Contentieux de la passation (1/2) : les référés
Les recours ouverts aux tiers à l’encontre d’un contrat de la commande publique ont connu des évolutions notables ces dernières années. Le point en deux fiches : cette semaine, les référés ; la semaine prochaine, les recours au fond.
Les procédures de référé1 sont les voies de recours les plus efficaces pour corriger rapidement des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Le référé précontractuel reste une arme redoutable, compte tenu des délais de jugement et des pouvoirs du juge. Le référé contractuel a, quant à  lui, uniquement vocation à pallier un empêchement illégitime à la possibilité de recourir au référé précontractuel et ne saurait constituer une voie de rattrapage.
Quel est le juge compétent en matière de référé ?
Il s’agit du président (ou le plus souvent d’un magistrat délégué) du tribunal administratif pour les contrats administratifs ou de l’un des tribunaux de grande instance (TGI) spécialisés pour les contrats de droit privé. Depuis les ordonnances n°2015-899 du 23 juillet 2015 et n°2016-65 du 29 janvier 2016, tous les marchés publics et concessions passés par des personnes morales de droit public constituent des contrats administratifs soumis au juge administratif. Les marchés publics ou concessions conclus par des « personnes morales de droit privé poursuivant une mission d’intérêt général » ou des « organismes de droit privé constitués par des pouvoirs adjudicateurs » ainsi que ces mêmes personnes ou les entreprises publiques agissant dans le secteur des réseaux constituent des contrats de droit privé relevant de la compétence du TGI.
Quels contrats peuvent faire l’objet d’un référé ?
Les référés précontractuel et contractuel ont un champ d’application matériel identique. Sont concernés tous les contrats administratifs ou de droit privé ayant pour objet « l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation » ou « la délégation d’un service public » (art. L. 551-1du Code de justice administrative).
Cette définition permet d’inclure tous les marchés publics, au sens de l’ordonnance du 23 juillet 2015, y compris les marchés de partenariat. Sont aussi concernés les contrats de concession au sens de l’ordonnance du 29 janvier 2016, dont les délégations de service public (DSP) pour les collectivités territoriales et les concessions d’aménagement.
Le référé précontractuel
Qui peut saisir le juge ?
Toute personne ayant un intérêt à  conclure le contrat : les candidats évincés, ainsi que toute personne qui a été empêchée de déposer une offre. Depuis la jurisprudence « Smirgeomes » (CE, 3 octobre 2008, n°305420), les manquements doivent être susceptibles, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, d’avoir lésé le requérant ou de risquer de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise.
Cette jurisprudence est appliquée tant devant le juge administratif que le juge judiciaire (Cass. com., 23 octobre 2012, n°11-23521).
Le juge recherche si le manquement a pu empêcher l’entreprise de répondre correctement ou si le classement final des offres aurait pu être différent si ce manquement n’avait pas été commis (CE, 8 juillet 2009, n°318187). En l’absence de candidature, il faut désormais démontrer que l’entreprise a été dissuadée d’en présenter une du fait des manquements invoqués (CE, 29 avril 2015, n°386748).
Quels délais pour exercer le référé?
Le référé précontractuel doit être engagé avant la signature du contrat. Afin de permettre son exercice, pour les marchés passés selon une procédure formalisée, un délai minimal (dit de standstill doit être respecté entre la date d’envoi de la notification du rejet d’une offre et la signature du contrat (art. 101 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016). Ce délai est de onze jours – seize jours en l’absence de transmission par voie électronique. Pour les marchés en procédure adaptée (Mapa), l’acheteur n’a toujours pas l’obligation de respecter un délai de standstill même s’il doit désormais notifier aux candidats le rejet de leur candidature ou de leur offre (art. 55 de l’ordonnance du 23 juillet 2015).
Un délai de standstill a été instauré pour les concessions, sauf en cas de procédure allégée (art. 29 du décret n°2016-86 du 1er février 2016).
Lorsqu’un référé est engagé, la signature du contrat est suspendue dès la saisine du tribunal et jusqu’à la notification de la décision à l’acheteur. Le requérant doit notifier sa requête à l’acheteur. A défaut, celui-ci peut signer le contrat et la voie du référé contractuel est fermée, sauf à ce qu’il ait été averti du dépôt du recours par le greffe du tribunal via notamment l’application « Télérecours » (CE, 17 octobre 2016, n°400791).
En procédure restreinte, on signalera une ordonnance estimant que le délai raisonnable de saisine du juge pour un candidat évincé de la phase de candidature ne saurait excéder trois mois après la date à laquelle il a eu pleinement connaissance de son éviction et ce, même si le contrat n’a pas encore été signé (ord. TA de la Réunion, 19 octobre 2016, n°1601022).
Pour les contrats de droit privé, le demandeur doit adresser une assignation à la partie adverse: il faut alors prendre garde à l’existence de formalités et de délais procéduraux nécessaires à la régularisation de l’assignation.
Quels moyens peuvent être invoqués devant le juge ?
Il s’agit de ceux tirés de manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Si le juge peut vérifier les motifs qui ont conduit à exclure ou à retenir une offre, il ne lui appartient pas de contrôler le mérite respectif des offres (CE, 31 mai 2010, n°333737). Il peut toutefois vérifier certains aspects de leur notation et vérifier que l’acheteur n’a pas dénaturé le contenu d’une offre (CE, 20 janvier 2016, n°394133).
