Calcul des budgets du comité d’entreprise : un compte d’apothicaire ?
12 juin 2014
Par un arrêt du 20 mai 2014, la Cour de cassation précise l’assiette de calcul de la contribution patronale aux activités sociales et culturelles et –par ricochet– celle de la subvention de fonctionnement du comité d’entreprise. Cela étant, la portée de cet arrêt – ainsi que sa justification juridique- prêtent à discussion.
Retour liminaire sur les controverses liées à la détermination de l’assiette de calcul des budgets du comité d’entreprise
Conformément au Code du travail, l’employeur est tenu de verser chaque année à son comité d’entreprise (CE):
- une subvention de fonctionnement qui doit être au moins d’un montant « équivalent à 0,2% de la masse salariale brute » (article L.2325-43 al. 1er du Code du travail) ;
- une contribution patronale destinée au financement des activités sociales et culturelles (ASC) qui est quant à elle déterminée notamment en fonction du « montant global de salaires payés » (article L.2323-86 du même Code).
Qu’il soit fait référence à la « masse salariale brute » ou au «montant global des salaires payés », la Cour de Cassation a jugé qu’il existe une identité d’assiette entre les deux (Cass. Soc. 02/12/2008).
Cela étant, des interrogations subsistaient concernant la détermination précise de cette assiette de calcul : de nombreuses entreprises ont retenu que cette assiette devait être composée par les sommes mentionnées dans la déclaration annuelle des données sociales (DADS) ; de leur côté, plusieurs comités d’entreprise ont soutenu qu’elle devait correspondre à l’intégralité des sommes mentionnées au compte 641 du plan comptable général (qui vise plus largement à la fois les « salaires, appointements », les « congés payés », les « primes et gratifications », les « indemnités et avantages divers » et le « supplément familial »).
Ces controverses ont donné lieu à de nombreux contentieux (avec des enjeux financiers souvent considérables), et – in fine – à des solutions de juges du fond totalement divergentes (voir pour une référence au compte 641 : TGI Paris 17/09/2013 / Contre cette référence : not. TGI Bourg-en-Bresse 21/10/2013 ; TGI Nanterre 20/02/2014 ; CA Versailles 13/11/2012).
C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt particulièrement attendu de la Cour de cassation.
Dans cet arrêt, la Chambre sociale retient que « sauf engagement plus favorable, la masse salariale servant au calcul de la contribution patronale aux activités sociales et culturelles s’entend de la masse salariale brute correspondant au compte 641 à l’exception des sommes qui correspondent à la rémunération des dirigeants sociaux, à des remboursements de frais, ainsi que celles qui, hormis les indemnités légales et conventionnelles de licenciement, de retraite et de préavis, sont dues au titre de la rupture du contrat de travail » (P+B).
Si cette solution apporte quelques enseignements, elle laisse perplexe le commentateur sur de nombreux aspects.
1. Une référence contestable au compte 641 pour la détermination des budgets du comité d’entreprise
Dans son arrêt du 20 mai 2014, la Cour de cassation conforte la référence au compte 641 du plan comptable général en vue de la détermination des budgets du comité d’entreprise.
Ce faisant, la Chambre sociale précise un précédent arrêt du 30 mars 2011 – non publié au Bulletin et rendu dans une affaire très spécifique – aux termes duquel elle avait retenu que l’assiette de calcul de la contribution aux activités sociales et culturelles devait s’entendre de la « masse salariale brute comptable correspondant au compte 641 « Rémunérations du personnel » tel que défini par le plan comptable général » (Cass. Soc. 30/03/2011).
Cette position de la Chambre sociale ne nous semble pas justifiée.
Tout d’abord, les textes précités du Code du travail relatifs à la détermination de la masse salariale pour le calcul des budgets du CE ne font aucune référence au droit comptable.
Ensuite, il est à tout le moins déconcertant de retenir qu’un ensemble aussi disparate de sommes doit être intégré dans la « masse salariale brute » ou les « salaires payés » visés par le Code du travail, en vue du calcul des budgets du comité d’entreprise, dès lors que le compte 641 peut inclure notamment des indemnités de licenciement, des droits d’auteur, voire de simples provisions comptables.
Au-delà, la prise en considération du compte 641 conduit à la fixation de budgets du comité d’entreprise sans aucun rapport avec les effectifs de la société.
Cette persistance de la référence au compte 641 pour la détermination des budgets du comité d’entreprise apparaît d’autant plus malencontreuse – voire inutile– qu’elle est immédiatement corrigée: dans l’arrêt du 20 mai 2014, la Cour de cassation précise expressément que le compte 641 doit être « retraité » pour le calcul des budgets du comité d’entreprise.
En effet, la Cour de cassation permet de déduire du compte 641, outre les rémunérations des « dirigeants sociaux » et les remboursements de frais, toutes les sommes « dues au titre de la rupture du contrat de travail », à l’exception des « indemnités légales et conventionnelles de licenciement, de retraite et de préavis ».
