Consentement des artistes interprètes versus droit des producteurs audiovisuels : épilogue d’un long contentieux
La signature par les artistes-interprètes de la feuille de présence indiquant que l’enregistrement est destiné à être utilisé pour la bande sonore d’une œuvre audiovisuelle constitue un contrat au sens de l’article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), emportant cession des droits voisins au producteur.
Dans un arrêt de principe du 16 février 2018, la Cour de cassation a eu l’occasion de trancher un long débat judiciaire sur le régime des droits des musiciens-interprètes participant à une œuvre audiovisuelle concernant l’articulation entre les articles L.212-3 et L.212-4 du CPI (Cass. Plen., 16 février 2018, n°16-14.292).
Pour rappel, l’article L.212-3 impose en principe de recueillir l’autorisation écrite et spéciale de l’artiste-interprète pour la fixation, la reproduction et la communication au public de sa prestation. Toutefois, pour assurer la sécurité juridique des producteurs audiovisuels, une présomption de cession des droits est prévue au bénéfice du producteur d’une œuvre audiovisuelle par l’article L.212-4 du même code : « la signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d’une œuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l’artiste-interprète ».
L’affaire opposait la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes (Spedidam) à l’Institut national de l’audiovisuel (INA), anciennement Office de radiodiffusion télévision française (ORTF). Reprochant à l’INA d’avoir commercialisé sous forme de vidéogrammes l’enregistrement de l’interprétation d’une œuvre de Molière « Le Bourgeois gentilhomme » diffusée en 1986, sans avoir recueilli l’autorisation préalable des 31 artistes-interprètes de la partie musicale du programme, la Spedidam a intenté une action sur le fondement de l’article L.212-3 du CPI afin d’obtenir un complément de rémunération pour les musiciens.
L’INA se prévalait quant à elle de l’article L.212-4 du même Code, estimant qu’en ayant signé, lors de l’enregistrement de la partie musicale du programme, la feuille de présence indiquant que l’enregistrement était destiné à être utilisé pour la bande sonore de l’œuvre audiovisuelle « Le Bourgeois gentilhomme », les artistes-interprètes avaient cédé leurs droits voisins permettant la commercialisation de l’œuvre sous forme de vidéogrammes.
Cassant un premier arrêt d’appel rendu en faveur de l’INA, la première chambre civile de la Cour de cassation avait posé le principe selon lequel « ne constitue pas un contrat conclu pour la réalisation d’une œuvre audiovisuelle le contrat souscrit par chacun des interprètes d’une composition musicale destinée à figurer dans la bande sonore de l’œuvre audiovisuelle » (Cass. 1re civ., 29 mai 2013, n°12-16.583).
Toutefois, la Cour d’appel de renvoi avait fait de la résistance, retenant que la feuille de présence signée à l’époque par les musiciens-interprètes valait contrat au sens de l’article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle. A l’appui de son jugement, la Cour d’appel soulignait que la feuille de présence « indiquait que l’enregistrement était destiné à être utilisé pour la bande sonore de l’œuvre audiovisuelle désignée dans la rubrique ‘titre de production’ par la mention ‘le Bourgeois gentilhomme’ », que cette bande était « réalisée par le service de production dramatique » de l’ORTF en vue d’une diffusion à la télévision et que les musiciens « étaient informés que la fixation de leur prestation était destinée à la réalisation d’une œuvre audiovisuelle ». La Cour d’appel relevait encore que « l’absence d’apparition à l’image des musiciens n’est pas de nature à exclure leur participation à la réalisation d’une œuvre audiovisuelle ».
Dans ce contexte, la Spedidam a formé un nouveau pourvoi en cassation devant l’Assemblée plénière de la Cour de cassation.
Le 16 février 2018, l’Assemblée plénière a rejeté ce pourvoi en approuvant la Cour d’appel de renvoi d’avoir conclu que la feuille de présence signée par les interprètes-musiciens constituait en espèce un contrat conclu avec le producteur entrant dans les prévisions de l’article L.212-4 du CPI. L’INA n’avait donc pas à solliciter une autorisation pour l’exploitation de l’œuvre sous une forme nouvelle.
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Anaïs Arnal, avocat, droit de la propriété intellectuelle