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Clause de sauvegarde générale de l’article 209 B du CGI

La CAA de Versailles adopte une approche pragmatique de la charge de la preuve de l’objectif non fiscal de l’implantation à l’étranger.


L’article 209 B du CGI permet à l’administration, sous certaines conditions, de soumettre une société française à l’impôt sur les sociétés, à proportion de sa part de capital, sur les résultats que réalisent ses filiales étrangères qui jouissent localement d’un régime fiscal privilégié.

I – Clarification, par le Conseil d’Etat, de la clause de sauvegarde générale

Par plusieurs décisions de la fin de 2012 (notamment CE, 28 novembre 2012, n° 338682 et n°341128, et CE, 26 décembre 2012, n°3349070, et n°349071), le Conseil d’Etat a conféré un effet utile à la clause de sauvegarde dite « générale », par opposition à la clause dite « automatique » qui présume les dispositions de l’article 209 B non applicables en cas d’activité industrielle ou commerciale effective sur le marché local (ou, pour reprendre la terminologie du texte actuellement en vigueur, une activité exercée dans l’État à régime fiscal privilégié où est établie l’entité).

Pour le Conseil d’Etat, la clause de sauvegarde générale figurant au 1er alinéa du II de l’article 209 B s’applique « si l’entreprise démontre… que l’implantation de la filiale, détenue directement ou indirectement, dans un pays à régime fiscal privilégié n’a pas, pour la société mère, principalement pour objet d’échapper à l’impôt français ». Cette interprétation a permis d’adapter le texte de loi aux situations qui ont vocation à être visées par le dispositif. Contrairement à ce que le texte de loi laissait penser avant l’intervention du Conseil d’Etat, l’important est en effet l’objet d’une implantation (et non son effet) et le fait de chercher à échapper à l’impôt français (et non à un impôt étranger).

Par cette interprétation, le Conseil d’Etat a alors cassé plusieurs arrêts de Cour administrative d’appel au motif que les juges s’étaient abstenus de répondre à l’argumentation tirée de ce que l’implantation de la filiale n’avait pas principalement pour objet d’échapper à l’impôt français. Jusqu’à la nouvelle interprétation par le Conseil d’Etat, le débat se concentrait en effet, en pratique, sur la présomption de conformité à la clause automatique de sauvegarde prévue par les 2ème et 3ème alinéas du II de l’article 209 B, qui permettait d’échapper à l’application de l’article 209 B lorsque l’entité située dans l’État à fiscalité privilégiée y réalisait une activité industrielle ou commerciale effective (sur les quarante paragraphes que la doctrine de l’Administration consacre à la clause de sauvegarde, près des deux tiers portent sur la clause dite automatique). Cette question absorbait à ce point le débat que c’est précisément parce que les juges du fond s’étaient situés uniquement sur ce terrain et avaient omis d’examiner la question de la conformité des opérations de la société étrangère à la clause de sauvegarde générale que la plupart des arrêts déférés au Conseil d’État ont été annulés.

Le Conseil d’Etat ayant choisi, après cassation de ces arrêts, de renvoyer les litiges devant la CAA de Versailles, sans prendre parti sur les exigences concrètes reposant sur une société française pour qu’elle démontre que l’implantation d’une filiale dans un pays à régime fiscal privilégié n’a pas « principalement pour objet d’échapper à l’impôt français », la position des juges du fond sur ce point était très attendue.

II – Approche de la CAA Versailles favorable aux contribuables

Par plusieurs arrêts du 18 juillet 2013 (n°12VE04357, n°12VE4358, n°12VE04202, n°12VE04203, SA BNP Paribas), la CAA de Versailles a déduit des principes dégagés par le Conseil d’Etat une application de la clause générale de sauvegarde favorable aux contribuables puisqu’elle a donné gain de cause à la société BNP Paribas dans plusieurs des litiges qui lui étaient soumis.

