Comité économique et social : Obligation de confidentialité dans les procédures d’information et de consultation
2 octobre 2020
Sur un grand nombre de thématiques, l’employeur doit préalablement à la mise en œuvre d’un projet, consulter les membres de la délégation du personnel au comité social et économique (CSE). Cette attribution consultative conduit ces derniers à être détenteurs d’informations sensibles délivrées par l’entreprise. Dès lors, que peut faire l’employeur pour respecter son obligation d’information/consultation tout en protégeant la confidentialité des données transmises ?
Un équilibre difficile entre l’obligation d’informer et la confidentialité des données
Le CSE émet des avis et des vœux dans l’exercice de ses attributions consultatives. Il dispose à cette fin d’informations précises et écrites transmises ou mises à disposition par l’employeur, d’un délai d’examen suffisant et de la réponse motivée de l’employeur à ses propres observations.
Cette attribution est mentionnée à l’article L.2312-15 du Code du travail pour les CSE dans les entreprises d’au moins 50 salariés. Toutefois, l’obligation d’informer le CSE existe également dans les entreprises de moins de 50 salariés. Ainsi, quel que soit l’effectif de l’entreprise, l’employeur qui n’informerait pas de façon complète et détaillée les membres du CSE s’exposerait à divers risques, et notamment à des poursuites pénales pour délit d’entrave.
L’épidémie de Covid-19, et ses conséquences sociales (activité partielle, mesures de prévention, difficultés économiques rencontrées, etc.), a confirmé le rôle majeur des élus dans les procédures de consultation et donc l’importance de l’obligation d’information de l’employeur.
Pour autant, cette obligation d’informer n’est potentiellement pas sans incidence pour la société. Ainsi, des informations relatives notamment à des projets de réorganisation peuvent être communiquées à l’extérieur de l’entreprise au risque de faire échec à certaines opérations ou à permettre à des concurrents de disposer d’éléments confidentiels et stratégiques sur une société qu’ils pourront utiliser à leur profit.
Préserver la confidentialité de certaines informations est donc un enjeu d’importance pour l’entreprise.
Il existe très peu d’informations confidentielles selon les textes
Au sens de la loi, sont réputées être confidentielles les informations suivantes :
-
- celles qui sont délivrées au titre de l’exercice du droit d’alerte économique du CSE et mentionnés aux articles L.2312-63 à L.2312-69 du Code du travail (1);
-
- les questions relatives aux procédés de fabrication (2);
-
- celles répondant aux critères du secret des affaires (3).
En cas de litige quant à la nature confidentielle d’une information, la Cour de cassation vérifie strictement que le document objet du litige est bien identifié comme une information confidentielle par la loi. Ainsi, dans un arrêt du 27 novembre 2019 (4), la Cour de cassation a considéré qu’un audit réalisé par un expert-comptable à la suite d’un déclenchement du droit d’alerte formé par un comité d’entreprise ne constituait pas un document confidentiel dans la mesure où il n’était pas mentionné dans le paragraphe du Code du travail sur le droit d’alerte économique.
En pratique, l’employeur doit donc définir en interne les informations qu’il estime confidentielles …
Selon le Code du travail (5), les membres de la délégation du personnel au CSE et les représentants syndicaux sont tenus à une obligation de discrétion à l’égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l’employeur et ce quelle que soit la taille de l’entreprise. Il en va de même, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, concernant les informations contenues dans la base de données économiques et sociales (6) (BDES).
Il incombe donc à l’employeur de définir ce qu’il estime être une information confidentielle. Ce faisant, il dessine en interne les contours de l’obligation de confidentialité des élus au CSE. Toutefois, cette prérogative ne l’autorise pas à communiquer avec le CSE, sous le seul sceau de la confidentialité. Toutes les informations délivrées au CSE ne sont en effet pas secrètes et l’employeur qui imposerait aux élus une obligation de discrétion trop large porterait une atteinte illicite aux prérogatives des membres du CSE qui pourrait être réparée par la reprise de la procédure d’information et de consultation à son début (7).
La jurisprudence considère comme confidentielle une information :
-
- déclarée ainsi par l’employeur ;
- n’ayant pas fait l’objet d’une diffusion préalable ;
- nécessaire à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise.
A titre d’illustrations, pourraient être considérés comme confidentiels des résultats commerciaux, des études de marché, des projets de nouveaux produits, des projets de restructuration, etc. En revanche, une information relative à d’éventuels licenciements collectifs ou à une compression d’effectifs pourrait difficilement rester secrète dans l’entreprise (JO déb. Sénat, 29 avr. 1966, p. 420).
