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Conditions de l’exonération des dividendes versés aux sociétés mères

Il résulte des articles 145 et 216 du CGI que les sociétés mères qui remplissent un certain nombre de conditions peuvent retrancher de leur bénéfice imposable les produits de leurs filiales sous réserve d’une quote-part pour frais et charges de 5%.

Parmi les conditions exigées figurent l’obligation pour la mère de détenir une participation représentant 5% au moins du capital de la filiale et la nécessité de détenir la participation pendant un délai de deux ans. C’est l’interprétation de cette condition de détention des participations pendant deux ans qui pose problème dans l’affaire Technicolor commentée ci-après, et dont l’intérêt essentiel réside dans l’articulation entre le droit interne et la directive mères-filiales.

En voici les faits. La SA Thomson devenue Technicolor SA acquiert en 2000 une participation de 3,19% dans la société Canal + Technologie, qu’elle accroit par la suite jusqu’à détenir, en 2004, l’ensemble des titres de cette société. Elle perçoit, en 2004, un dividende de sa filiale désormais à 100% avant de revendre la moitié de sa participation en décembre 2004. Selon la société Technicolor SA, les dividendes reçus méritent d’être intégralement exonérés conformément aux articles 145 et 216 du CGI. L’administration n’est pas de cet avis et limite l’exonération aux seuls produits de titres effectivement conservés deux ans.

I. L’exonération mère-filiale s’applique-t-elle à l’ensemble des produits de la participation dès lors que le socle minimal de 5% de participation est détenu depuis au moins deux ans ?

La question posée dans cette affaire est la suivante : l’exonération s’applique-t-elle à l’ensemble des produits de la participation dès lors que le socle minimal de 5% de participation est détenu depuis au moins deux ans ou l’exonération est-elle limitée aux produits des seuls titres remplissant l’ensemble des conditions exigées ? La Cour administrative d’appel de Versailles (arrêt du 18 mars 2014 n°13VE00873 Société SA Technicolor) répond par un arrêt défavorable à la société, contrairement à la décision rendue précédemment par le Tribunal administratif de Versailles.

Les arguments en présence étaient les suivants :

  • Selon l’administration, suivie par la Cour, il ressort du texte clair des dispositions des articles 145 et 216 du CGI que le bénéfice du régime des sociétés mères est subordonné au respect, titre par titre, de chacune des trois conditions prévues aux paragraphes a, b et c du 1 de l’article 145 du CGI, l’une de ces conditions étant celle de la détention des titres pendant deux ans.
  • Selon la société, l’article 145 du CGI précité doit être lu à la lumière de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 concernant le régime des sociétés mères et filiales alors en vigueur (et dont les dispositions ont, sur ce point, été reprises par la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011 aujourd’hui applicable). Le texte européen prévoit que cette durée minimale de détention, lorsqu’elle est prévue, n’est imposée que pour la fraction des titres donnant droit à la qualité de société mère. L‘article 24 de la loi de finances rectificative pour 1991, lorsqu’il a opéré la transposition de la directive précitée en droit français, n’avait pas entendu à cette occasion traiter moins favorablement les opérations concernant uniquement des sociétés françaises (alors même qu’elles sont hors du champ de cette directive) que les opérations qui mettent en cause des sociétés d’Etats membres différents. Le traitement favorable applicable aux relations transfrontalières doit donc bénéficier aux distributions entre sociétés françaises.

Il reviendra au Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi, de trancher entre ces deux interprétations.

II. Les grilles d’analyse

Plusieurs grilles d’analyse sont possibles.

Le Conseil d’Etat pourrait décider que le texte français est parfaitement clair et donner en conséquence raison à l’administration. Cette interprétation aurait l’inconvénient majeur de rendre notre texte français contraire à la directive dans les hypothèses de distribution transfrontalières tout en laissant subsister une condition de conservation de l’ensemble des titres générateurs de dividendes dans les situations purement internes. Il en résulterait une discrimination à rebours frappant les sociétés mères dont les filiales sont françaises.

Mais le Conseil d’Etat pourrait, en sens contraire, s’inscrire dans la continuité de sa décision « Société civile Participasanh » du 20 février 2012 (n°321224). Dans cette affaire relative à une distribution de dividendes entre deux sociétés françaises, le Conseil d’Etat n’a pas hésité à viser la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 pour conclure que le législateur avait entendu exclure du bénéfice du régime fiscal des sociétés mères les sociétés qui ne détiennent que l’usufruit des titres dont elles perçoivent les produits. Une telle approche le conduirait à interpréter le droit interne à la lumière de la directive, ce qui conduirait à faire droit aux prétentions de la société Technicolor. Mais il n’est pas certain que cette méthodologie soit en ligne avec les développements les plus récents de la jurisprudence.

