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Concurrence fiscale et aides d’Etat : après le Luxembourg et les Pays-Bas, la Belgique passe sous les fourches caudines de la Commission européenne

Concurrence fiscale et aides d’Etat : après le Luxembourg et les Pays-Bas, la Belgique passe sous les fourches caudines de la Commission européenne

La Commission européenne a estimé le 11 janvier qu’un régime fiscal belge permettant aux sociétés multinationales d’obtenir l’exonération d’une partie des bénéfices réalisés en Belgique constituait une aide d’Etat illégale1. Cette décision vient apporter une nouvelle pierre à la lutte contre l’évasion fiscale et la concurrence fiscale dommageable entre Etats membres, engagée depuis 2013.

L’appréhension des rulings fiscaux sous l’angle des aides d’Etat

L’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que les aides d’Etat qui affectent les échanges entre Etats membres et menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises sont en principe incompatibles avec le marché unique européen.

En matière fiscale, toute législation ou mesure individuelle de nature à procurer un avantage à certaines entreprises en réduisant les bases d’imposition ou le montant de l’impôt entre dans le champ d’application de ces règles2. Toute décision de l’administration qui s’écarte des règles fiscales générales et favorise donc certaines entreprises entraîne également une présomption d’aide.

S’agissant plus particulièrement des décisions individuelles, la Commission a commencé en juin 2013 à enquêter sur les pratiques de rulings fiscaux en vigueur dans les Etats membres (en droit français, on parle de « rescrits fiscaux« ).

Dans ce cadre, à l’issue de plusieurs enquêtes approfondies ouvertes en juin 2014, la Commission a considéré, en octobre 2015, que le Luxembourg avait accordé des avantages à Fiat3 et que les Pays-Bas en avaient fait de même en faveur de Starbucks4, en accordant des rescrits validant des méthodologies qui servaient à établir des prix de transfert qui s’écartaient du principe de pleine concurrence prévalant au sein de l’OCDE. Dans ces décisions, la Commission souligne que la pratique des rulings, consistant pour l’administration à donner son accord sur la méthode de détermination des prix de transfert, n’est pas illégale en soi mais qu’elle le devient lorsqu’elle permet de fausser la répartition des bénéfices entre plusieurs entreprises du même groupe afin de réduire in fine l’impôt payé par celles-ci dans les Etats concernés.

Trois autres enquêtes au sujet de rulings fiscaux sont actuellement ouvertes. Elles concernent Apple en Irlande5, Amazon6 et McDonald’s au Luxembourg7. Pour l’instant, aucune décision finale n’a été prise dans ces dossiers.

Parallèlement à l’instruction de ces affaires, la Commission a, en décembre 2014, demandé à tous les Etats membres de lui indiquer leurs pratiques en matière de rulings fiscaux et de lui communiquer tous ceux qu’ils auraient accordés depuis 2010, afin d’examiner leur comptabilité avec les règles en matière d’aides d’Etat.

La décision de la Commission sur le régime belge d’exonération des bénéfices excédentaires marque une nouvelle étape

A la suite de son enquête sur les pratiques des Etats membres, la Commission a ouvert une procédure à l’encontre d’un régime belge concernant le système de rulings fiscaux relatifs aux bénéfices dits « excédentaires« .

L’enquête menée par la Commission a démontré que, par dérogation au régime de droit commun imposant la taxation à l’impôt sur les sociétés du bénéfice comptable réel enregistré en Belgique, le régime en question avait permis l’octroi d’ajustements négatifs de la base imposable en faveur de certaines entreprises multinationales.

Ce régime se fondait sur l’hypothèse que ces sociétés réalisent des bénéfices excédentaires du fait de leur appartenance à un groupe multinational, grâce aux synergies et aux économies d’échelle qu’un groupe permet d’effectuer, à sa réputation, à ses réseaux de clients et de fournisseurs et à l’accès aux nouveaux marchés qu’il favorise. Ces bénéfices équivalaient à la différence entre le bénéfice réellement enregistré d’une multinationale et le bénéfice moyen hypothétique qu’une société autonome se trouvant dans une situation comparable aurait enregistré.

Le régime belge était organisé par la loi et donnait aux entreprises multinationales un droit à déduction de leur base imposable à hauteur desdits bénéfices excédentaires. Des rulings fiscaux étaient ensuite délivrés à chaque entreprise généralement pour une période de quatre ans et reconductibles. Selon la Commission, les bénéfices réellement enregistrés par ces sociétés étaient généralement réduits de plus de 50%, voire de 90% dans certains cas.

