Consultation sur les ICO : vers une réglementation de consensus
Après avoir lancé fin 2017 une consultation publique sur les initial coin offerings, l’Autorité des marchés financiers (l’ « AMF ») vient de publier la synthèse des réponses. Un document essentiel puisqu’il permet de confirmer certaines orientations claires, par exemple en ce qui concerne la qualification juridique des tokens et le régime qui devrait leur être applicable.
L’Autorité des marchés financiers a rendu le 22 février dernier sa synthèse (la « Synthèse ») des réponses à la consultation sur les initial coin offerings (« ICO »). S’il est encore tôt pour considérer aboutie l’analyse juridique devant conduire à la mise en oeuvre d’une réglementation particulière applicable aux ICO, la synthèse permet de (i) confirmer certaines orientations claires quant à la qualification juridique des tokens et au régime qui devrait leur être applicable et (ii) de donner une grille de lecture du cadre réglementaire qui pourra leur être applicable.
Sans surprise, l’AMF distingue les tokens « qui octroient un droit d’usage à leur détenteur en leur permettant d’utiliser la technologie et/ou les services distribués par le promoteur d’ICO », qualifiés d’utility tokens et qui représentent la majorité des instruments observés par le régulateur, de ceux ayant « pour objet d’octroyer à leur détenteur des droits financiers ou des droits de vote… qui pourraient donner lieu, dans certains cas, au regard du droit en vigueur, à une qualification de ces titres en « instruments financiers ».
Une distinction fondamentale du type de jetons
Cette distinction, si elle paraît évidente, n’en est pas moins fondamentale en ce qu’elle confirme que (i) la qualification juridique d’un token dépend avant tout de la nature des droits attachés à l’instrument, (ii) que les tokens peuvent relever de la catégorie des instruments financiers mais (iii), ce qui est le plus important, que la qualification d’instrument financier est l’exception.
Les deux premiers constats sont sans surprise : le token (jeton) n’est qu’un support de droit, le régime juridique s’appliquant à lui dépend donc de la nature des droits qu’il porte. En outre, le fait qu’un token ne porte pas tous les droits attachés communément à un titre financier (une action par exemple) ne doit pas nécessairement conduire à l’exclusion de cette qualification, « l’analyse juridique d’un token ne [pouvant] être purement formelle ».
A cet égard, le dernier constat que la qualification d’instrument financier reste l’exception était attendu avec soulagement. En effet, certains auteurs ont pu considérer que la créance que détient le propriétaire du token associée à l’instrument lui-même pourrait conduire à une qualification de titres de créance, une catégorie particulière de titres financiers, quand bien même ladite créance ne porte pas sur une somme d’argent. En d’autres termes, une partie des commentateurs notaient que le fait qu’une créance ne soit pas monétaire ne constituait pas nécessairement un obstacle à la qualification de titres de créance. Si une telle analyse prospérait, alors la très grande majorité des tokens aurait relevé du cadre strict des titres financiers avec l’ensemble légal et réglementaire associé (directive prospectus, MIF 2, etc.). A ce stade, l’AMF semble considérer, sans tout de même exclure que cette analyse pourrait évoluer, quel notion de titre de créance renvoie à une créance de nature monétaire. Dès lors, l’AMF rappelle logiquement que le régime des biens divers est bien susceptible de s’appliquer aux ICO dont l’intermédiaire met en avant la possibilité d’un rendement financier direct ou indirect ayant un effet économique similaire.
Une précision de champ d’informations à communiquer
Mais au-delà, l’AMF fait sien le consensus des répondants selon lequel une réglementation spécifique aux ICO devrait être adaptée et que cette dernière devrait distinguer entre un régime obligatoire et un régime optionnel. A l’aune de cette conclusion de l’AMF, la synthèse permet également de dégager les points de consensus, très largement inspirés dans leur approche des principes de droit financier qui devraient servir de base à cette future réglementation. Tout d’abord, s’agissant du document d’information (whitepaper) sur les tokens et les obligations devant être respectées par les initiateurs de projet, le régulateur français dresse une liste des réponses en mettant en exergue un consensus sur le champ des informations devant être communiquées, à savoir : le projet lié à l’ICO et son évolution ; les droits conférés par le token ; la juridiction compétente en cas de litige ; et le traitement économique et comptable des fonds collectés dans le cadre de l’ICO.
