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Contrôle URSSAF : la Cour de cassation sanctionne pour la première fois le recours à l’abus de droit implicite

Contrôle URSSAF : la Cour de cassation sanctionne pour la première fois le recours à l’abus de droit implicite

Par trois arrêts en date du 16 février 2023 (Cass. soc., 16 février 2023, n° 21-17.207, n° 21-11.600 et n° 21-18.322), dont deux ont été suivis par notre cabinet, la Cour de cassation pose, pour la première fois, le principe qu’une URSSAF ne peut pas écarter un acte juridique constitutif d’un abus de droit, même implicite, sans respecter la procédure spécifique prévue par le Code de la sécurité sociale, sauf à encourir la nullité des opérations de contrôle et de recouvrement.

 

Ce faisant, la Cour de cassation transpose en droit social une solution ancienne, déjà retenue en matière fiscale par le juge administratif, consistant à sanctionner la pratique de l’abus de droit implicite.

 

Ces arrêts sont l’occasion de faire un point sur les notions d’abus de droit, d’abus de droit implicite ainsi que sur la position de la Cour de cassation et sa portée.

 

Brefs rappels : la procédure légale d’abus de droit et la pratique de l’abus de droit implicite

La procédure de sanction de l’abus de droit en matière de recouvrement des cotisations de sécurité sociale

La procédure d’abus de droit social, créée par la loi n°2009-526 du 12 mai 2009, est codifiée aux articles L.243-7-2 et R.243-60-1 et suivants du Code de la sécurité sociale (CSS).

 

Cette procédure permet aux URSSAF d’écarter des actes juridiques comme ne leur étant pas opposables :

 

    • soit en raison de leur caractère fictif ;
    • soit parce que, bien que licites, ces actes ont été conclus uniquement dans le but d’éluder ou d’atténuer les cotisations sociales dues.

 

Le constat d’un tel abus de droit autorise alors l’URSSAF à appliquer une pénalité égale à 20 % des cotisations et contributions dues.

 

Afin de contrebalancer l’éventualité d’une telle sanction, particulièrement lourde, cette procédure comporte certaines garanties procédurales pour permettre aux entreprises contrôlées de préserver leurs droits, notamment :

 

    • le contreseing obligatoire de la lettre d’observations par le directeur de l’URSSAF (CSS., art. R.240-60-3) ;
    • la saisine du comité des abus de droits à la demande du cotisant, en cas de désaccord sur les rectifications envisagées sur le fondement de l’abus de droit. À la suite de cette saisine, le comité rend un avis purement consultatif sur la situation reprochée, lequel décidera sur qui, de l’URSSAF ou du cotisant, reposera la charge de la preuve.

 

La pratique des URSSAF d’éluder cette procédure complexe par le recours implicite à la notion d’abus de droit

La complexité de la procédure de répression des abus de droit social conduit l’URSSAF, en pratique, à ne pas recourir explicitement à cette notion, quand bien même les faits reprochés aux entreprises contrôlées entreraient dans la définition de l’abus de droit.

 

Dans cette hypothèse, l’URSSAF peut préférer faire valoir implicitement l’existence d’un abus de droit du cotisant, sans pour autant respecter la procédure spécifique de l’article L.243-7-2 du Code de la sécurité sociale.

 

Les URSSAF considéraient en effet, jusqu’alors, que le recours à la procédure de l’abus de droit est purement facultatif.

 

Ce faisant, l’entreprise contrôlée est privée des garanties essentielles afférentes à cette procédure, de nature à lui permettre de s’expliquer et ainsi d’éviter une majoration du redressement.

 

C’est pourquoi, en matière fiscale, le juge administratif a choisi de sanctionner la pratique de l’abus de droit implicite de l’administration fiscale (CE, Ass. Plén., 21 juillet 1989 n°59970, Bendjador).

 

En droit de la sécurité sociale, la Cour de cassation ne s’était jamais prononcée jusqu’alors sur l’abus de droit implicite. Seules certaines juridictions du fond sanctionnaient la pratique de l’abus de droit implicite des URSSAF, tandis que d’autres s’y refusaient.

 

Dans ces trois décisions du 16 février 2023, la Cour de cassation sanctionne pour la première fois le recours, par les URSSAF, à la technique de l’abus de droit implicite.

 

Le principe posé par la Cour de cassation : la sanction de l’abus de droit implicite

Dans chacune de ces trois affaires, la Haute juridiction énonce un raisonnement identique, en deux temps, avant de l’appliquer spécifiquement aux faits d’espèce.

 

Dans un premier temps, la Cour de cassation rappelle, conformément aux dispositions légales, que les URSSAF ont la possibilité d’écarter, comme ne leur étant pas opposables, des actes constitutifs d’un abus de droit :

 

    • soit en raison de leur caractère fictif ;
    • soit parce qu’ils ont été inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les contributions et cotisations sociales.

 

Dans un deuxième temps, la Cour énonce, pour la première fois, le principe suivant lequel lorsqu’une URSSAF écarte un acte juridique dans les conditions susvisées :

 

    • elle se place nécessairement et implicitement sur le terrain de l’abus de droit et doit se conformer à la procédure prévue par les textes ;
    • et qu’à défaut de ce faire, les opérations de contrôle et celles, subséquentes, de recouvrement, sont entachées de nullité.