Dans une première série de litiges étaient en cause les résultats d’une sous-filiale de la banque, détenue par l’intermédiaire de sa filiale suisse, exerçant une activité de banque privée à Guernesey auprès de clients particuliers internationaux. Selon les motifs de l’arrêt, la société avait établi que la création de cette sous-filiale, qui exerçait effectivement une activité commerciale à Guernesey, « avait pour finalité le développement de l’activité de banque privée auprès de cette clientèle internationale » si bien que « compte tenu des objectifs poursuivis par cette clientèle », comme le note avec pudeur la Cour, « les opérations ainsi réalisées n’auraient pu être effectuées en France … et les profits dégagés… n’auraient pu être réalisés en France ». Le ministre soutenait cependant que des résidents fiscaux français auraient été au nombre des clients de la sous-filiale, mais comme le remarque la Cour avec justesse, cet argument est sans portée puisque l’article 209 B « a pour seule finalité la lutte contre l’éventuelle évasion fiscale d’une société française désirant minorer son impôt sur les sociétés et non celle des clients d’une de ses filiales établies dans un Etat ou territoire à régime fiscal privilégié ». La Cour, ayant ainsi pesé les arguments de chacune des parties, en déduit que la société française apporte la preuve que les opérations de sa sous-filiale « n’avaient pas [pour la société française] principalement pour objet d’échapper à l’impôt français ».

Les autres litiges se présentaient dans un contexte sensiblement différent puisqu’ils étaient relatifs à la filiale hong-kongaise de la société BNP Paribas dont la clientèle n’était pas composée de particuliers mais des autres filiales du groupe, pour lesquelles elle exerçait une activité de gestion des devises asiatiques qu’elles détenaient et intervenait à ce titre sur le marché coréen. La société soutenait que cette activité ne pouvait être réalisée depuis la France « compte tenu, d’une part, des contraintes de décalage horaire au regard de la nécessité d’intervenir en temps réel sur le marché obligataire coréen, et, d’autre part, du recours à un personnel implanté localement en raison de sa meilleure connaissance des marchés et des interlocuteurs de la zone asiatique ». Le ministre répliquait, pour l’essentiel, qu’il n’était pas prouvé que les clients de la filiale hong-kongaise n’étaient pas des résidents français et que les fonds collectés ne provenaient pas de France, mais la Cour écarte cette argumentation en relevant qu’elle est « compte tenu de l’activité [de la filiale] et des explications avancées par la société BNP Paribas, sans incidence sur l’appréciation des finalités poursuivies par la société… en implantant sa filiale à Hong Kong ». La Cour en déduit là encore que la société BNP Paribas apporte la preuve que les opérations de sa filiale « n’avaient pas [pour la société française] principalement pour objet d’échapper à l’impôt français ».

III – L’approche de la CAA Versailles est pragmatique à propos de la charge de la preuve reposant sur les contribuables

Au cas particulier, comment apporter la preuve que des opérations n’avaient pas « principalement pour objet d’échapper à l’impôt français » ?

L’obligation dans laquelle se trouve le contribuable d’apporter une forme de preuve négative aurait pu, si cette exigence avait été appliquée sans discernement, en exigeant du contribuable qu’il apporte ab initio une preuve complète et irréfutable de l’absence d’incidence fiscale en France d’une implantation dans un Etat à régime fiscal privilégié, priver d’une bonne partie de sa portée l’interprétation favorable aux contribuables de la clause générale retenue par le Conseil d’État. Cela se serait en effet apparenté à un exercice impossible.

Le juge administratif, dans la mise en œuvre de son obligation de contrôle de la preuve, a suivi le principe souligné par Pierre Collin dans ses conclusions sous la décision Sonepar (CE, 2 février 2012, n°351600). L’important est « que le contribuable puisse aisément renverser la présomption d’évasion fiscale instituée par le texte ». Ce principe conduit donc à exiger du contribuable qu’il apporte simplement de premiers éléments suffisamment sérieux.

L’approche pragmatique et équilibrée retenue par la CAA de Versailles, fondée sur une appréciation concrète des éléments de preuve apportés par chacune des parties, permet de concilier les impératifs de la lutte contre l’évasion fiscale internationale et la réalité de la vie internationale des entreprises. Il faut s’en féliciter.

 

A propos de l’auteur

Stéphane Austry, avocat associé au sein du Département Doctrine Fiscale, en charge du développement de l’activité contentieuse du cabinet. En parallèle à ses activités, il est en charge de la pratique fiscale pour tous les cabinets membres du réseau CMS.

 

Article paru dans la revue Option Finance du 21 octobre 2013

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