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Acte de concurrence déloyale commis par un salarié : une faute, trois interprétations

Acte de concurrence déloyale commis par un salarié : une faute, trois interprétations

Le salarié qui détourne la clientèle de son employeur ou s’approprie des documents confidentiels afin de développer une activité concurrente viole son obligation de loyauté et est susceptible de faire l’objet d’une sanction disciplinaire.

Au-delà, ces actes de concurrence déloyale peuvent conduire l’employeur à engager la responsabilité civile ou pénale du salarié.

La faute commise est toutefois appréciée différemment selon les chambres de la Cour de cassation.

La Chambre criminelle sanctionne le détournement de clientèle

Le délit d’abus de confiance se définit comme « le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé »1.

Dans un arrêt du 22 mars 20172, la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur le bien-fondé de poursuites pénales entreprises à l’encontre d’un salarié qui avait créé une société concurrente de son employeur peu avant son licenciement et avait cherché par la suite à capter les clients de celui-ci, avec l’aide d’un autre salarié toujours en poste.

La Chambre criminelle juge que l’utilisation par un salarié d’informations relatives à la clientèle de son employeur par des procédés déloyaux dans le but d’attirer une partie de cette clientèle vers une autre société caractérise le détournement d’un « bien », et constitue un abus de confiance.

Elle estime en outre que le délit est constitué, que les agissements soient intervenus en cours d’exécution du contrat de travail ou après sa rupture : l’ancien salarié ayant créé une société concurrente comme celui resté en poste sont reconnus coupables d’abus de confiance.

Dans un arrêt antérieur, la Chambre criminelle avait déjà jugé que la reconnaissance d’une faute lourde – impliquant une intention de nuire – n’était pas requise pour qu’une juridiction pénale condamne un salarié au paiement de dommages-intérêts, ceux-ci étant justifiés par la seule infraction commise3.

La Chambre criminelle procède ainsi à l’égard des salariés auteurs d’actes de concurrence déloyale comme pour tout autre prévenu, tant s’agissant de la qualification de l’infraction que du prononcé de la peine et de l’indemnisation civile en résultant.

La Chambre commerciale condamne également les actes de concurrence déloyale

Les juridictions commerciales sont en principe compétentes pour statuer sur les actions en responsabilité civile liées à des actes de concurrence déloyale commis par un ancien salarié après la rupture de son contrat de travail.

Saisie d’une telle affaire, la Chambre commerciale de la Cour de cassation juge le 8 février 20174 que l’appropriation par un ancien salarié d’informations confidentielles relatives à l’activité de son employeur via des procédés déloyaux est un acte de concurrence déloyale ouvrant droit à indemnisation.

Dans les faits à l’origine de cet arrêt, un salarié démissionnaire avait conservé des fichiers et documents appartenant à son ancien employeur ; ces éléments avaient été retrouvés dans le système informatique de la société concurrente qu’il avait par la suite créée.

Le contrat de travail de l’intéressé prévoyait une obligation de restitution de tous les documents confiés par l’entreprise lors de la cessation des fonctions : la faute commise était donc rattachable à l’exécution du contrat de travail.

Pourtant, la Chambre commerciale fait application des principes de droit commun de la responsabilité civile en estimant suffisante, pour condamner l’ancien salarié, l’existence d’une faute « simple » et d’un préjudice subi par l’employeur.

La Chambre sociale maintient une approche beaucoup plus restrictive

Les juridictions prud’homales sont quant à elles compétentes pour statuer sur l’indemnisation sollicitée par un employeur au titre d’actes de concurrence déloyale commis par un salarié pendant l’exécution de son contrat de travail.

Ces juridictions ne sanctionnent que rarement de tels actes.

En application de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, la responsabilité civile d’un salarié ne peut en effet être engagée que s’il est démontré une faute lourde.

Cette faute lourde est caractérisée en présence d’une intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui causer un préjudice.

Pour la Chambre sociale, cette intention de nuire ne peut résulter de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise.

Ainsi, la responsabilité civile d’un salarié commercial qui avait vendu à un client de son employeur des produits d’un concurrent ne peut être reconnue : pour la Chambre sociale, ce manquement du salarié à son obligation de loyauté ne justifie pas l’engagement de sa responsabilité en l’absence de preuve d’une intention de nuire5.

Or à l’évidence, en commettant un acte de concurrence déloyale tel qu’un détournement de clientèle ou l’appropriation d’informations confidentielles, un salarié sait pertinemment qu’il lèse son employeur : l’intention de nuire est inhérente à l’acte commis.

La position de la Chambre sociale – exigeant que l’intention de nuire soit prouvée de façon distincte des faits reprochés – n’est donc pas cohérente, et rend très difficile en pratique l’engagement de la responsabilité civile d’un salarié dans une procédure prud’homale.

Cette position est en outre différente de celles retenues par les autres chambres de la Cour de cassation.

Paradoxalement, ce particularisme de la Chambre sociale de la Cour de cassation pourrait inciter les employeurs à se placer sur le terrain pénal, en présence d’un délit caractérisé.

Notes

1 Article 314-1 du Code pénal
2 Cass. Crim 22 mars 2017 n°15-85929
3 Cass. Crim 25 février 2015 n°13-87602
4 Cass. Com 8 février 2017 n°15-14846
5 Cass. Soc. 22 juin 2016 n°15-16880

 

Auteur

Xavier Cambier, avocat en droit social

 

Acte de concurrence déloyale commis par un salarié : une faute, trois interprétations – Article paru dans Les Echos Business le 9 mai 2017