 

Reste alors à déterminer, dans chacune de ces affaires, comment la Cour caractérise l’existence d’un abus de droit invoqué de manière implicite par l’URSSAF.

 

Portée de la solution : caractérisation d’un abus de droit implicite et ses conséquences

Pour caractériser la notion d’abus de droit au sens des dispositions légales, la Cour de cassation se réfère, dans ces trois décisions, à la rédaction de la lettre d’observations adressée au cotisant à l’issue du contrôle.

 

Dans la première affaire (n°21-17.207), l’URSSAF reprochait à un club de rugby une manœuvre ayant consisté à rémunérer en partie l’un de ses joueurs sous la forme de versements d’honoraires pour droits à l’image à une société «en contrepartie de la prétendue exploitation de l’image individuelle du joueur».

 

La Cour d’appel avait considéré que l’URSSAF n’avait pas caractérisé un abus de droit dès lors que, suivant la lettre d’observations :

 

    • les termes utilisés ne permettaient pas de considérer que les inspecteurs du recouvrement avaient retenu l’existence d’un acte fictif ou inspiré par la volonté d’éluder les cotisations ou contributions sociales dues ;
    • la référence dans cette lettre aux «droits éludés» correspondait au constat que les cotisations et contributions sociales n’avaient pas été payées, ce qui est le cas de tout redressement.

 

La Cour de cassation, casse l’arrêt d’appel et considère au contraire que l’abus de droit implicite pour opérer le redressement est caractérisé dès lors que l’URSSAF avait écarté la convention litigieuse au motif qu’elle avait pour seul objet d’éluder le paiement des cotisations sociales.

 

Dans la deuxième affaire (n°21-11.600), l’URSSAF reprochait à la société le caractère fictif de procédures de licenciement et d’accords transactionnels postérieurs bénéficiant d’exonération des cotisations et contributions sociales pour une partie des indemnités.

 

La Cour d’appel avait annulé ce chef de redressement en considérant que :

 

    • l’URSSAF avait eu recours à la notion d’abus de droit dès lors qu’elle se référait explicitement à cette notion dans sa lettre d’observations ;
    • et donc qu’elle aurait dû recourir à la procédure afférente et, notamment, informer le cotisant de la possibilité de saisir le comité des abus de droits.

 

Au soutien de son pourvoi, l’URSSAF soutenait, notamment, qu’elle ne s’était pas placée sur le terrain de l’abus de droit dès lors qu’elle n’avait pas appliqué la pénalité de 20% des cotisations et contributions dues.

 

La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel et rejette ce raisonnement en considérant que l’URSSAF s’était implicitement placée sur le terrain de l’abus de droit, et ainsi que la procédure était irrégulière :

 

    • dès lors qu’elle avait écarté les actes litigieux en raison de leur caractère fictif ;
    • peu important qu’elle n’ait pas appliqué la pénalité égale à 20% prévue en cas d’abus de droit.

 

Dans la troisième affaire (n°21-18.322), l’URSSAF avait fondé son redressement sur un «habillage légal des ruptures» en relevant que les révocations des mandats sociaux et les licenciements constituaient des actes fictifs donnant lieu au versement de sommes indemnisant leur mise à l’écart de la société.

 

La Cour d’appel, estimant que ce chef de redressement était fondé sur un abus de droit, avait annulé ce chef de redressement à défaut pour l’URSSAF d’avoir respecté la procédure applicable.

 

Dans son pourvoi, l’URSSAF contestait cette décision en soutenant qu’elle ne s’était pas placée sur le terrain de l’abus de droit dès lors qu’elle n’avait pas appliqué la pénalité de 20% et que la procédure d’abus de droit ne pouvait plus être mise en œuvre faute pour le comité de disposer de membres actifs.

 

Rejetant cet argumentaire, la Cour de cassation considère que l’URSSAF s’était implicitement placée sur le terrain de l’abus de droit, après avoir écarté les actes litigieux en raison de leur caractère fictif, et donc que la procédure de redressement était irrégulière :

 

    • peu important que l’URSSAF n’ait pas appliqué la pénalité égale à 20% prévue en cas d’abus de droit ;
    • et alors que le comité des abus de droit était constitué à la date du contrôle.

 

Enfin, concernant la sanction de l’abus de droit implicite, la Cour de cassation précise expressément dans l’un de ses arrêts (n°21-11.600) que l’inobservation par l’URSSAF de la procédure prévue à l’article L.243-7-2 du CSS n’emporte la nullité que du seul chef de redressement opéré sur le fondement de l’abus de droit.

 

Ainsi, les juridictions de la sécurité sociale sanctionneront donc le recours à l’abus de droit implicite par les URSSAF comme en droit fiscal.

 

Néanmoins demeure en suspens la problématique de l’effectivité du recours au comité des abus de droit dès lors que celui-ci n’est plus actif puisque les mandats des membres de ce comité ont pris fin depuis le 12 janvier 2015, sans avoir été renouvelés.

 

Dans une réponse ministérielle du 7 avril 2020 (Rép. Min. à QE n°13983, JOAN du 7 avril 2020, p.2636), il est indiqué que le Gouvernement allait «solliciter les institutions composant le comité afin d’en nommer à nouveau les membres».

 

A ce jour, aucun arrêté de nomination n’a été publié.

 

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