Comment mettre en oeuvre l’obligation jurisprudentielle de formation à la prévention du harcèlement ?
22 août 2017
Par un arrêt en date du 1er juin 2016 (n°14-19.702), la Cour de cassation est venue mettre à la charge des employeurs, sur le fondement des dispositions légales relatives à la protection de la santé et de la sécurité des salariés, une obligation de formation pour faire face aux cas de harcèlement. Point d’arrêt sur les modalités de mise en œuvre de cette obligation.
Une obligation fondée sur la protection de la santé et de la sécurité des salariés
Conformément à l’article L. 4121-1 du Code du travail, « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Et le texte d’ajouter que ces mesures comprennent « 1o Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail; 2o Des actions d’information et de formation ; 3o La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. ».
Depuis les importants arrêts relatifs à l’amiante du 28 février 20021, il a été considéré que l’employeur avait dans ce domaine une obligation de résultat. Tout manquement à cette obligation engageait alors automatiquement la responsabilité de l’employeur, notamment dans les cas de harcèlement.
En 2015, la Cour de cassation a amorcé une sensible évolution de sa jurisprudence en jugeant qu’en prenant des mesures suffisantes pour gérer le stress post-traumatique résultant de l’exposition d’un de ses stewards aux attentats du 11 septembre 2001, la société Air France s’était conformée à son obligation de sécurité2.
Dans le droit fil de cette jurisprudence, un arrêt de la Cour de cassation en date du 1er juin 20163 est venu préciser les conditions dans lesquelles l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité en matière de harcèlement moral. Il importe à cet égard que ce dernier ait pris toutes les mesures de prévention et notamment qu’il ait mis en œuvre, au préalable, « des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral ».
Il en ressort ainsi une double obligation pour l’employeur qui souhaite se voir exonérer de sa responsabilité : une forte politique de prévention et de formation en amont ainsi que des mesures immédiates pour stopper le dommage en aval, lesquelles doivent être prises dès que l’employeur est informé de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral.
Qui, quand et comment former ?
Dans l’arrêt précité du 1er juin 2016, une clause du règlement intérieur de l’entreprise en cause prévoyait une procédure d’alerte spécifique en cas de harcèlement moral. La Haute juridiction ne s’en n’est pas satisfaite : une simple procédure d’alerte ne peut remplacer une formation auprès des équipes de l’entreprise. Aucune précision complémentaire n’ayant été apportée par la jurisprudence, se pose dès lors la question des modalités d’une telle formation à la prévention du harcèlement moral.
Son public tout d’abord. A l’évidence aucune catégorie de salarié ne doit pouvoir être exclue d’une telle formation. Si les salariés exerçant des fonctions managériales semblent les premiers visés, tous les collaborateurs quelles que soient leurs fonctions peuvent être concernés par de tels agissements. Rappelons à cet égard que toutes les formes de harcèlement -moral et sexuel- doivent être couvertes par l’obligation de formation.
Le contenu de cette formation ensuite.
A cet égard, cette dernière parait à tout le moins devoir couvrir les questions suivantes :
- le cadre juridique général de l’obligation d’assurer la santé et la sécurité des salariés ;
- la définition du harcèlement :
o l’identification des agissements et faits caractéristiques des différentes formes de harcèlement;
o la compréhension des processus de harcèlement ;
o les conséquences du harcèlement sur le plan légal (risques civils et pénaux). - les modes de prévention du harcèlement :
o l’identification des signaux d’alarme ;
o le rôle des différents acteurs : salariés, management, représentants du personnel, services de santé au travail ;
o la communication et la sensibilisation aux risques liés à ces pratiques auprès des managers, du personnel de l’entreprise dans son ensemble, etc. ;
o la mise en place d’une politique globale de prévention du harcèlement dans l’entreprise (parler du harcèlement, prévoir une charte du harcèlement, déterminer le rôle de chaque acteurs en cas de harcèlement, etc.). - le traitement des situations présumées constitutives de harcèlement par la détermination de procédures :
o la prise en charge des victimes ;
o les procédures à suivre et les modes opératoires.
Quant à la périodicité d’une telle formation -qui ne doit donc pas consister en une simple information- celle-ci pourra donner lieu à des actualisations régulières en fonction de l’évolution de la jurisprudence et/ou de la situation de l’entreprise dans ce domaine.
En tout état de cause le contenu comme les modalités de cette formation devront préalablement donner lieu à un échange avec le CHSCT qui doit être saisi des questions relevant de sa compétence (article L. 4612-13 du Code du travail). De même le comité d’entreprise devra être associé à la mise en place de ces actions du fait de ses compétences consultatives en matière de formation professionnelle (article L. 2323-15 du Code du travail).
Enfin cette formation peut être utilement dispensée par des professionnels spécialisés, les avocats pouvant à l’évidence disposer dans ce domaine d’une expertise particulière.
Notes
1 Cass. soc., 28 févr. 2002, n°99-18.389 ; Cass. soc., 11 avr. 2002, n°00-16.535. Cette solution avait été étendue aux situations de harcèlement moral et sexuel en 2006 (Cass. soc., 21 juin 2006, n°05-43.914).
2 Cass. Soc., 25 novembre 2015, n°14-24.444.
3 Confirmé par Cass. soc., 5 oct. 2016, n°15-20.140.
Auteur
Pierre Bonneau, avocat associé en droit social
Comment mettre en œuvre l’obligation jurisprudentielle de formation à la prévention du harcèlement ? – Article paru dans Les Echos Business le 14 août 2017
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