La Cour de justice de l’Union européenne juge la contribution de 3% sur les distributions contraire à la Directive Mère-Fille
La Cour de justice de l’Union européenne considère que la contribution de 3% sur les revenus distribués est contraire à la Directive Mère-Fille en ce qu’elle s’applique à l’égard de distributions par une société française de dividendes qu’elle a perçus de ses filiales situées dans un autre Etat membre de l’Union européenne. Cette décision ne constitue toutefois qu’une étape dans la contestation de la contribution.
L’article 235 ter ZCA du CGI, relatif à la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés au titre des montants distribués, a fait l’objet de nombreuses contestations juridiques ayant donné lieu à plusieurs décisions du Conseil d’Etat.
I – Rappel du contexte de l’arrêt de la Cour de justice
On se souvient que par plusieurs décisions du 27 juin 2016, le Conseil d’Etat avait d’une part transmis une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel (décision n°399506 société Layher) et d’autre part, des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (décision n°399024 Association française des entreprises privées (AFEP) et autres).
Par sa décision n°2016-571 QPC du 30 septembre 2016 société Layher le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le fait que l’exonération de contribution de 3% accordée aux distributions réalisées entre sociétés membres d’un groupe d’intégration fiscale était limitée aux sociétés membres d’un tel groupe alors que leur situation n’était pas différente de ceux respectant toutes les conditions requises pour être intégrés mais n’ayant pas opté pour en bénéficier, ou ceux constitués notamment de sociétés situées à l’étranger et liées par une détention de 95%. Toutefois le Conseil constitutionnel a reporté les effets dans le temps de la déclaration d’inconstitutionnalité de l’exonération au 1er janvier 2017.
Pour tirer les conséquences de cette décision, le législateur a choisi d’étendre l’exonération aux distributions susvisées à compter du 1er janvier 2017 (article 95 de la loi n°2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016). Pour le passé, les contribuables qui n’ont pas pu bénéficier de l’exonération peuvent poursuivre un contentieux au fond sur le fondement de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH). A ce titre, rappelons qu’une première étape a été franchie avec une décision du Conseil d’Etat qui, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir de la société Layher, a reconnu que la discrimination résultant de la différence de traitement visant les distributions entre sociétés liées par une détention de 95% au moins mais membres d’un groupe non intégré fiscalement est injustifiée au regard de la CESDH (décision n°399506 du 29 mars 2017).
La Cour de justice vient, par un arrêt C-365/16 du 17 mai 2017 (AFEP et a.) de se prononcer sur les deux questions préjudicielles qui lui avaient été transmises par le Conseil d’Etat, en reconnaissant que la contribution de 3% était contraire à l’article 4 de la Directive Mère-Fille.
II – Décision de la CJUE dans l’affaire AFEP et autres
La Cour de justice a en effet jugé que l’article 4 de la Directive Mère-Fille s’oppose à un régime national qui a pour conséquence qu’une société est soumise à une charge fiscale supplémentaire lorsqu’elle procède à une redistribution de dividendes inclus dans le champ de la Directive, que la société a elle-même perçus.
Autrement dit, la contribution de 3% ne peut être appliquée à des distributions prélevées sur des dividendes provenant de filiales ayant leur siège dans d’autres Etats membres de l’Union européenne.
Ayant répondu positivement à la première question, la Cour n’était pas tenue de répondre à la seconde visant à faire reconnaître que la contribution de 3% constitue une retenue à la source prohibée par l’article 5 de la Directive Mère-Fille. Pour rappel, pour qu’un impôt puisse être qualifié de retenue à la source au sens de l’article susvisé, trois critères cumulatifs doivent être satisfaits, à savoir que l’impôt doit être prélevé dans l’Etat dans lequel les dividendes sont distribués et son fait générateur doit être le versement de dividendes ou de tout autre rendement des titres, l’assiette de cet impôt est le rendement des titres, et enfin, l’assujetti est le détenteur des mêmes titres.