Ce constat permet d’envisager que ces rubriques constitueront le socle minimum des informations devant figurer dans les documents d’ICO ne relevant pas d’un autre champ réglementaire (celui des instruments financiers par exemple) et sur lequel un régime, qu’il soit obligatoire ou optionnel, pourrait s’articuler.
Au-delà de l’ICO en tant que telle, la synthèse confirme la nécessité d’envisager la bonne conduite d’une opération d’offre de tokens tant du point de vue : des opérations antérieures à l’offre ; des règles devant entourer l’utilisation des fonds ; et des obligations d’information des acquéreurs postérieurement à l’offre.
Les opérations de prévente antérieures à l’offre ont fait l’objet de nombreux commentaires en ce qu’elles sont susceptibles de présenter des risques pour les investisseurs de perte de valeurs ou de manipulation du marché du token. Si différentes solutions sont envisagées, toutes s’inscrivent dans une recherche de transparence sur ces opérations.
Un cadre comptable et fiscal à déterminer
S’agissant du contrôle de l’utilisation des fonds levés, des solutions sur la base de séquestre pouvant prendre la forme de portefeuille électronique verrouillé par plusieurs signatures (« multisig wallet ») sont également évoquées. Il nous semble que d’autres solutions telles que la fiducie pourraient être imaginées. En tout état de cause, l’organisation des opérations postérieures à l’offre et la communication sur ces opérations apparaissent déterminantes et devraient être un point d’attention de la réglementation future. A ce titre, il paraît sage que les whitepapers en précisent clairement les conditions.
Par ailleurs, si l’AMF et les répondants sont d’avis que les aspects de lutte anti-blanchiment et connaissance des clients doivent être appréhendés, les modalités de cette appréhension restent à déterminer, d’autant que le régime juridique actuel des articles L. 561-2 et suivants du Code monétaire et financier ne couvre pas les émetteurs de tokens. Enfin, au-delà du cadre juridique et réglementaire, la synthèse fait état de la nécessité de déterminer également un cadre comptable et fiscal adapté à ces nouvelles opérations. A cet égard, l’attractivité et la pertinence du futur dispositif national d’encadrement des ICOs dépendront fortement de la manière dont la coordination et la convergence au plan international seront assurées. En effet, la transformation digitale du secteur bancaire et financier et le développement des cryptoactifs font l’objet de stratégies de régulation qui peuvent sensiblement diverger d’une juridiction à l’autre. Alors que certains Etats ciblent leurs actions sur la prévention des risques, la stabilité des marchés et la protection des investisseurs d’autres juridictions privilégient l’attractivité et la compétitivité de leurs places financières.
Dès lors, les conclusions des discussions sur les cryptoactifs fixées à l’agenda du prochain G 20 et du Financial stability board seront déterminantes. Elles feront écho aux réflexions européennes qui se précisent avec la publication du plan d’action Fintech de la Commission européenne le 8 mars 2018. Dans ce cadre, la Commission a annoncé le lancement d’un chantier au niveau du Financial stability board, de la Banque centrale européenne et des trois autorités européennes de régulation du secteur bancaire et financier. Ce travail collectif entre autorités permettra à la Commission de se déterminer dans le courant de l’année 2018 sur la forme d’actions qu’elle envisage pour adapter le cadre législatif et réglementaire aux évolutions et aux risques des cryptoactifs et des ICO.
Auteurs
Jérôme Sutour, avocat associé, Head of financial services
Karima Lachgar, Head of Market Intelligence & Regulatory Watch