Il n’entre pas dans l’office du juge du référé précontractuel d’ordonner la communication au requérant de documents administratifs issus de la procédure de passation, tels que le rapport d’analyse des offres ou les éléments de l’offre retenue qui sont couverts par le secret des affaires (CE, 6 mars 2009, n°321217; Cass. com., 6 décembre 2016, n°15-26414).
Toutefois, le succès d’une action en référé ne doit pas être exclusivement tributaire du bon vouloir des défendeurs. Aussi le juge peut, lorsqu’est invoqué le secret commercial et industriel, inviter la partie qui s’en prévaut à lui procurer les éclaircissements nécessaires sur la nature des pièces écartées et sur les raisons de leur exclusion. Si ce secret lui est opposé à tort, il peut enjoindre à cette partie de produire les pièces en cause et tirer les conséquences de son abstention (CE, 17 octobre 2016, n°400172).
En revanche, le respect du principe du contradictoire empêche lejuge de fonder sa décision sur le contenu d’un document couvert par le secret dont il aurait pu prendre connaissance notamment à l’audience, mais qui n’aurait pas été communiqué à l’autre partie (CE, 23 décembre 2016, n°405791).
Quels sont les pouvoirs du juge ?
Le juge statue, en principe, dans un délai de vingt jours. A un pouvoir adjudicateur (art. L. 551-2,1 du CJA), il peut enjoindre de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat ou annuler les décisions relatives à cette passation et supprimer les clauses irrégulières qui méconnaissent lesdites obligations. A l’égard des entités adjudicatrices, le juge dispose aussi de pouvoirs d’injonction et de suspension mais non de pouvoirs d’annulation, tout comme pour les marchés de défense passés par les pouvoirs adjudicateurs qui sont soumis à un régime spécifique (art. L. 551-2,II du CJA).
Le juge choisit librement parmi ces pouvoirs, en prenant en compte la nature du vice entachant la procédure de passation. La mesure prononcée doit être en lien avec le manquement, de sorte que le juge ne peut annuler une procédure qu’au stade pertinent (par exemple, à celui de la remise des offres si l’illégalité est liée à la mise en oeuvre des critères de choix de l’offre, par ailleurs légaux).
Le référé contractuel
Qui peut saisir le juge ?
Le référé contractuel est ouvert aux mêmes personnes que le référé précontractuel. Cependant, eu égard à l’interprétation stricte de l’intérêt à agir et des moyens invocables (CE, 19 janvier 2011, n°343435), la possibilité de recourir au référé contractuel est limitée.
En pratique, il n’est exerçable que dans la mesure où la possibilité de recourir au référé précontractuel a été empêchée. En substance, peuvent être invoquées : l’absence totale de publicité ou d’une publication au « Journal officiel de l’Union européenne » (JOUE) si celle-ci est obligatoire ; la violation du délai de standstill et celle de la suspension de la signature du contrat liée à l’exercice d’un référé précontractuel. Un référé contractuel introduit après un référé précontractuel peut être recevable, si la notification ne mentionne pas de délai de suspension (CE, 24 juin 2011,n°346665) ou si l’entreprise, bien qu’informée du rejet de son offre, ne l’est pas du délai de suspension (CE, 29 juin 2012, n°357617). Il en va de même lorsque cette notification indique un délai inférieur au délai légal minimal, alors même que le contrat aurait été finalement signé dans le respect de ce délai légal (CE, 17 juin 2015, n°388457).
En Mapa, la publication au JOUE d’un avis d’intention de conclure permet de fermer complètement la porte du référé contractuel (mais corrélativement d’accroître le risque de référé précontractuel). Tel n’est pas le cas en revanche si l’acheteur a seulement informé le candidat évincé de son intention de conclure (CE, 23 janvier 2017,n°401400).
Quels délais pour exercer un référé contractuel ?Â
Si le contrat a fait l’objet d’un avis d’attribution publié au JOUE, le référé doit être introduit dans un délai de trente et un jours à compter de cette publication. En l’absence de publication d’un tel avis, le délai est de six mois à compter du lendemain du jour de la conclusion du contrat.
Quels sont les pouvoirs du juge ?
Le juge statue, en principe, dans un délai d’un mois. Il peut ordonner la suspension de l’exécution du contrat dans l’attente de sa décision au fond. Il peut prononcer la nullité du contrat avec le cas échéant un effet différé, décider de mettre fin au contrat au jour où il statue, réduire sa durée ou prononcer des pénalités financières, par exemple en cas de violation du délai de standstill (TA Melun, 8 juin 2016, n°1604256), ces sanctions étant exclusives les unes des autres.
Ce qu’il faut retenir
- Le référé précontractuel demeure la voie de contestation la plus redoutable pour un candidat évincé, même si son efficacité s’avère limitée lorsque les défendeurs sont en droit de restreindre la communication de certaines informations utiles au requérant.
- Le juge du référé précontractuel peut être saisi par toute personne qui a un intérêt à conclure le contrat et qui est susceptible d’être lésée par les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Ce juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations, suspendre ou annuler l’exécution de toute décision relative à la passation du contrat ou encore supprimer certaines clauses ou prescriptions.
- Eu égard à l’interprétation stricte de l’intérêt à agir et des moyens invocables, la possibilité de recourir au référé contractuel est limitée : en pratique, il n’est exerçable que dans la mesure où la possibilité de recourir au référé précontractuel a été empêchée.
Note
1 Le référé-suspension susceptible d’accompagner certains recours au fond n’est pas ici examiné en raison de son caractère résiduel et en l’état peu efficace.
Auteurs
François Tenailleau, avocat associé en droit public des affaires
Thomas Carenzi, avocat en droit public des affaires