sur les éléments d’actif et de passif ne sont pas pris en compte dans le bénéfice imposable, sous réserve de trois exceptions, concernant : (i) les écarts de change constatés sur les éléments d’actif et de passif libellés en monnaie étrangère8, (ii) les gains ou pertes constatés sur des contrats à terme d’instruments financiers9 et (iii) les écarts de valeurs liquidatives sur les parts d’OPCVM détenues par les SFS et constatés à la clôture10. Ces modalités de détermination du bénéfice imposable des SFS s’appliquent aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019.
Dans la mesure où le choix du législateur a été de corriger les effets du régime comptable des SFS pour les remettre dans le droit commun des sociétés soumises à l’IS, on peut penser que le droit commun devrait être applicable tant pour la SFS que pour ses actionnaires. On pense ici notamment au régime des sociétés mères, au régime du long-terme, ou encore à l’intégration fiscale, pour autant que les conditions d’accès à ces régimes soient réunies. A défaut de développements sur ces sujets dans la loi, on attendra avec intérêt les commentaires de l’administration sur ces questions.
2. Les fonds de financement spécialisé : un régime fiscal en creux
La loi de finances pour 2019 ne prévoit aucune disposition relativement aux FFS. En tant que copropriétés, les FFS sont par nature hors du champ de l’IS. Il est alors raisonnable de penser que leur régime fiscal devrait être similaire à celui des fonds communs de placement (« FCP« ). Les FCP, s’ils ne sont pas soumis à l’IS, ne sont toutefois que « semi-transparents » dans la mesure où, en application des dispositions de l’article 137 bis du CGI, le fait générateur de l’imposition des produits du fonds est constitué par leur redistribution effective aux porteurs de parts par le gérant du fonds et non pas leur encaissement par le fonds.
Le régime fiscal applicable, au niveau des investisseurs, aux revenus ou produits distribués par le FFS devrait être fonction de la source des revenus, française ou étrangère, et de leur nature (dividendes, intérêts, etc.). S’agissant des plus ou moins-values latentes, on peut penser que l’administration reprendra la position extensive exprimée pour les organismes de titrisation11, et que les détenteurs personnes morales à l’IS seraient soumis au dispositif d’imposition des écarts de valeurs liquidatives prévu à l’article 209-0 A, 1° du CGI.
L’utilisation dans un cadre transnational des FFS pourrait être contrainte par l’absence d’éligibilité des FFS au bénéfice des conventions fiscales dès lors qu’ils ne sont pas assujettis à l’impôt. Dans ce contexte, l’application ou non d’une retenue à la source dans le pays de source des revenus dépendra de l’analyse que fera ce pays du FFS. On sait par expérience qu’il n’existe pas de consensus au niveau international sur ces questions, et que précisément, c’est ce qui a freiné l’essor des titrisations internationales.
D’autres questions pourront également se poser en raison de la diversité des actifs éligibles, et de la nationalité des investisseurs. Quel serait ainsi le régime fiscal applicable aux loyers tirés d’un immeuble détenu par un FFS ayant des investisseurs non-résidents ? On voit rapidement poindre les limites d’une analyse reposant sur le régime du FCP, créé pour de tous autres investissements.
Rendre la place de Paris attractive nécessite, par-delà des structures performantes d’un point de vue réglementaire, une fiscalité prévisible tant pour le véhicule que pour les investisseurs. Espérons que l’administration profite de cette nouvelle avancée pour remettre à plat sa doctrine sur les fonds.
Notes
1 Loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018.
2 Ordonnance prise en application de l’article 117 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II ».
3 Article L. 214-190-1 du CMF.
4 Article L. 214-168, II du CMF.
5 Directive 2011/61/UE du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs.
6 Fonds européens d’investissement à long terme.
7 Règlement n°2018-04 du 12 octobre 2018 de l’Autorité des normes comptables.
8 Article 38, 4 du CGI. On relèvera que contrairement au régime général qui ne concerne que les créances et dettes libellées en monnaie étrangère, l’imposition des écarts de change pour les SFS concerne tous les actifs et passifs en monnaie étrangère.
9 Article 38, 6-1° du CGI.
10 Article 209-0 A du CGI.
11 BOI-IS-BASE-10-20-10-20120912, n°90.
Auteurs
Benoît Foucher, avocat counsel en fiscalité internationale
Inès Mzali, avocat, en fiscalité internationale