Contentieux pour risques psychosociaux : le nécessaire contrôle de l’objectivité des certificats médicaux

23 novembre 2016
L’importance du certificat médical comme instrument de preuve se retrouve, depuis longtemps, dans divers contentieux notamment familiaux ou d’assurances.
En droit du travail et dans le cadre des contentieux pour risques psychosociaux, notamment pour harcèlement moral, les salariés et leurs conseils doivent « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement » et, s’agissant de troubles dont l’origine peut être débattue, justifier de leur lien avec l’activité professionnelle. La pratique s’est dès lors répandue de demander au corps médical (médecin traitant ou médecin du travail) d’établir un certificat exposant les constatations médicales effectuées en précisant surtout leur caractère professionnel.
Or, le Code de déontologie médicale enjoint au médecin de rester dans son rôle qui est de rapporter ses propres constatations médicales (articles R 4127-76 et R 4127-28 du Code de la santé publique). Il ne lui appartient pas de se substituer au juge pour apprécier des questions qui ne sont pas de son ressort et/ou sur lesquelles il n’a pas connaissance de l’intégralité des informations. Cela est d’autant plus évident que son approche est souvent non-contradictoire. Le médecin n’a particulièrement pas à s’approprier les allégations de son patient et les recommandations du Conseil de l’ordre sont à cet égard très claires : « Ce que le médecin atteste dans un certificat doit correspondre, avec une scrupuleuse exactitude, aux faits qu’il a constatés lui-même. Si les dires du patient y sont rapportés, ce doit être au conditionnel ou entre guillemets pour distinguer ce qui est allégué par ce dernier, sous sa responsabilité, de ce qui est constaté par le médecin ».
Cependant, devant des demandes qui peuvent être pressantes, il arrive que des médecins et notamment des médecins de travail établissent des certificats contestables.
Or, la jurisprudence prend parfois en considération, pour reconnaître la responsabilité de l’employeur, des certificats médicaux affirmant, par exemple, sans aucune constatation personnelle du médecin, l’existence d’« un état anxio-dépressif réactionnel à un harcèlement dans le cadre du travail« 1.
Ceci a déclenché une contestation de certains employeurs devant le Conseil de l’Ordre.
Malgré le soutien institutionnel et médiatique de quelques syndicats
2, ces certificats qualifiés parfois « de complaisance » ont pu entraîner une sanction. Cela avait déjà été le cas, ces dernières années, devant les instances disciplinaires du premier degré.
La poursuite du contentieux par des médecins sanctionnés a récemment conduit à des décisions importantes, tant du Conseil de l’Ordre que du Conseil d’Etat.
La chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a ainsi confirmé un avertissement le 26 septembre 2016 dès lors que le médecin du travail ne connaissait pas le site d’exploitation concerné et n’avait pas été témoin des faits relatés, en rappelant qu’ :
« un médecin, lorsqu’il établit un certificat médical, doit se borner à faire état de constatations médicales qu’il a effectuées ; que, s’il peut rapporter les dires de son patient relatifs aux causes de l’affection, ou de la blessure, constatées, il doit veiller à ne pas se les approprier, alors surtout qu’il n’aurait pas été en mesure d’en vérifier la véracité ; que les missions spécifiques confiées aux médecins du travail n’ont, ni pour objet, ni pour effet, de les dispenser du respect de ces obligations » ;
De telles décisions peuvent ensuite faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat et celui-ci a fixé sa jurisprudence dans le même sens, dans un arrêt du 10 février 2016 :
« Considérant que la chambre disciplinaire nationale a relevé, par une appréciation souveraine, d’une part, que Mme F… reconnaissait que, « lorsqu’elle a établi le certificat d’inaptitude lors de la visite de reprise de travail du 31 août 2011, elle était consciente de l’irrégularité de ce certificat, dès lors que l’intéressée n’avait pas repris son travail mais qu’elle s’était sentie obligée de le rédiger en raison de la réaction de la salariée déclarant que, faute de ce certificat, il ne lui restait qu’à se suicider » et, d’autre part, que Mme F… admettait avoir établi ultérieurement des certificats d’inaptitude à partir des seuls dires de la salariée, sans analyse précise du poste de travail ni échange préalable avec les familles qui l’employaient ;
qu’en jugeant que Mme F… avait ainsi manqué à ses obligations déontologiques, la chambre disciplinaire nationale, qui a suffisamment motivé sa décision, a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ».
Il appartient, en conséquence, à tout médecin, y compris le médecin du travail, d’accomplir pleinement sa mission et quand tel est le cas, sa conduite doit être approuvée. Un blâme a ainsi été annulé par décision de l’Ordre des médecins du 26 juin 2014 dès lors que le médecin du travail avait une connaissance personnelle des conditions du travail de l’intéressé à travers les consultations dispensées à d’autres salariés l’ayant conduit à alerter l’employeur et à saisir par trois fois l’Inspecteur du travail.
Dans le cadre de l’application des lois Rebsamen et El Khomri, réformant notamment la médecine du travail, ces décisions ont également un intérêt tout particulier au regard du rôle du médecin du travail en matière d’avis d’inaptitude au travail.
A lire également : Certificat médical tendancieux ou de complaisance : comment réagir?, 7/09/2015
Notes
1 Cass. soc. 3 février 2016, RJS avril 2016, n°242. Mais à l’inverse, plusieurs arrêts écartent toute valeur probatoire de tels certificats (Cass. soc. 31 mars 2009 et cour d’appel de Paris, 15 janvier 2015).
2 Car il y aurait entre 100 et 200 plaintes annuelles dont la moitié concernerait des médecins de travail.
Auteur
Marie-Pierrre Schramm, avocat associée, spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social
Contentieux pour risques psychosociaux : le nécessaire contrôle de l’objectivité des certificats médicaux – Article paru dans Les Echos Business le 23 novembre 2016
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