Une troisième voie pourrait conduire le Conseil d’Etat à faire application de la jurisprudence européenne « Leur-Bloem » (CJCE, 17 juillet 1997, aff. C-28/95) en acceptant d’interpréter le droit applicable à des situations purement internes à la lumière d’une directive lorsque certaines conditions sont réunies. Ces conditions ont été précisées par le Conseil d’Etat dans les décisions « SARL Méditerranée Automobiles » (CE 17 juin 2011 n°324392) et « Ambulances de France » (CE, 30 janvier 2013 n°346683, voir Mois fiscal février 2013 p.8). Trois conditions cumulatives sont exigées du Conseil d’Etat. La première condition est que la loi nationale ait été prise pour la transposition de la directive invoquée; la seconde est que le législateur n’ait pas entendu introduire un traitement différent pour les opérations purement internes visées par cette loi par rapport aux situations transfrontalières européennes ; enfin, le Conseil d’Etat n’accepte d’interpréter la loi nationale à la lumière de la directive que pour autant qu’il y ait lieu à interprétation, c’est-à-dire lorsque le texte français n’est pas clair.

III. Si le texte français n’est pas clair, peut-on s’appuyer sur le texte de la directive ?

Il est difficile de prédire quelle pourrait être la position du Conseil d’Etat sur la question de la clarté des articles 145 et 216 du CGI. Il nous semble cependant qu’existent de sérieux arguments pour soutenir que l’articulation entre ces articles n’est pas intrinsèquement claire et supporte une lecture alternative à celle faite par la Cour administrative d’appel de Versailles. En effet, une société désireuse de bénéficier du régime de l’article 216 doit détenir « des participations » éligibles. Parmi les critères d’éligibilité figurent des conditions de seuil de détention. Il n’est donc pas déraisonnable de soutenir que les « titres de participation » auxquels fait référence – sans les définir – l’article 145 du CGI sont les titres qui forment le socle de la participation éligible et qui donnent accès au régime des sociétés mères. Dès lors, l’exigence de conservation de durée formulée par le c du 1 de l’article 145 ne s’appliquerait qu’à ces titres « socle », comme l’a d’ailleurs relevé le rapporteur public Franck Locatelli dont les conclusions n’ont pas été suivies par la Cour d’appel de Versailles.

Si l’on retient comme hypothèse que les textes en cause ne sont pas clairs, alors le Conseil d’Etat devra se reporter aux travaux parlementaires qui ont transposé en droit français la directive mère-filiale (article 24 de la loi de finances rectificative pour 1991). L’article qui traite de cette transposition ne traitait, en principe, que de l’« introduction en droit interne des dispositions de la directive communautaire sur le régime des sociétés mères et filiales relatives à la retenue à la source sur dividendes ». Mais les travaux préparatoires de ce texte prouvent que la volonté de transposition était plus ambitieuse et que, si la loi ne cite que les retenues à la source sur dividendes, alors qu’on sait que la directive 90/435 du 23 juillet 1990 avait également prévu le principe d’une exonération des dividendes reçus de filiales, c’est que le législateur français n’a pas estimé utile de réviser l’article 145 du CGI, selon lui déjà conforme à la directive. On se reportera utilement au rapport de M. Richard au nom de la Commission des finances de l’Assemblée nationale (n°2382), selon lequel « les dispositions de l’article 4 de la directive n’ont pas à faire l’objet d’une introduction en droit interne » et celui de M. Chinaud au Sénat (n° 175) qui précise que, « institué par les articles 145 et 216 du CGI, le régime mère-fille assure depuis longtemps une relative neutralité fiscale dans les relations financières entre sociétés « associées » et présente en outre des conditions d’accès moins restrictives que celles envisagées au plan européen ». Si l’article 145 n’a pas été modifié en 1991, c’est donc parce que le législateur a reconnu en lui la transposition anticipée du régime des sociétés mères.

La réponse à la troisième condition, celle qui veut que le législateur français ait entendu traiter indifféremment les situations purement nationales et celles qui impliquent des sociétés européennes se retrouve dans ces mêmes travaux parlementaires.

Au vu de ce qui précède, on attend avec beaucoup d’intérêt la décision du Conseil d’Etat.

 

Auteurs

Daniel Gutmann, avocat associé responsable de la doctrine fiscale.

Emmanuelle Féna-Lagueny, avocat Counsel en matière d’impôts directs au sein du département de doctrine fiscale.

 

Article paru dans le magazine Option Finance le 7 juillet 2014