Conditions de responsabilité du maître de l’ouvrage – immixtion
Cass. 3e civ., 21 janvier 2015, n°13-25.268
Un marchand de biens a confié à un entrepreneur un marché de travaux portant sur le gros œuvre et le second œuvre d’une maison d’habitation, se réservant la conception et l’exécution du lot « cloisons sèches et doublage des murs périphériques« . A la suite de la vente de la maison, les acquéreurs, se plaignant d’humidité en partie basse des cloisons, ont assigné le vendeur et l’entrepreneur principal en responsabilité.
La cour d’appel de Lyon a condamné l’entrepreneur principal à garantir intégralement le marchand de biens des condamnations prononcées à son encontre, au motif qu’il ne disposait pas de compétences notoires en matière de construction, n’était pas intervenu dans les travaux de gros œuvre et n’avait pas de mission de contrôle ni de coordination des entreprises.
La Cour de cassation vient de confirmer cet arrêt en ce qu’il a considéré que le marchand de biens n’avait pas commis d’immixtion ou de faute ayant concouru à la réalisation des dommages allégués par les acquéreurs.
Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence actuelle en matière de cause exonératoire de responsabilité des constructeurs. L’immixtion fautive du maître d’ouvrage peut constituer une telle cause exonératoire de la responsabilité spéciale des constructeurs1 et de la responsabilité de droit commun2, si deux conditions cumulatives sont réunies.
D’une part, le fait doit être constitué par un acte d’immixtion caractérisée dans la conception ou la réalisation de l’ouvrage. Il a été jugé que ne constitue pas une immixtion du maître d’ouvrage le fait que celui-ci se soit réservé certains travaux comme le coulage d’une dalle, l’élévation de parpaings et la pose de bardages en bois, lors de la réalisation d’un hangar, dès lors que l’entrepreneur chargé de la construction a accepté sans réserve de se charger uniquement du reste des travaux3. Il en va de même a fortiori si les désordres ne sont pas imputables aux travaux que le maître d’ouvrage s’est réservé4. Au contraire, une immixtion a été retenue lorsque le maître d’ouvrage a imposé les plans de la construction5 ou lorsque le maître d’ouvrage a établi les plans et le dossier du permis de construire, a réalisé le terrassement et le remblai et a fourni les matériaux.
D’autre part, le fait doit émaner d’un maître d’ouvrage notoirement compétent. Il importe peu que le maître d’ouvrage ne soit pas en raison de sa profession notoirement compétent en matière de construction, dès lors que sa compétence technique est indiscutable6. Cette dernière doit être établie dans chaque cas particulier et ne peut être présumée, même pour un promoteur immobilier7.
Dans l’arrêt du 21 janvier 2015, ces conditions cumulatives constituant une immixtion fautive n’était pas réunies.
Notes
1 Cass. 3e civ., 14 novembre 2001, n°99-13.638
2 Cass. 3e civ., 6 mars 2002, n° 00-10.358
3 CA Rennes, 4e ch., 7 mai 2003, RG n°02-00307
4 Cass. 3e civ., 30 novembre 2004, n°03-10.497
5 Cass. 3e civ., 17 octobre 1972, n°71-11.847
6 Cass. 3e civ., 21 décembre 1982, n°81-16.289
7 Cass. 3e civ., 21 février 1984, n°82-15.337 – CA Paris, 19e ch. B, 14 juin 2001, RG n° 1995/02991
Auteurs
Aline Divo, avocat associée en matière de Droit Immobilier, Droit de la construction et Droit des baux.
Charlotte Félizot, avocat en matière de Contrats de l’Entreprise et Droit Immobilier.