Cause animale et droit des marques : SPA vs SPA de France
L’association « Société Protectrice des Animaux » (SPA) a été créée en 1845 et reconnue d’utilité publique en 1960. De renommée nationale, la SPA est certainement l’association la plus ancienne et la plus médiatisée de défense de la cause animale. Elle n’est pourtant pas la seule dans ce domaine. L’association Défense de l’Animal – Confédération Nationale, créée en 1926 et reconnue d’utilité publique en 1990, fédère près de 260 associations de protection des animaux réparties sur le territoire français.
Un litige opposant la SPA à Défense de l’Animal est survenu à propos de l’utilisation comme appellation par ces 260 associations du signe « SPA », suivi pour la plupart d’entre elles du lieu d’exercice de leur activité.
En effet, Défense de l’Animal avait déposé le 9 juin 1989 la marque verbale française « S.P.A de France » n°1536507 pour désigner, en classes 41 et 42, « toutes actions, publications, diffusions tendant à promouvoir la protection et la défense des animaux et de leurs amis, ou à contribuer à ces buts ».
Estimant que Défense de l’Animal avait déposé de manière frauduleuse cette marque dans le seul but de détourner à son profit les adhésions, legs et dons, et de bénéficier de la renommée de la SPA, cette dernière l’a assignée en nullité de la marque « S.P.A de France » et en concurrence déloyale et parasitisme.
Le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a accueilli favorablement cette demande (TGI Paris, 10 mars 2017, n°15/08846). L’affaire a ensuite été portée de devant la cour d’appel de Paris qui se prononce sur les deux fondements de l’action intentée par la SPA : la nullité de la marque S.P.A de France et les faits de concurrence déloyale et de parasitisme (CA Paris, 30 mars 2018, n°17/07421).
Action en nullité pour dépôt frauduleux – La SPA a, en première instance, demandé la nullité de la marque litigieuse « S.P.A de France » sur le fondement d’un dépôt frauduleux, faisant référence au principe général selon lequel « la fraude corrompt tout ».
Le choix de ce fondement pouvait s’expliquer par une raison simple. Plusieurs décisions judiciaires avaient considéré comme dépourvus d’originalité et descriptifs la dénomination « société protectrice des animaux » et le sigle « SPA ». La SPA n’avait donc pas renouvelé ses marques et ne pouvait agir sur le fondement d’un titre déposé.
Défense de l’Animal a d’ailleurs évoqué cet argument en première instance pour contester la recevabilité de l’action en nullité de la marque, soutenant que la SPA n’était pas propriétaire de la marque, et qu’elle en avait toléré l’usage depuis plus de cinq ans. Les juges ont écarté cette démonstration, estimant qu’un recours sur le « seul fondement du principe selon lequel la fraude corrompt tout » demeurait possible.
Ensuite, pour apprécier le caractère frauduleux du dépôt, la Cour d’appel, comme l’a fait le TGI, procède par faisceau d’indices. Les juges du fond examinent le contexte dans lequel la marque litigieuse a été déposée et relèvent notamment la grande notoriété de la SPA en 1989, particulièrement auprès du public concerné par la protection des animaux. Plus encore la SPA a, selon ses statuts, retenu ce sigle car il constitue à la fois l’acronyme de sa dénomination et sa devise « Sauver – Protéger – Aimer ».
La SPA a obtenu gain de cause en première instance, et la Cour d’appel confirme ce jugement, énonçant d’abord qu’un « ensemble d’éléments tend à démontrer au contraire que son intention lorsque [l’association Défense de l’Animal] a déposé la marque S.P.A de France n’était pas de la protéger conformément à sa fonction distinctive, mais visait à tirer profit de la titularité de ce titre au préjudice de l’association SPA dont elle reconnaît dans ses écritures la notoriété ou en tous [sic] cas la grande connaissance par le public concerné par la protection des animaux ».
La Cour en déduit alors que le dépôt de la marque litigieuse « s’est manifestement inscrit dans une stratégie visant à priver l’association SPA de l’usage de ce nom nécessaire à son activité et constitutif de sa dénomination statutaire, caractérisant ainsi la mauvaise foi de l’association Défense de l’Animal et entachant de fraude le dépôt effectué ».
Action en concurrence déloyale et parasitisme – L’usage par Défense de l’Animal du signe « SPA » avait un impact direct sur l’activité de la SPA. De fait, le public ne faisant pas de différence entre les associations pouvait effectuer des dons et legs à Défense de l’Animal, croyant soutenir la SPA. La SPA avait d’ailleurs dû saisir la justice pour interpréter la clause attributaire d’un legs qui se bornait à mentionner le sigle « SPA ».
Outre le fondement de la nullité, la SPA avait donc agi devant le TGI en concurrence déloyale et parasitisme. Défense de l’Animal, en utilisant le sigle « SPA », entretenait selon elle une confusion entre les deux associations lui permettant de tirer indûment profit de la notoriété et des investissements financiers de la SPA.
Rappelons que la concurrence déloyale comme le parasitisme engagent la responsabilité délictuelle de leur auteur sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil.
La concurrence déloyale s’apprécie au regard du principe de liberté du commerce et de l’industrie, impliquant qu’un signe qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit du public sur l’origine des produits.
Cette notion de risque de confusion est en revanche indifférente à la caractérisation du parasitisme. Celui-ci consiste à profiter volontairement, sans bourse délier, des investissements, d’un savoir-faire ou d’un travail intellectuel d’autrui en se plaçant dans son sillage.
Là encore, le TGI puis la Cour d’appel donnent raison à la SPA. Les juges du fond relèvent notamment que la presse utilise indistinctement le signe « SPA » pour désigner les deux associations, et que la SPA a même perdu des adhérents à la suite d’un article traitant de l’euthanasie animale alors que ledit article faisait en fait allusion à Défense de l’Animal.
La Cour d’appel conclut alors que Défense de l’Animal entretient une confusion dans l’esprit du public avec la SPA « commettant ainsi des actes de concurrence déloyale, et qu’elle entend également se placer dans le sillage de cette dernière afin de bénéficier de sa notoriété et de ses investissements humains et financiers, notamment publicitaires, et en particulier des dons et legs effectués pour la cause animale, commettant ainsi également des actes de parasitisme à son encontre ».
Pour conclure, on pourra relever que la Cour d’appel mentionne dans son arrêt une communication de 30 millions d’amis dans laquelle la représentante de Défense de l’Animal énonçait : « Si nous renonçons à cette appellation (SPA), nous perdrons le droit de revendiquer les testaments rédigés au nom de la SPA ». Cette phrase résume certainement à elle seule les enjeux d’une telle décision.
Auteurs
José Monteiro, of Counsel, droit de la propriété intellectuelle
Clotilde Patte, juriste, droit de la propriété intellectuelle