En outre, dans certaines décisions, sont prises en compte les conséquences de la diffusion de l’information pour l’entreprise. Ainsi, dans un arrêt du 11 mars 2014 (8), la Cour de cassation a validé la position d’une Cour d’appel estimant justifiée une condamnation sous astreinte à retirer un article paru sur un site Internet, lequel détaillait service par service les postes devant être supprimés lors de la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi au sein d’une société, dans le cadre d’une procédure de licenciement collectif pour motif économique. Une telle information avait en effet été extraite d’un document de travail confidentiel remis à des élus. Il a été considéré que cet article procurait aux concurrents de la société des informations exploitables à son détriment, et était à l’origine de perturbations dans les relations sociales internes de l’entreprise, lui occasionnant ainsi un préjudice.
Il appartiendra donc à l’employeur, en cas de divulgation d’une information qu’il estime être confidentielle de prouver qu’elle l’était réellement. Il est donc recommandé d’analyser en amont quelles informations sont sensibles et de les présenter expressément comme telles dans les documents remis au CSE, notamment en estampillant les parties concernées du document d’un filigrane « confidentiel ».
Par ailleurs, dans les entreprises d’au moins 50 salariés ayant l’obligation de mettre en place une BDES, l’employeur doit préciser la durée du caractère confidentiel des informations protégées (9).
… l’employeur doit également communiquer sur les enjeux de l’obligation de discrétion
Lorsque l’employeur présente des informations au CSE il peut utilement éclairer le comité sur l’importance de conserver l’information secrète sur certains sujets en expliquant les enjeux qui en découlent. Cette démarche peut être effectuée à différentes occasions où l’employeur rencontre physiquement des élus au CSE notamment à l’occasion des réunions.
Un tel travail permettra non seulement de protéger l’entreprise, mais également d’instaurer en son sein un climat de confiance entre les élus au CSE et l’employeur. La qualité du dialogue social n’en sera donc que renforcée.
En amont de toute consultation, il est également possible de négocier des dispositions portant sur la confidentialité de certaines informations, notamment dans des accords collectifs ayant trait au fonctionnement du CSE et/ou au contenu de la BDES.
S’inscrivant dans une démarche négociée avec les partenaires sociaux, les risques de non-respect d’une obligation de confidentialité ainsi mise en place sont donc sensiblement limités, évitant à l’employeur de devoir mettre en œuvre les moyens, notamment judiciaires, à sa disposition pour faire respecter l’obligation.
Les moyens d’actions de l’employeur pour faire respecter cette obligation
A titre préventif, et sauf dispositions conventionnelles contraires, l’employeur peut s’opposer à la décision du CSE d’avoir recours à l’enregistrement ou à la sténographie des réunions lorsque les délibérations portent sur des informations revêtant un caractère confidentiel et qu’il présente comme telles. Il est à souligner que lorsqu’il est fait appel à une personne extérieure pour sténographier les séances du comité, celle-ci est tenue à la même obligation de discrétion que les membres du comité social et économique (10).
En outre, il doit s’assurer que les informations qu’il a définies comme étant confidentielles ont été identifiées de cette manière dans le procès-verbal de la réunion du CSE, et que la version diffusée est expurgée de ces dernières.
En cas de violation de l’obligation de discrétion, l’employeur peut envisager de sanctionner disciplinairement le membre du CSE responsable.
Il existe également des sanctions pénales dans des cas limitativement énumérés par la loi, dont le secret professionnel sur les procédés de fabrication.
Par ailleurs, la responsabilité civile des élus concernés peut être engagée si la société subit un préjudice causé par la divulgation d’informations confidentielles.
Enfin, dans l’hypothèse d’une telle divulgation, il est essentiel que l’employeur réagisse vite, par exemple en :
-
- publiant si nécessaire des communiqués de la Direction à destination des salariés et des tiers (à travers la presse notamment) ;
-
- sollicitant en justice l’interdiction de l’affichage ou de la diffusion de documents ou procès-verbaux dévoilant des informations confidentielles.
Le respect de la confidentialité des informations transmises au CSE peut présenter un enjeu majeur pour la préservation des intérêts légitimes de l’entreprise. Pour cela l’employeur devra identifier le plus amont possible les informations dont la divulgation serait préjudiciable afin de les présenter comme confidentielles dans les documents transmis au comité et intégrer cette donnée dans sa stratégie de communication à l’égard des représentants du personnel. Ce faisant l’équilibre entre le respect des attributions consultatives du CSE et la protection de l’entreprise pourra être assuré.
(1) C.trav.art.L.2312-67
(2) C.trav.art.L.2315-3
(3) C.com.art.L.151-1
(4) Cass. Soc. 27 novembre 2019, n°18-19.237
(5) C.trav.art.L.2315-3
(6) C. trav. art. L.2312-36
(7) Cass. Soc. 5 novembre 2014, n°13-17.270
(8) Cass. Soc. 11 mars 2014, n°13-14.350
(9) C. trav. art .R.2312-13
(10) C. trav. art. D.2315-27 al.2
Article publié dans Les Echos Executives le 02/10/2020
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