Concentrations : actualité du «gun jumping»
Les amendes pour mise en œuvre anticipée des opérations de M&A atteignent des sommets tandis que la CJUE tente de resserrer la notion.
La mise en œuvre anticipée des opérations de concentrations notifiables (appelée métaphoriquement « gun jumping » pour évoquer l’image d’un coureur s’élançant avant le coup de feu marquant le départ d’une course) est un sujet dont diverses autorités de concurrence ont entendu se saisir dans la période récente.
Au-delà des cas d’absence pure et simple de notification, c’est sur les conditions de la réalisation de la phase de due diligence et d’organisation de la phase transitoire entre le « signing » et le « closing » que portent les dernières actualités.
On se souvient que l’Autorité de la concurrence avait la première adopté une décision très détaillée sur les conditions dans lesquelles Altice avait mis en œuvre sa prise de contrôle sur SFR, avant d’y être formellement autorisée.
Les prises de position « de principe » de l’Autorité dans le cas Altice avaient été jugées extrêmement sévères. Aussi la présidente avait-elle annoncé l’adoption de lignes directrices à l’issue d’une concertation menée avec d’autres autorités de concurrence. Elle a finalement opté pour une voie plus informelle en publiant début juillet, dans la revue spécialisée Concurrences, un état des pratiques de l’ADLC en matière de gun jumping.
Entre temps, les autorités américaines (la Federal Trade Commission) ont également publié un très intéressant guide de bonnes pratiques sur les pièges à éviter sur le terrain du droit de la concurrence dans la phase d’audit et de négociation d’une opération de fusion-acquisition.
La position de la Commission européenne sur un autre cas de gun jumping reproché à Altice (acquisition de PT Portugal avant sa notification et son approbation par la Commission) était très attendue. Dans la décision rendue le 24 avril 2018 par laquelle elle a infligé à Altice une amende de 124,5 millions d’euros, la Commission a en particulier conclu que :
- Altice avait acquis une influence déterminante sur PT Portugal, notamment par des droits de veto sur les décisions concernant la gestion courante des affaires de PT Portugal ;
- Altice aurait exercé cette influence déterminante sur certains aspects de l’activité commerciale de PT Portugal, par exemple via des instructions données à PT Portugal sur une campagne promotionnelle et en demandant et recevant des informations commerciales sensibles concernant PT Portugal en dehors du tout accord de confidentialité.
Une autre question de gun jumping vient d’être tranchée par la CJUE, saisie à titre préjudiciel par une juridiction danoise de la rupture du contrat d’affiliation d’un cabinet d’audit danois au réseau KPMG au profit du réseau Ernst & Young.
Dans un arrêt du 31 mai 2018, la CJUE a considéré que la rupture du contrat d’affiliation au réseau KPMG ne peut caractériser une mise en œuvre anticipée condamnable, faute notamment de constituer une mesure qui n’est pas inextricablement liée au changement d’affiliation quand bien même elle en serait la condition préalable.
La CJUE a en cela suivi les conclusions de son avocat général Nils Wahl qui l’invitait à ne pas étendre à outrance la portée de l’obligation de suspension des opérations de concentration avant qu’elles ne soient autorisées (et corrélativement la notion de mise en œuvre anticipée) : seule l’acquisition de la possibilité d’exercer une influence déterminante sur la cible crée une obligation de suspension, les mesures précédant cette acquisition de contrôle ne relevant pas à l’inverse de cette obligation.
Commission européenne décision M.7993 du 24 avril 2018 – Altice ; CJUE, 31 mai 2018 aff. C-633/16, Ernst & Young P/S contre Konkurrenceradet)
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