Classement comptable en titres de participation : pas de présomption irréfragable
Pour bénéficier du régime fiscal des titres de participation, les classements comptables des titres ouvrant droit au régime mère-fille n’ont pas les mêmes conséquences : une erreur comptable de classement en titres de participation peut être corrigée.
I – La décision du Conseil d’Etat
Une décision du Conseil d’Etat du 29 mai 2017 (n°405083, Sté Vivendi) clarifie les règles du jeu, en ce qui concerne les conséquences du classement comptable de titres pour l’application du régime fiscal des titres de participation.
La définition de la notion de titres de participation au plan fiscal est fixée au 3ème alinéa du a ter du I de l’article 219 du CGI (issu de l’article 2 de la loi de finances rectificative pour 1995) qui prévoit :
- dans une première phrase que « constituent des titres de participation les parts ou actions de sociétés revêtant ce caractère sur le plan comptable »
- dans une seconde phrase que « il en va de même des (…) titres ouvrant droit au régime des sociétés mères (…) si ces (…) titres sont inscrits en comptabilité au compte de titres de participation ou à une subdivision spéciale d’un autre compte du bilan correspondant à leur qualification comptable ».
La doctrine administrative en avait déduit que « dès lors que les titres ouvrent droit au régime des sociétés mères, l’inscription dans un compte de titres de participation (…) constitue une présomption irréfragable qui matérialise une décision de l’entreprise opposable à celle-ci comme à l’administration » (affirmation reprise en dernier lieu au § 270 du BOI-BIC-PVMV-30-10-20120912).
La société Vivendi a formé un recours pour excès de pouvoir contre cette doctrine. En effet, le caractère irréfragable de l’inscription dans un compte titres de participation de titres ouvrant droit au régime mère fille lui était opposée par l’administration pour faire échec à la déduction d’une moins-value constatée à la suite de la cession de titres ouvrant droit au régime mère fille. Pourtant, la société soutenait que lors de leur acquisition, les titres avaient été inscrits par erreur dans le compte titres de participation alors qu’ils ne satisfaisaient pas aux critères comptables des titres de participation.
Devant le Conseil d’Etat, la société contestait la légalité de la doctrine attaquée en faisant valoir une double argumentation.
Elle soutenait à titre principal qu’il résultait des travaux préparatoires de la loi de 1995 que le législateur avait entendu avant tout garantir la sécurité juridique des entreprises en prévoyant que les titres ouvrant droit au régime mère fille constituaient des titres de participation sur le plan fiscal dès lors qu’ils avaient été inscrits dans un compte titres de participation (voir sur les justifications de cette interprétation l’étude de O. Fouquet et C.Lopater à la RJF 11/14, p.956 et 957). La société en déduisait que si l’administration ne pouvait alors remettre en cause cette qualification fiscale, en revanche cette présomption n’était pas opposable à l’entreprise et que la doctrine n’était illégale que dans cette mesure.
Si le Conseil d’Etat n’a pas suivi la société sur ce premier terrain, il a en revanche fait droit à son argumentation subsidiaire qui se prévalait, en s’inspirant de l’étude précitée, de la distinction traditionnelle entre erreur comptable et décision de gestion. La Haute assemblée a en effet considéré que la portée de la seconde phrase du 3ème alinéa du a ter de l’article 219 devait être appréciée au regard des travaux préparatoires dont ces dispositions sont issues.
Or ces travaux (Rapport n°391 de M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, séance du 20 juillet 1995) faisaient apparaître, ainsi que l’avait relevé l’étude déjà citée, que le législateur avait retenu « une définition fiscale des titres de participation, (…) recouvrant en fait deux catégories de valeurs mobilières :
- d’une part, les parts ou actions qui, au plan comptable, revêtent le caractère de titres de participation. Selon le plan comptable général, il s’agit des titres « dont la possession durable est estimée utile à l’activité de l’entreprise, notamment parce qu’elle permet d’exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d’en assurer le contrôle »Â
- d’autre part, les titres (…) ouvrant droit au régime mère-fille, dès lors qu’ils sont inscrits dans une subdivision spéciale du compte de bilan dont ils dépendent ».
S’écartant audacieusement de la lettre de la loi1 pour retenir une interprétation de cette dernière conforme à l’intention parfaitement claire du législateur, le Conseil d’Etat en a déduit que la seconde phrase ne visait que des titres ouvrant droit au régime des sociétés mères sans revêtir, sur le plan comptable, le caractère de titres de participation. De tels titres ne sont alors soumis au régime fiscal des titres de participation qu’à la condition qu’ils soient inscrits en comptabilité dans une subdivision spéciale d’un compte du bilan -autre qu’un compte de titres de participation- correspondant à leur qualification comptable telle que, par exemple, un sous compte de plus-values à long terme dans un compte de valeurs de placement. Cette inscription matérialisant alors une décision de gestion sur le plan fiscal, seule cette hypothèse est de nature à constituer une présomption irréfragable opposable à l’entreprise comme à l’administration.
En revanche, le Conseil d’Etat juge que les titres, visés par la première phrase du 3ème alinéa du a ter du I de l’article 219, qui présentent, sur le plan comptable, le caractère de titres de participation « sont nécessairement soumis au régime des plus-values et moins-values à long terme, que ces titres ouvrent droit ou non au régime des sociétés mères ». Le Conseil d’Etat en déduit, d’une part, qu’une inscription de ces titres en comptabilité dans un compte de titres de participation, qui est commandée par le respect de la réglementation comptable à laquelle se réfère la loi fiscale, « ne matérialise aucune décision de gestion de l’entreprise », et d’autre part, qu’une telle écriture comptable peut, si la qualification de titres de participation retenue s’avère erronée, « être corrigée tant à l’initiative de l’administration que, sous réserve que cette erreur ne revête pas un caractère délibéré, de l’entreprise ».
La présomption irréfragable instituée par la doctrine attaquée pour l’ensemble des titres ouvrant droit au régime mère-fille est donc jugée illégale et le § 270 du BOI-BIC-PVMV-30-10-20120912 est annulé.
II – Les conséquences pratiques
La solution de la décision est valable aussi bien pour l’interprétation du 3ème alinéa du a ter du I de l’article 219 du CGI que pour le 3ème alinéa du a quinquies de ce même article, qui reprend en substance la même définition des titres de participation et qui est cité dans le premier considérant de la décision. Elle a donc selon nous vocation à s’appliquer pour l’interprétation de toutes les dispositions du CGI qui reprennent cette définition fiscale des titres de participation2 .
Cette solution n’a pas que des effets favorables pour les contribuables, puisque, conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat relatives aux conséquences des annulations pour excès de pouvoir de la doctrine fiscale (CE, Section, 8 mars 2013 n°353782, Monzani), l’interprétation énoncée au § 270 n’est plus opposable à l’administration sur le fondement de l’article L.80 A du LPF, dans les cas où la présomption serait favorable, pour les exercices clos à compter du 29 mai 2017. C’est le cas lorsqu’une société cède les titres d’une filiale en réalisant une plus-value qu’elle souhaite faire bénéficier du régime du long terme, et que les titres ont été inscrits à tort dans le compte titres de participation.
En revanche, signalons que seul le § 270 ayant été annulé par le Conseil d’Etat, la question se pose de savoir si les entreprises pourraient, si elles y trouvent avantage, se prévaloir du § 140 du BOI-BIC-PVMV-30-10-20120912, qui énonce la même interprétation que le § 270, mais qui n’a pas été annulé3 .
Notes
1 Qui semblait conférer la même portée au classement de titres ouvrant droit au régime mère-fille en titres de participation ou au sous compte long terme d’une autre catégorie du bilan
2 Par exemple le 18ème alinéa du 5° du 1 de l’article 39 du CGI
3 Pour rappel, le Conseil d’Etat a considéré dans le précédent Monzani précité « qu’un redevable peut opposer à l’administration l’interprétation que celle-ci a formellement admise dans un (…) acte, quel qu’il soit, quand bien même un autre acte, exprimant la même interprétation, aurait été annulé pour excès de pouvoir ».
Auteur
Stéphane Austry, avocat associé au sein du département doctrine fiscale, en charge du développement de l’activité contentieuse du cabinet, professeur associé, Ecole de Droit de la Sorbonne, Université Paris I.