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Compte de pénibilité : gouverner, c’est prévoir

Compte de pénibilité : gouverner, c’est prévoir

Le Compte Personnel de Prévention de la Pénibilité (C3P) est entré en vigueur le 1er janvier 2015 pour quatre facteurs de pénibilité : le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, le travail répétitif et les activités exercées en milieu hyperbare. Six autres facteurs s’y ajouteront dès le 1er janvier 2016.

Les entreprises sont, désormais, tenues de remplir les fiches de prévention des expositions aux risques professionnels résultant de ces facteurs de pénibilité pour les salariés qui y sont exposés et de les leur remettre dans certaines circonstances.

Avant le 31 janvier 2016, elles devront avoir rempli l’ensemble de ces fiches, déclarer les facteurs de pénibilité auxquels sont exposés les salariés dans la DADS et verser les cotisations correspondantes.

Selon un sondage récent, 57% des employeurs déclarent compter des salariés soumis à au moins un des quatre facteurs de pénibilité applicables cette année et 47% avoir établi les fiches de prévention1.

Certes, le Premier ministre a déclaré, dans un communiqué en date du 8 janvier 2015, « que les entreprises concernées par les quatre facteurs de pénibilité entrant en vigueur en 2015 (travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif, activités exercées en milieu hyperbare) – soit une petite minorité des entreprises françaises- n’ont à ce stade aucune tâche ou formalité supplémentaire à accomplir au titre du compte. Aucune obligation déclarative n’est à accomplir avant le mois de janvier 2016. »

Les entreprises savent que ce type de promesses n’engage que ceux qui les reçoivent, alors surtout que :

  • l’ensemble des décrets d’application de la loi sont déjà publiés : les six décrets n°2014-1155 à 2014-1160 du 9 octobre 2014 ; le décret n°2014-1617 fixant la liste des régimes spéciaux de retraite mentionnés à l’article L 4162-1 du Code du travail ; le décret n°2015-259 du 4 mars 2015 relatif à la fiche de prévention des expositions des salariés temporaires ;
  • les ministères du Travail et des Affaires sociales ont publié le 13 mars dernier une instruction DGT-DSS n° 1 de 19 pages relative à la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité en 2015, qui annonce elle-même une seconde instruction précisant les modalités d’acquisition et d’utilisation des points par les salariés ;
  • à la suite de propos tenus par le ministre du Travail devant la CAPEB, le Gouvernement a rappelé le 9 avril dernier, par la voix de la ministre de la Santé, qu’il n’avait pas l’intention « de remettre en cause les critères de la pénibilité, ni la mise en place du compte pénibilité, mais seulement de faire en sorte qu’il soit plus simple ».

La mise en œuvre du compte de pénibilité dans les entreprises demande, de la part de celles-ci, un travail de préparation important car le dispositif, particulièrement complexe, soulève de nombreuses questions :

  • Quel est le champ d’application du C3P : quelles sont les entreprises concernées ?
  • Comment remplir les fiches de prévention recensant les facteurs de pénibilité auxquels sont exposés les travailleurs, à partir du tableau figurant à l’article D 4161-2 du Code du travail qui définit, pour chacun des dix facteurs de risques professionnels identifiés par la loi des seuils d’expositions combinant la description d’une action ou d’une situation (ex : porter une charge), une intensité minimale (ex : 15 kilos) et une durée minimale (ex : 600 heures par an) ? Et que faire en cas de changement de poste en cours d’année ?
  • Comment remplir les Déclarations annuelles des Données sociales des entreprises (DADS), calculer et payer les deux cotisations : cotisations de base et additionnelle ;
  • Comment les salariés de l’entreprise pourront-ils utiliser leur compte sous forme de formation, de passage à temps partiel ou de départ anticipé en retraite ?
  • Sur le plan du contrôle, comment les agents des CARSAT effectuent-ils leurs opérations de contrôle sur pièces et sur place dans les entreprises ? Comment fonctionnera la procédure de réclamation des salariés sur le nombre de points attribués ?
  • Quel sera le rôle du comité d’entreprise, du CHSCT et de la négociation collective en matière de compte de pénibilité ?
  • Quelles seront les incidences de l’institution du C3P sur l’obligation de résultat de l’employeur en matière de risques professionnels, le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles, la faute inexcusable et le préjudice d’anxiété ?

Pour aider les entreprises à mettre en place le dispositif et faciliter leur démarche, le Gouvernement a mis en place deux missions de conciliation :

  • MM. Christophe Sirugue, Député de Saône et Loire et Gérard Hulot, chef d’entreprise, ont été chargés par le Premier ministre de faire, d’ici juin 2015, des propositions permettant de simplifier et de sécuriser, sur le plan juridique, le dispositif ;
  • M. Michel de Virville, Conseiller Maître honoraire à la Cour des comptes et ancien DRH de Renault, a été chargé par le Premier ministre d’une mission d’appui aux branches professionnelles pour l’élaboration de référentiels de branche destinés à faciliter l’évaluation des facteurs de pénibilité auxquels sont exposés les différents postes de travail.

L’idée serait de sécuriser, sur le plan juridique, ces référentiels de branche, déjà prévus par l’article D 4161-1 du Code du travail. Ces référentiels, qui seraient homologués par l’Administration, permettraient aux entreprises de remplir beaucoup plus simplement leurs obligations légales. Ainsi par exemple une petite entreprise du bâtiment pourrait, en se référant à un référentiel élaboré par la branche du bâtiment, savoir si un poste de terrassier ou de boisier exercé dans un certain type de chantier ou encore de ferrailleur en l’absence d’un accompagnement mécanisé sur un chantier doit être considéré, en moyenne sur l’année et après application des mesures de protection collective et individuelle, comme exposé à un ou plusieurs facteurs de pénibilité et ouvre donc droit à quatre ou huit points sur l’année.

Souhaitons que les efforts des deux missions, qui ont décidé d’unir leurs efforts, permettent au Gouvernement, avec l’appui des branches professionnelle, de simplifier, d’alléger et de sécuriser au maximum pour les entreprises la mise en œuvre de ce dispositif assez Kafkaïen.

Note

4e Baromètre pénibilité publié par le cabinet de conseil Atequacy le 15 avril 2015.

 

Auteur

Olivier Dutheillet de Lamothe, avocat, Of Counsel, Département social.

 

*Compte de pénibilité : gouverner, c’est prévoir* – Article paru dans Les Echos Business le 20 mai 2015