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Concentration : un « Gun Jumping » à 80 millions d’euros !

Concentration : un « Gun Jumping » à 80 millions d’euros !

La réglementation sur le contrôle des concentrations interdit la réalisation d’une opération de concentration sans que celle-ci ait été préalablement autorisée par l’Autorité de la concurrence (ADLC) et ainsi donc, lorsque l’opération a été notifiée, avant qu’elle n’ait été définitivement autorisée par l’ADLC. Le non-respect de cette procédure suspensive ou « Gun Jumping » peut coûter aux entreprises qui ont ou auraient dû notifier jusqu’à 5 % de leur chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui réalisé en France durant la même période par la partie acquise (art. L.430-8, I et II C. com.).

L’ADLC a déjà eu l’occasion, à plusieurs reprises, de sanctionner un défaut de notification, après avoir autorisé l’opération « a posteriori ». Ainsi, la société mère du groupe Castel Frères s’était vu infliger en 2013 une amende de 4 millions d’euros pour ne pas avoir notifié à l’ADLC, avant sa réalisation, la prise de contrôle exclusif de plusieurs sociétés du groupe Patriarche (décision 13-D-22 du 20 décembre 2013 partiellement reformée par CE 15 avril 2016 n° 375658 qui a réduit le montant de l’amende à 3 millions d’euros).

De manière inédite, l’ADLC vient de sanctionner solidairement Altice Luxembourg et SFR Group pour avoir réalisé, par anticipation, deux opérations de concentration qui avaient été notifiées et autorisées en 2014. Par son niveau record de 80 millions d’euros, l’amende prononcée constitue par ailleurs, selon le communiqué de presse de l’Autorité, une première en Europe et dans le monde.

Dans cette affaire et aux termes du communiqué seul publié à ce jour, il ressort que, en 2014, l’ADLC avait successivement autorisé la prise de contrôle du groupe SFR et celle du groupe OTL (« Virgin Mobile ») par Numericable, filiale française du groupe Altice. Puis, sur la base d’un certain nombre d’indices, l’Autorité avait menée en 2015 des opérations de visites et saisies dans les locaux de Numericable, SFR et OTL, pour savoir s’il y avait eu réalisation anticipée des deux opérations. Au terme de cette enquête, l’ADLC est arrivée à la conclusion que, même si la propriété des actifs concernés n’avait pas été transférée pendant la période suspensive, Altice avait exercé une influence déterminante sur les sociétés cibles et accédé à de nombreuses informations, avant même d’obtenir le feu vert de l’Autorité.

Concernant la prise de contrôle de SFR, l’ADLC reproche à Altice les comportements suivants :

être intervenu à plusieurs reprises, pendant la phase de suspension, dans la gestion opérationnelle de SFR en validant un certain nombre de décisions stratégiques (notamment la validation de la renégociation d’un accord majeur et l’intervention directe sur la politique tarifaire de SFR) ;

avoir renforcé les liens économiques entre SFR et Numericable par la mise en œuvre anticipée d’une stratégie coordonnée des deux groupes ;

avoir procédé à des échanges d’informations stratégiques généralisés dans le but de préparer l’intégration des deux groupes (communication d’informations confidentielles concernant des données individualisées, les performances commerciales récentes de la cible et certaines prévisions).

Les mêmes griefs d’intervention prématurée dans la gestion opérationnelle de la cible et d’échanges d’informations stratégiques (mise en place d’un mécanisme de remontées d’informations hebdomadaires permettant de suivre les performances économiques de la cible) sont formulés à propos du rapprochement avec OTL. A ceux-ci s’ajoute aussi la prise de fonction anticipée de l’encadrement, le directeur général d’OTL ayant commencé à exercer ses fonctions au sein du groupe SFR-Numericable avant l’autorisation de l’opération.

Le montant conséquent de la sanction infligée s’explique, selon l’ADLC, par l’importance des opérations concernées par l’infraction (montant des acquisitions et impact sur le secteur des télécommunications), le nombre des comportements variés témoignant de la réalisation anticipée des deux opérations, l’ampleur des activités des cibles, la durée des comportements (avant la notification et pendant toute la phase de contrôle) et le constat de comportements similaires et délibérés de la part d’Altice dans les deux opérations. L’Autorité laisse toutefois entendre que ce montant aurait pu être encore plus élevé, en soulignant que l’amende infligée tient compte de ce que les entreprises sanctionnées n’ont pas contesté la réalité des pratiques en cause ni leur qualification.

Cette décision, non encore publiée, est un avertissement net adressé par l’Autorité aux opérateurs économiques qui seraient tentés par un « Gun Jumping ». Mais, même en dehors de tout comportement délibéré, le risque est bien présent. Le défaut de notification peut en effet aussi résulter d’une appréciation erronée du caractère contrôlable de l’opération de rapprochement envisagée. En outre, lorsque l’opération a été régulièrement notifiée, les parties à l’opération doivent également garder à l’esprit que tant que l’autorisation n’a pas été délivrée elles doivent veiller à se comporter entre elles comme des concurrents. La plus grande vigilance s’impose donc à elles pendant la phase d’examen de l’opération.


ADLC, Communiqué du 8 novembre 2016, décision n° 16-D-24 (en attente de publication)

Auteurs

Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris

Denis Redon, avocat associé en droit de la concurrence, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris