Concurrence de la part d’un ancien salarié : subir ou réagir ?
22 septembre 2014
Que devient l’obligation réciproque de loyauté après la rupture du contrat de travail ? Dans quelles limites un salarié peut-il faire concurrence à son ancien employeur ? Point d’arrêt sur les règles applicables.
Création d’une entreprise concurrente, détournement de clientèle, détournement de fournisseurs, confusion des tiers sur l’identité de l’entreprise… : nombre d’employeurs ont été confrontés, en particulier lorsque la rupture du contrat de travail est intervenue à l’initiative du salarié, à des agissements de concurrence déloyale de la part du collaborateur démissionnaire.Les moyens de réaction de l’employeur face à des agissements de cette nature diffèrent selon que le contrat de travail comporte ou non une clause de non-concurrence.
Une situation plus aisée à traiter en présence d’une clause de non-concurrence
Dans cette hypothèse, les parties ont expressément prévu et organisé la persistance du devoir de loyauté du salarié au-delà de la relation contractuelle.
Ainsi, le salarié accepte qu’il soit porté atteinte au principe de libre exercice d’une activité professionnelle, sous réserve que cette atteinte soit justifiée par la nature de la tâche à accomplir par le salarié (sa fonction dans l’entreprise) et proportionnée au but recherché, c’est-à-dire, depuis des arrêts de la Cour de cassation en date du 10 juillet 2002, que la clause soit justifiée par la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, et qu’elle soit limitée dans le temps, dans l’espace et assortie d’une contrepartie financière.
En cas de violation de la clause, l’employeur peut solliciter de la part du salarié non seulement le remboursement de la contrepartie financière indûment perçue, mais également des dommages et intérêts, soit par le seul jeu d’une clause pénale prévue au contrat de travail et qui a pour objet de sanctionner la violation de l’engagement de non-concurrence, soit, en l’absence de clause pénale, en justifiant de l’existence et de l’importance du préjudice subi.
En l’absence de clause de non-concurrence : nécessité de démontrer l’existence d’actes de concurrence déloyale
Plus délicate est l’hypothèse dans laquelle le contrat de travail ne comporte aucune clause de non-concurrence ou comporte une clause nulle, faute de répondre aux conditions de validité posées par la Cour de cassation.
Dans cette situation, le principe de liberté du travail et de libre établissement permet à l’ancien collaborateur d’occuper un emploi dans une entreprise concurrente ou de créer lui-même une telle entreprise dès lors qu’aucune interdiction ne lui en a été faite.
Dès lors, sur quel fondement l’employeur peut-il intenter un recours à l’encontre de son ancien salarié ? Le principe de liberté du travail et de libre établissement doit-il prévaloir sur le devoir de loyauté du salarié ?
Telle n’est pas la position de la Cour de cassation qui a tenté de concilier ces deux principes en reconnaissant la liberté de travail du salarié tout en lui interdisant de commettre des actes de concurrence déloyale.
En effet, la jurisprudence considère depuis plusieurs années déjà que la nullité d’une clause de non-concurrence ne fait pas obstacle à l’action en responsabilité engagée par l’employeur contre son ancien salarié dès lors qu’il démontre que ce dernier s’est livré à des actes de concurrence déloyale illicite (Cass. Soc. 14 décembre 2005, 04-40561).
La responsabilité de l’ancien salarié peut ainsi être engagée sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, sous réserve pour l’employeur de prouver l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.
A cet égard, sont le plus souvent qualifiés de fautifs, et caractérisent donc la concurrence déloyale, les agissements qui entraînent soit une désorganisation de l’entreprise, soit un trouble commercial causé à celle-ci, soit encore une confusion dans l’esprit de la clientèle.
Les moyens employés peuvent en outre être, dans certaines circonstances, qualifiés de frauduleux, notamment en cas de débauchage de salariés ou encore de détournement de la clientèle par dénigrement ou procédés tendant à obtenir les marchés ou commandes dont l’ancien employeur est normalement bénéficiaire.
Une charge de la preuve qui pèse sur l’employeur
Encore faut-il que l’employeur, sur lequel repose la charge de la preuve, soit en mesure de fournir aux juges les éléments leur permettant d’établir le caractère déloyal des actes commis par le salarié.
De simples présomptions sont à cet égard insuffisantes. Il a ainsi été jugé que, en l’absence de clause de non-concurrence, une cour d’appel peut estimer que la création d’une entreprise concurrente et «le simple fait d’aviser une clientèle de son départ et de la création d’une nouvelle société, alors que cette clientèle est libre de choisir l’entreprise avec laquelle elle veut travailler», n’étaient pas constitutifs d’une faute (Cass. Soc. 13 mai 1997 n°95-12578).
De même, il a été jugé que la résiliation de nombreux contrats par des clients suite à la démission d’un salarié ayant créé une entreprise concurrente n’est pas suffisante pour caractériser des actes effectifs de concurrence déloyale du salarié avant le terme de son contrat de travail (Cass. Soc. 31 octobre 2012, n°11-16988).
Or, les actes de concurrence déloyale sont souvent très délicats à établir en raison notamment de l’absence totale de contrôle par l’employeur des actes de son ancien salarié et de la difficulté corrélative de rapporter la preuve des faits qui lui sont reprochés.
Le recours au dispositif de l’article 145 du Code de procédure civile
Une solution peut consister à recourir au dispositif prévu par l’article 145 du Code de procédure civile. Celui-ci permet en effet à l’employeur, en amont de tout procès et sous réserve qu’il existe un motif légitime «de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre l’issue du litige», de solliciter du juge des référés ou sur requête toute mesure d’instruction légalement admissible telle qu’expertise, séquestre…
Ce n’est qu’à cette condition que l’ancien employeur pourra solliciter l’octroi de dommages et intérêts à l’encontre de son ancien salarié, voire de l’entreprise concurrente.
Auteurs
Pierre Bonneau, avocat associé en droit social.
Florence Habrial, avocat en droit du travail et droit de la protection sociale.
A lire également
Cessions d’entreprises en difficulté : typologie des risques en droit social... 1 octobre 2018 | CMS FL
Rupture conventionnelle : la seule voie possible ?... 16 décembre 2014 | CMS FL
Modification de l’encadrement tarifaire des contrats « santé » des anciens ... 30 mai 2017 | CMS FL
Suicide de salariés : quels risques juridiques pour les employeurs ?... 6 mai 2013 | CMS FL
Immixtion des actionnaires et co-emploi : un risque maîtrisable ?... 28 juin 2016 | CMS FL
La durée des engagements sociaux dans les opérations de cession : une rédacti... 5 mai 2023 | Pascaline Neymond
Information des salariés sur les opérations de cession : l’épilogue ?... 18 avril 2016 | CMS FL
Prise d’acte : poursuite du durcissement contre les départs opportunistes... 4 août 2014 | CMS FL
Articles récents
- La convention d’assurance chômage est agréée
- Sécurité sociale : quelles perspectives pour 2025 ?
- L’intérêt à agir exclut la possibilité pour un syndicat professionnel de demander la régularisation de situations individuelles de salariés
- Présomption de démission en cas d’abandon de poste : les précisions du Conseil d’Etat sur le contenu de la mise en demeure
- Quel budget pour la sécurité sociale en 2025 ?
- Syntec : quelles actualités ?
- Modification du taux horaire minimum de l’allocation d’activité partielle et de l’APLD
- Congés payés acquis et accident du travail antérieurs à la loi : premier éclairage de la Cour de cassation
- Télétravail à l’étranger et possible caractérisation d’une faute grave
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable