Contrat dit de chantier ou d’opération : consécration légale, développement et promotion selon l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017
15 janvier 2018
On a pu écrire que l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 avait pour objet de sécuriser et de rendre davantage prévisibles, sinon les relations de travail, au moins la rupture de ces dernières. Au-delà de cette ambition, ce sont assouplissement et fluidité du marché du travail qui sont recherchées par, notamment, l’élargissement à tous les secteurs d’activité de certaines formes particulières de contrat de travail dont le contrat de chantier ou encore d’opération.
Ce type de contrat de travail, dont le libellé peut surprendre, était déjà connu de certains secteurs professionnels tel que le bâtiment.
Un contrat de travail à durée indéterminée atypique est d’abord réservé à certains secteurs d’activité
Le contrat de chantier ou d’opération peut être défini comme un contrat de travail à durée indéterminée par lequel un employeur, qui exerce dans une branche d’activité où cet usage est constant, engage un salarié en précisant que cette embauche est strictement liée à la réalisation d’un ou plusieurs chantiers mais dont la durée n’est ni prévue ni nécessairement prévisible.
Sans être un contrat de travail à durée déterminée, ce contrat s’achève avec la réalisation de son objet.
Dès lors, le licenciement qui intervient, à la fin du ou des chantiers, revêt un caractère normal selon la pratique habituelle et l’exercice régulier de la profession et n’est pas soumis aux dispositions du Code du travail relatives au licenciement pour motif économique, sauf dérogations déterminées par convention ou accord collectif de travail.
Seules dispositions du Code du travail relatives au licenciement pour motif personnel avaient vocation à s’appliquer.
Si la jurisprudence considérait que la validité d’un licenciement prononcé dans ce contexte était subordonnée à la mention expresse dans le contrat de travail qu’il était conclu pour le ou les chantiers, elle a également pu juger que la rupture de ce contrat, pour motif personnel donc, était justifiée par l’achèvement des tâches pour lesquelles le salarié avait été embauché.
Curieusement, le Code du travail n’envisageait le contrat de chantier ou d’opération que sous l’angle de la rupture. Les dispositions légales n’évoquaient ce type de contrat qu’au sein d’une section pourvu d’un unique article L.1236-8 intitulé « Contrat conclu pour la durée d’un chantier », lequel définissait les conditions de rupture de ce contrat sans précision particulière sur son régime conduisant à se référer aux dispositions conventionnelles et aux usages en vigueur dans certains secteurs d’activités professionnels.
Une consécration dans le Code du travail qui en favorise le développement en l’ouvrant à tous les secteurs d’activité
Les articles 30 et 31 de l’ordonnance précitée élargissent le champ, définissent les conditions de recours au contrat de travail à durée indéterminée de chantier ou d’opération et sécurisent la rupture de ce type de contrat de travail.
Le recours à la branche ou aux usages pour définir les conditions de mise en œuvre du contrat de chantier
L’article 30 de l’ordonnance dispose qu’une convention ou un accord de branche étendu fixe les conditions dans lesquelles il est possible de recourir à un contrat conclu pour la durée d’un chantier ou d’une opération.
A défaut d’un tel accord, ce contrat peut être conclu dans les secteurs où son usage est habituel et conforme à l’exercice de la profession qui y recourt au 1er janvier 2017.
On constate immédiatement que tous les secteurs professionnels ont la possibilité de recourir au contrat de travail à durée indéterminée de chantier ou d’opération dès lors qu’un accord de branche étendu conclu sur ce thème le prévoit. Ce type de contrat n’est donc plus réservé à certains secteurs spécifiques dès lors que les partenaires souhaiteront qu’il s’applique à leur branche professionnelle dans le cadre d’un accord voué à l’extension.