A cet égard, il convient néanmoins de relever que la CJUE a rendu le même jour sa décision C-68/15 concernant la Fairness Tax belge, qui constitue l’équivalent de la contribution de 3%. La Cour a de la même manière jugé que la taxe belge était contraire aux dispositions de l’article 4 de la Directive Mère-Fille, mais a également jugé clairement que « dans la mesure où l’assujetti à un impôt tel que la fairness tax est non pas le détenteur des titres, mais la société distributrice », la taxe en cause ne peut constituer une retenue à la source au sens de la Directive.
Dans la mesure où, s’agissant de la contribution de 3%, l’assujetti est également la société distributrice, il ne paraît faire aucun doute que la CJUE aurait de la même manière considéré que ladite contribution ne peut recevoir la qualification de retenue à la source.
III – Portée de la décision AFEP de la CJUE
La décision de la CJUE constitue une nouvelle étape dans la contestation de la contribution de 3%, mais elle ne permet pas par elle-même de considérer que, dans tous les cas de figure, l’obligation d’acquitter cette contribution aurait disparu. En effet, si la décision permet de soustraire les distributions de l’assiette de ladite contribution à concurrence de la fraction correspondant à des redistributions de dividendes reçus de filiales situées dans d’autres Etats membres de l’Union européenne, les distributions prélevées sur des dividendes de filiales françaises ou de filiales établies dans un Etat tiers à l’Union européenne restent soumises, même après l’intervention de cette décision, à la contribution de 3%, dans la mesure où elles ne sont pas visées par la décision de la Cour de justice puisqu’elles se trouvent en dehors du champ d’application de la Directive Mère-Fille.
Il en résulte une différence de traitement discutable entre les sociétés mères françaises selon la localisation géographique de leurs filiales et la source des distributions qu’elles reçoivent, similaire à celle qui a été sanctionnée par le Conseil constitutionnel dans sa désormais célèbre décision Metro Holding du 3 février 2016. Dans le cadre du recours pour excès de pouvoir formé dans l’affaire AFEP et autres sur lequel le Conseil d’Etat avait, par sa décision précitée du 27 juin 2016, sursis à statuer dans l’attente de la réponse aux questions préjudicielles posées à la Cour de justice, une nouvelle QPC a d’ores et déjà été déposée afin de faire juger par le Conseil Constitutionnel que ladite différence de traitement est contraire à la Constitution. Le Conseil d’Etat dispose d’un délai de trois mois pour se prononcer sur la transmission de cette QPC au Conseil constitutionnel.
A cet égard, afin de préserver leurs droits, les sociétés qui, dans cette situation, ont acquitté la contribution de 3% prendront soin, lorsqu’elles ne l’ont pas déjà fait, d’en réclamer la restitution avant la publication de la décision du Conseil Constitutionnel qui devrait intervenir dans les trois mois de sa saisine par le Conseil d’Etat.
Pour bénéficier de la décision de la Cour de justice et, le cas échéant, de la décision à venir du Conseil constitutionnel, on peut s’attendre à ce que les sociétés concernées soient conduites à devoir démontrer que les distributions ayant été assujetties à la contribution de 3% ont été prélevées sur des dividendes éligibles au régime des sociétés mères. Cette question de la traçabilité des dividendes reçus et redistribués pourrait donner lieu à des contentieux au fond devant le juge de l’impôt, sauf à ce que la contribution de 3% soit déclarée contraire à la Constitution dans son ensemble.
Compte tenu des incertitudes liées à l’aboutissement dudit contentieux, les sociétés qui restent redevables de cette contribution pour les distributions à venir pourront préférer continuer de s’en acquitter dans les conditions prévues par l’article 235 ter ZCA du CGI, pour en réclamer la restitution a posteriori, plutôt que de s’affranchir spontanément de cette obligation.
L’arrêt de la Cour de justice ne constitue donc pas le point final de ce contentieux et de nouveaux développements interviendront certainement d’ici la fin de l’année 2017.
Auteurs
Stéphane Austry, avocat associé au sein du département doctrine fiscale, en charge du développement de l’activité contentieuse du cabinet, professeur associé, Ecole de Droit de la Sorbonne, Université Paris I.
Dov Milsztajn, avocat en fiscalité au sein du Département doctrine fiscale