Le contrat d’édition à l’ère du numérique
Le secteur du livre a été profondément réformé par l’ordonnance n°2014-1348 du 12 novembre 2014, visant à adapter les dispositions générales relatives au contrat d’édition pour y insérer un corpus de règles applicable au contrat d’édition numérique. Cette réforme, résultat d’un processus de négociation interprofessionnelle entamé de longue date, reprend pour l’essentiel les règles de l’accord-cadre signé le 21 mars 2013 entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition.
Les nouvelles dispositions, codifiées aux articles L.132-1 à L.132-17-8 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) produisent d’importantes conséquences sur l’ensemble du régime juridique du contrat d’édition.
Tout d’abord, l’article L.132-1 du CPI définissant le contrat d’édition a été complété afin d’y intégrer la notion de livre numérique. Il mentionne dorénavant la possibilité de « faire réaliser l’œuvre sous une forme numérique« . Sur le contenu du régime modifié, les points suivants méritent notamment d’être soulignés :
- Les nouveaux contrats d’édition doivent obligatoirement comporter deux parties distinctes, l’une ayant pour objet la cession des droits imprimés et l’autre celle des droits numériques, et ce à peine de nullité (L.132-17-1 du CPI) ;
- Le texte prévoit également une obligation pour l’éditeur de réaliser l’édition numérique dans les délais fixés par l’accord rendu obligatoire par arrêté en date du 10 décembre 20141, à défaut de quoi la cession des droits d’exploitation sous une forme numérique est résiliée de plein droit (L.132-17-5 du CPI) ;
- L’éditeur a désormais une obligation d’exploitation permanente et suivie de l’œuvre aussi bien imprimée que numérique qui, si elle n’est pas respectée, permet à l’auteur d’obtenir la résiliation de plein droit de la partie du contrat concernée, six mois après une mise en demeure de l’éditeur restée sans effet (L.132-17-2 du CPI)2. Sur ce point, il est intéressant de constater que l’accord-cadre du 21 mars 2013 suggérait une formulation qui n’ouvrait cette possibilité de résiliation que « postérieurement au délai de publication numérique applicable », formulation qui n’a pas été reprise par le texte de l’ordonnance ;
- Le contrat d’édition numérique doit par ailleurs garantir à l’auteur une rémunération dite « juste et équitable » aux modalités de calcul précisément décrites (L.132-17-6 du CPI), les conditions économiques de la cession des droits devant en tout état de cause faire l’objet d’une clause de réexamen (L.132-17-7 du CPI).
Enfin, l’ordonnance organise l’application dans le temps des règles nouvelles ainsi que leur effet sur les contrats conclus avant leur entrée en vigueur : l’obligation d’exploitation permanente et suivie s’applique ainsi d’office depuis le 10 mars 2015, et l’impératif d’une rémunération juste et équitable depuis le 1er mars 2015. Pour les contrats conclus postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance fixée au 1er décembre 2014, l’ensemble des nouvelles dispositions sont immédiatement applicables.
A noter : la règlementation applicable au prix de vente au public du livre numérique avait quant à elle d’ores et déjà été fixée par une loi n°2011-590 du 26 mai 2011, laquelle prévoit que « toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France est tenue de fixer un prix de vente au public pour tout type d’offre à l’unité ou groupée« , ce prix s’imposant « aux personnes proposant des offres de livres numériques aux acheteurs situés en France« 3.
Reste à voir désormais la mise en œuvre concrète que réserveront les éditeurs à ces textes.
Notes
2. L’obligation pour l’éditeur de réaliser l’édition « dans un délai fixé par les usages de la profession » résultait déjà de l’article L.132-11 du CPI, de même que la possibilité pour l’auteur de résilier de plein droit le contrat « lorsque, sur mise en demeure de l’auteur lui impartissant un délai convenable, l’éditeur n’a pas procédé à la publication de l’œuvre » qui découlait de l’article L.132-17 du CPI.
3. Cette loi est complétée par un décret n°2011-1499 du 10 novembre 2011 lequel précise notamment que « le contenu d’une offre peut être composé de tout ou partie d’un ou plusieurs livres numériques ainsi que de fonctionnalités associées« .
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Julie Tamba, avocat en droit de la Propriété Intellectuelle et des Nouvelles Technologies.