La Commission a donc considéré que ce régime avait conféré aux sociétés un traitement fiscal préférentiel illégal au regard des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’Etat.

Par opposition aux décisions relatives à Fiat et Starbucks, dans lesquelles la Commission a examiné chaque rulings individuel accordé à une entreprise nominativement désignée, s’agissant de la Belgique la Commission a ciblé le régime fiscal lui-même et l’a déclaré incompatible dans sa globalité, laissant à l’Etat belge le soin d’identifier ses bénéficiaires, de chiffrer les avantages dont ils ont bénéficié et de procéder à la récupération auprès de chacune des entreprises. D’après la Commission, le montant total à récupérer s’élèverait à 835 millions d’euros à répartir entre au moins 35 multinationales.

L’incompatibilité d’une aide impose sa récupération par l’Etat membre « coupable« 

En droit des aides d’Etat, l’Etat membre qui a accordé une aide illégale doit la récupérer afin de rétablir la situation économique qui existait préalablement au versement de l’aide et de remédier à la distorsion de concurrence qui en a résulté. Il incombe donc à l’Etat membre de chiffrer l’étendue de l’avantage concurrentiel dont a pu profiter le bénéficiaire de l’aide et de lui demander de le restituer.

La récupération des aides répond à une logique purement concurrentielle et n’a nullement pour but de recouvrer rétroactivement des recettes fiscales. Pourtant, les sommes récupérées auprès des bénéficiaires reviennent aux Etats membres qui ont mis en place l’avantage illégal.

Dans ce contexte de lutte contre la concurrence fiscale dommageable, le mécanisme de récupération des aides d’Etat fait l’objet de plusieurs critiques. Très récemment, le Parlement européen a demandé que les sommes que le Luxembourg, les Pays-Bas et la Belgique doivent récupérer ne reviennent pas à ces pays qui n’ont pas respecté le droit des aides d’Etat, mais qu’elles soient affectées soit aux Etats qui ont subi un préjudice fiscal du fait de ces pratiques, soit, comme c’est le cas des amendes infligées dans les affaires de concurrence (ententes, abus de position dominante), au budget de l’Union européenne.

Les décisions rendues en matière d’aides d’Etat sont relayées par des initiatives à caractère politique

En mars 2015, la Commission a proposé un paquet de mesures sur la transparence fiscale. Dans ce cadre, elle a notamment préconisé de rendre obligatoire l’échange d’informations concernant les rescrits fiscaux « en matière transfrontière » sur la base de rapports adressés par les autorités fiscales nationales à tous les autres États membres et à la Commission.

Sept mois seulement après la présentation de cette proposition, les Etats membres sont parvenus à un accord politique sur ce texte et celui-ci a conduit à l’adoption de la directive 2015/2376 du 8 décembre 2015 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal.

Dans la continuité de ces travaux, la Commission a présenté, en juin 2015, un plan d’action visant à réformer en profondeur la fiscalité des entreprises. Parmi les actions clés figure notamment la relance des travaux relatifs à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS).

En dernier lieu, le 28 janvier 2016, la Commission a publié une communication dans laquelle elle expose une stratégie visant à encourager la bonne gouvernance fiscale à l’échelle mondiale et à associer les Etats tiers à l’Union européenne à la lutte contre la fraude. Elle a également présenté à cette occasion deux propositions de directives, dont la première vise à modifier la directive 2011/16/UE en obligeant les Etats à échanger les déclarations pays par pays faites par les multinationales et la seconde contient des mesures « anti-BEPS » (base erosion and profit shifting).

Notes

1 Aide SA.37667. La version publique de cette décision n’a pas encore été rendue disponible par les services de la Commission.
2 Communication de la Commission sur l’application des règles relatives aux aides d’Etat aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises, JOCE C 384 du 10.12.1998, p.3.
3 Aide SA.38375.
4 Aide SA.38374.
5 Aide SA.38373.
6 Aide SA.38944.
7 Aide SA.38945.

 

Auteurs

Claire Vannini, avocat associé en matière de droit de la concurrence national et européen.

Eleni-Maria Moraïtou, avocat en matière de droit de la concurrence national et européen

 

Concurrence fiscale et aides d’Etat : après le Luxembourg et les Pays-Bas, la Belgique passe sous les fourches caudines de la Commission européenne – Article paru dans le magazine Option Finance le 15 février 2016