Comment renégocier son accord télétravail ? Conseils pratiques
21 décembre 2023
Après un déploiement massif du télétravail à la faveur de la crise du Covid-19, vient le temps de la renégociation des accords collectifs conclus dans les entreprises. Quel constat tirent-elles du recours à cette forme d’organisation du travail ? Quels sont les points de vigilance à identifier ? Comment adapter le nombre de jours de télétravail, ou la prise en charge des frais de transport ?
Le télétravail est devenu une norme pour certaines entreprises. Quels autres constats tirer ?
La crise sanitaire a, en effet, fait passer le télétravail d’un mode d’organisation conjoncturel, ou exceptionnel, à un mode structurel d’organisation du travail pour les emplois le permettant, et qui sont de plus en plus nombreux dans le contexte de tertiarisation de l’économie.
Mais les chefs d’entreprise prennent dans le même temps la mesure de ses effets potentiellement néfastes pour leurs activités : «dévitalisation» du collectif de travail, recul du sentiment d’appartenance à la société et perte – difficilement mesurable – de productivité.
Nombre d’entreprises sont dans ce contexte encore à la recherche du bon équilibre entre télétravail et travail sur site avec la nécessité de prendre en compte de multiples paramètres : contraintes immobilières (généralisation ou non du flex-office…), attractivité sur le marché de l’emploi et délicate détermination d’une politique uniforme alors qu’au sein d’une même entreprise les pratiques peuvent différer selon les directions, les services voire la personnalité des managers.
Certaines entreprises souhaitent réduire le recours au télétravail. Comment procéder ?
La négociation annuelle sur les conditions de travail prévue par l’article L.2242-17 du Code du travail constitue un véhicule juridique approprié pour aborder le sujet. Celui-ci peut bien entendu l’être également dans un autre cadre, comme la révision d’un accord collectif existant.
S’agissant des contrats de travail, rappelons tout d’abord que le télétravail peut être mis en place par un accord collectif, une charte ou encore via un simple «accord» entre l’employeur et le salarié.
Ce cadre juridique très souple doit inciter les entreprises à ne pas contractualiser, sauf à risquer de le rigidifier, le télétravail. Ou tout au plus à l’inscrire dans le contrat par des stipulations informatives et non contractuelles ou encore pour une durée limitée, de telle sorte que des évolutions du cadre du télétravail n’obligent pas à requérir ensuite l’accord individuel de chaque salarié.
Le télétravail permet d’attirer certains profils. Peut-on faire varier le nombre de jours de télétravail en fonction des postes ?
Le télétravail est effectivement un facteur d’attractivité dans un marché du travail de plus en plus concurrentiel. Cependant, l’organisation du télétravail doit d’abord reposer sur une analyse de son adéquation aux besoins opérationnels de l’entreprise.
De ce point de vue, des différences peuvent exister entre catégories de salariés, et donc être fondées sur une cause légitime de différenciation de traitement.
Probablement en raison de leur volonté de disposer d’un cadre social harmonisé et lisible, peu d’entreprises semblent emprunter cette voie d’une fixation d’un nombre de jours de télétravail différencié selon les métiers. En revanche les entreprises prennent bien évidemment la précaution de lister les emplois «non télétravaillables».
Les entreprises sont confrontées à des salariés télétravaillant de plus en plus loin de leur lieu de travail. Comment le gérer ?
Les marges de manœuvre des entreprises pour limiter les déménagements de salariés dans des contrées lointaines, avec les conséquences financières qui en résultent sur la contribution aux frais d’abonnement aux transports publics, sont particulièrement étroites du fait de la liberté de choix du domicile qui découle du droit à la vie privée.
Cependant, certaines modalités d’organisation du télétravail peuvent constituer des freins à de telles velléités d’éloignement, comme l’interdiction de l’accolement systématique des jours de télétravail aux jours de repos ou encore l’obligation de pouvoir se rendre promptement à une réunion de travail la veille pour le lendemain.
De même, la fixation de règles de télétravail pour une durée limitée, et revues périodiquement, peut contribuer à endiguer ce phénomène. L’obligation de préservation de la santé et de la sécurité peut également être invoquée par l’employeur pour essayer de restreindre cette liberté de choix du domicile du salarié, comme a pu l’illustrer un arrêt récent de la cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 10 mars 2022, nº 20/02208) dont la portée est à prendre avec précaution. Les juges ayant admis la licéité du licenciement d’un salarié ayant refusé de rapprocher son domicile de l’entreprise après avoir déménagé à 400 km de celle-ci.
Concernant la prise en charge des frais de transports, les marges de manÅ“uvre de l’entreprise sont ténues. À titre d’illustration, la cour d’appel de Paris s’est très récemment conformée à la jurisprudence de la Cour de cassation – fondée sur la liberté de choix du domicile – selon laquelle l’obligation de prise en charge des titres d’abonnement au transport public entre la résidence habituelle des salariés et leur lieu de travail s’applique sans distinction de la situation géographique de cette résidence (CA Paris, 14 sept. 2023, nº 22/14610).
Cette position a d’ailleurs été expressément reprise par le BOSS. Il n’apparaît pas que des restrictions à cette liberté peuvent être apportées par la voie de l’accord collectif.
Plus largement, concernant les frais de télétravail, quels sont les conseils à donner aux rédacteurs d’un accord sur le télétravail ?
Il s’agit d’une question délicate car s’il est acquis que l’employeur doit de façon générale prendre en charge les frais professionnels des salariés, l’existence même de tels frais s’agissant du télétravail peut prêter à discussion.
En effet, les frais professionnels sont ceux exposés par un salarié pour les besoins de son activité professionnelle dans l’intérêt de l’employeur. Il n’est pas aisé pour les salariés de démontrer que leurs dépenses « habituelles » de loyer, d’électricité, de gaz ou encore d’abonnement internet sont nécessairement majorées du fait du télétravail.
Cela étant, et pour éviter toute discussion à ce sujet, une solution précautionneuse et aisée sur le plan de sa gestion administrative peut consister à prévoir une indemnisation forfaitaire dans la limite du barème fixé par la sécurité sociale (soit 20,80 euros par mois pour deux jours de télétravail par semaine).
Cette solution est en effet préférable à celle d’une prise en charge des frais réels qui implique la production de justificatifs.
Quels sont les autres points de vigilance ?
La première question que doivent se poser les entreprises est celle de la bonne conciliation du télétravail avec leurs besoins opérationnels.
L’intérêt de l’entreprise doit primer dans la détermination des règles. Ces besoins opérationnels pouvant être évolutifs, les entreprises doivent veiller à ne pas s’engager sur du trop long terme afin de pouvoir procéder aux adaptations nécessaires.
Enfin, et bien que le contentieux sur ce sujet ne soit pas nourri, elles doivent porter une attention particulière à la bonne rédaction des dispositions relatives (notamment) à la prise en charge des frais, au contrôle et au suivi de l’activité ou encore à la formalisation du télétravail avec chacun des salariés.
En définitive, s’agissant d’un mode d’organisation du travail encore relativement récent dans sa dimension «structurelle», la prudence commande aux entreprises de conserver de la souplesse et prévoir les conditions de la réversibilité pour pouvoir s’adapter aux besoins de leurs activités.
Auteur
 Pierre Bonneau, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats
Cet article a été publié dans Liaisons sociales Quotidien – L’actualité, Nº 18933, 7 décembre 2023
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