On remarquera également que le texte de l’ordonnance fait de la branche le domaine exclusif de la négociation des accords définissant les termes et conditions du recours au contrat de chantier sans laisser à l’entreprise ou au groupe d’entreprises la possibilité de convenir d’un tel accord. Les conditions d’emploi et de travail des salariés sous contrat de chantier et en particulier la définition des garanties qui leur sont applicables relèvent donc du domaine exclusif de la branche comme les 12 autres thèmes définis par l’article L.2253-1 du Code du travail.
Cela étant, l’ordonnance ne met cependant pas fin aux usages existant au sein de secteurs d’activité où le recours au contrat de travail à durée indéterminée de chantier est habituel. Ces secteurs demeurent autorisés à y recourir, pour le cas où aucun accord de branche étendu ne serait conclu. Ainsi, à défaut d’accord étendu ou d’extension de l’accord existant, le contrat de travail à durée indéterminée de chantier pourra être conclu dans les secteurs où son usage est habituel et conforme à l’exercice régulier de la profession qui y recourt au 1er janvier 2017.
Un accord de branche au contenu minimum défini par l’article L.1223-9 nouveau du Code du travail
Si les partenaires sociaux de l’ensemble des secteurs professionnels ont toute latitude pour négocier de tels accords, un contenu minimum leur est imposé. L’accord doit prévoir, a minima :
- la taille des entreprises concernées ;
- les activités concernées ;
- les mesures d’information du salarié sur la nature de son contrat ;
- les contreparties en termes de rémunération et d’indemnité de licenciement accordées aux salariés ;
- les garanties en termes de formation pour les salariés concernés ;
- les modalités adaptées de rupture de ce contrat dans l’hypothèse où le chantier ou l’opération pour lequel ce contrat a été conclu ne peut pas se réaliser ou se termine de manière anticipée.
La consécration légale du terme du ou des chantiers ou de l’opération comme fondement de la rupture du contrat de chantier …
L’article L.1236-8 du Code du travail précisait le régime applicable en cas de rupture du contrat de travail à durée indéterminée de chantier sans pour autant se prononcer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail dans ce contexte.
L’article 31 de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 fait de la fin du chantier ou de la réalisation de l’opération une cause spécifique de licenciement puisqu’il modifie l’article L.1236-8 du Code du travail lequel dispose désormais que « la rupture du contrat de chantier ou d’opération qui intervient à la fin du chantier ou une fois l’opération réalisée repose sur une cause réelle et sérieuse ».
Il va cependant de soi que si la loi dispose que la fin du ou des chantiers ou des opérations constitue un motif valable de licenciement, une attention toute particulière devra être portée à la rédaction du contrat de travail, lequel devra, à notre sens, clairement mentionner le contexte dans lequel il s’inscrit outre le strict respect soit des dispositions conventionnelles étendues conclues en la matière ou encore les usages applicables au sein du secteur d’activité.
… auquel s’applique la procédure de licenciement pour motif personnel
Sur ce sujet, l’ordonnance n’innove guère et l’employeur prononçant un licenciement dans ce cadre devra suivre la procédure pour motif personnel tel que les règles relatives à l’entretien préalable, la notification du licenciement et le préavis tout comme la remise des documents au terme du contrat de travail.
Si la cause du licenciement sera difficilement contestable dès lors que les usages ou les dispositions d’accords collectifs étendus auront été respectés, le non-respect de la procédure pourra toujours être contesté ; la contestation et les sanctions des irrégularités du licenciement pour motif personnel étant applicables au cas particulier.
Ne nécessitant pas de décret d’application, les nouvelles dispositions relatives au contrat de travail à durée indéterminée de chantier sont applicables aux contrats conclus postérieurement à la publication de l’ordonnance n°2017-1387, soit donc à partir du 24 septembre 2017.
Auteur
Vincent Delage, avocat associé, droit social
Contrat dit de chantier ou d’opération : consécration légale, développement et promotion selon l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 – Article paru dans Les Echos Exécutives le 8 janvier 2018
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