2. Une exclusion logique de la quasi-totalité des indemnités de rupture du contrat de travail pour la détermination des budgets du comité d’entreprise
Il s’agissait de l’un des points de discorde essentiels.
Les comités d’entreprise – qui entendaient faire référence au compte 641 pour la détermination de leurs budgets – revendiquaient principalement la prise en compte de toutes les indemnités de rupture dans l’assiette de calcul de ces budgets.
Certains juges du fond leur avaient donné raison (notamment TGI Nîmes 1er/07/2013).
Or, dans son arrêt du 20 mai 2014, la Cour de cassation précise expressément qu’au plan des principes, les indemnités de rupture du contrat de travail n’entrent pas dans l’assiette de calcul des budgets du comité d’entreprise.
Ce faisant, la Cour de cassation reconnaît implicitement que les indemnités de rupture viennent réparer un préjudice (le préjudice de la rupture des contrats de travail) et n’ont pas la nature d’un salaire. Elles sont en conséquence exclues de la masse salariale.
Cela étant, ce principe est immédiatement assorti d’exceptions pour le moins déconcertantes.
3. Une réintégration difficilement compréhensible des indemnités légales et conventionnelles de licenciement – voire de mise à la retraite – dans l’assiette de calcul des budgets du comité d’entreprise
Il ressort de l’arrêt du 20 mai 2014 que doivent être exclues de l’assiette de calcul des budgets du comité d’entreprises toutes les indemnités dues au titre de la rupture du contrat de travail, « hormis les indemnités légales et conventionnelles de licenciement, de retraite et de préavis ».
Cette solution de compromis suscite de nombreuses interrogations et aboutit à des distinctions totalement artificielles.
Tout d’abord, la portée exacte de cette solution reste à déterminer.
Si l’exclusion de certaines indemnités de rupture semble acquise (tel est notamment le cas à notre sens des indemnités transactionnelles ou des indemnités complémentaires versées dans le cadre d’un PSE), le retranchement d’autres indemnités de rupture pourrait prêter à discussion.
Ainsi, et pour ne citer qu’un exemple, quid d’une indemnité de rupture conventionnelle ? : convient-il d’exclure une telle indemnité dans sa totalité ou faut-il retrancher la seule part qui excèderait l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ?
En tout état de cause, la justification juridique de cette solution demeure difficilement compréhensible.
En particulier, quelle est la justification de la prise en compte des indemnités légales et conventionnelles de licenciement, voire de mise à la retraite, qui – par définition – n’ont pas la nature d’une rémunération ?
En effet, juridiquement, les « indemnités légales et conventionnelles de licenciement » – ou celles de mise à la retraite – ne peuvent être rattachées à la « masse salariale brute » ni au « montant global des salaires versés » car elles réparent le préjudice lié à la rupture du contrat de travail. Retenir le contraire revient à méconnaître la distinction classique existant entre rémunération et indemnisation d’un préjudice. D’ailleurs, ces sommes sont exclues de l’assiette des cotisations sociales, dans les limites fixées par l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale.
Par ailleurs, la distinction opérée par la Cour de cassation laisse perplexe sur la justification de la différence de traitement entre les indemnités légales et conventionnelles de licenciement d’une part, et d’autres indemnités dues au titre de la rupture du contrat de travail (telles que celles versées dans le cadre d’un PSE, par exemple), d’autre part.
Il ressort de tout ce qui précède l’impression d’une solution incomplète et de pur compromis qui ne mettra pas fin aux difficultés de détermination du montant des budgets du comité d’entreprise, et partant, aux contentieux susceptibles d’en découler.
Il reste à espérer qu’il s’agisse là d’une simple étape appelée à être affinée lors d’arrêts à venir, afin d’éviter à chacun de véritables comptes d’apothicaires.
Auteurs
Nicolas de Sevin, avocat associé en droit social.
Benoît Masnou, avocat en droit social.
A lire également
Sanctionner un salarié protégé : une mission impossible ?... 5 décembre 2013 | CMS FL
Convention de forfait illicite et travail dissimulé : ce n’est pas automatiqu... 30 septembre 2015 | CMS FL
Attributions d’actions gratuites : la contribution patronale est due même... 3 juillet 2014 | CMS FL
Consultation sur la stratégie : un nouveau défi pour le pouvoir patronal... 3 septembre 2013 | CMS FL
Actions gratuites : les allégements fiscaux de la loi Macron... 19 mars 2015 | CMS FL
Ordre du jour du comité d’entreprise et régularité de la procédure de ... 2 mai 2014 | CMS FL
Le comité social et économique : entre nouveautés et continuité de la repré... 4 octobre 2017 | CMS FL
Lettre d’intention et obligation consultative du comité d’entreprise... 19 juin 2015 | CMS FL
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?