Convention collective de branche applicable à un salarié plus d’un an après son transfert
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16 juillet 2024
Dans une décision datée du 28 février 2024 (n°22-18.369), la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler les règles applicables en matière de détermination de la convention collective applicable après un transfert au sens de l’article L.1224-1 du Code du travail.
L’occasion de refaire le point sur les conséquences d’un tel transfert sur le statut conventionnel applicable aux salariés transférés.
Les conséquences de l’application de l’article L.1224-1 du Code du travail sur le statut conventionnel applicable
Pour rappel, les conséquences d’un transfert d’entreprise au sens de l’article L.1224-1 du Code du travail, concernent, au premier chef, les relations individuelles de travail en ce que les contrats de travail des salariés concernés par le transfert sont automatiquement transférés sans possibilité pour les parties de s’y opposer ou de l’empêcher. Ces dispositions sont, en effet, d’ordre public.
Ensuite, les dispositions de l’article L.2261-14 du Code du travail prévoient qu’en cas de fusion, cession etc., les accords collectifs sont mis en cause. Ils continuent provisoirement à produire effet jusqu’à l’entrée en vigueur de la convention ou de l’accord qui leur est substitué et, à défaut d’un tel accord, pendant une durée d’un an à compter de l’expiration du délai de préavis prévu à l’article L.2261-9 du Code du travail (d’une durée de 3 mois), à moins qu’une clause ne prévoie une durée supérieure, soit au total pendant une durée de 15 mois minimum.
A défaut d’accord de substitution, les salariés transférés bénéficient d’une garantie de rémunération dont le montant annuel, ne peut être inférieur à la rémunération versée en application de la convention ou de l’accord mis en cause, lors des 12 derniers mois.
Les spécificités en matière de convention collective de branche
Ces règles, qui ne sont pas sans poser de difficultés pratiques et ont donné lieu à de nombreux contentieux, valent également s’agissant de la convention collective de branche applicable.
A cet égard, deux situations sont possibles :
⇒ soit l’entreprise qui reprend l’activité est soumise à la même convention collective de branche : dans ce cas, il n’y a pas de changement pour le salarié qui continue à en bénéficier ;
⇒ soit l’entreprise qui reprend l’activité relève d’une convention collective de branche différente : dans ce cas, l’ancienne convention collective des salariés transférés sera mise en cause automatiquement et continuera à s’appliquer pendant 15 mois.
Dispositions conventionnelles applicables pendant la période de survie provisoire
La question qui se pose est de savoir quelle convention collective de branche l’employeur doit appliquer pendant la période de survie provisoire.
En effet, la convention collective initialement applicable continue à s’appliquer pendant un délai d’un an suivant la fin du préavis de mise en cause, soit 15 mois au total.
Toutefois, selon la jurisprudence, les salariés transférés peuvent aussi, dès le transfert de leur contrat de travail, invoquer les conventions et accords collectifs applicables chez le nouvel employeur.
En conséquence, ils peuvent donc continuer, pendant le délai de survie provisoire, à bénéficier des dispositions plus avantageuses de la convention collective de branche applicable chez leur précédent employeur.
Le nouvel employeur est ainsi contraint de comparer les stipulations conventionnelles, pour déterminer, avantage par avantage, celui qui est globalement le plus favorable et en faire bénéficier les salariés transférés.
Convention collective de branche applicable à l’issue de la période de survie provisoire
Dans le cas d’espèce, une société est reprise par une autre en juillet 2013. Le contrat de travail du salarié concerné, qui occupait les fonctions de directeur technique, est alors transféré automatiquement à cette dernière en application de l’article L.1224-1 du Code du travail.
Le 30 janvier 2017, le salarié est licencié pour faute grave et saisit la juridiction prud’homale pour contester son licenciement et demander des rappels d’indemnités en application de la convention collective applicable à l’entreprise cédante.
En première instance, l’employeur est condamné à payer au salarié certaines sommes au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis sur le fondement des dispositions de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie, qui était celle applicable à l’entreprise cédante alors que le nouvel employeur applique, quant à lui, la CCN de la papeterie.
L’employeur interjette appel de la décision. La cour d’appel ne fait cependant pas droit à sa demande et considère que l’employeur ne pouvait appliquer une autre convention collective que celle figurant sur le contrat de travail du salarié qu’après avoir notifié la dénonciation de la convention initiale aux représentants du personnel et informé les salariés
Arguant du fait qu’en cas de transfert d’entreprise au sens de l’article L.1224-1 du Code du travail, les conventions et accords sont automatiquement mis en cause sans que le nouvel employeur ait à les dénoncer et à informer les salariés des conventions et accords collectifs nouvellement applicables, l’employeur forme un pourvoi en cassation.
L’employeur fait ainsi valoir qu’il résulte des dispositions légales que la convention collective nationale applicable est, et ce, depuis le terme du délai de 15 mois précité, celle de la papeterie et que les indemnités précitées auraient donc dû être calculées sur la base des dispositions de cette convention.
La Cour de cassation confirme le raisonnement de l’employeur et casse l’arrêt d’appel en rappelant que «la convention applicable est celle dont relève l’activité principale exercée par l’employeur».
Elle ajoute que «lorsque l’application d’une convention ou d’un accord est mise en cause dans une entreprise déterminée, cette convention ou cet accord continue de produire effet jusqu’à l’entrée en vigueur de la convention ou de l’accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d’un an à compter de l’expiration du délai de préavis prévu à l’article L.2261-9 du Code du travail, sauf clause prévoyant une durée supérieure».
Elle conclut qu’en «statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que l’entreprise cessionnaire appliquait la convention collective de la papeterie et que le licenciement était intervenu plus d’un an après le transfert du contrat de travail, la cour d’appel, qui n’a pas retenu que l’application de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie avait été contractualisée, a violé les textes susvisés».
Cette solution est logique au regard des dispositions légales applicables. Elle conduit cependant à s’interroger sur la situation dans laquelle le contrat de travail prévoirait expressément la convention collective applicable et en ferait un élément contractuel essentiel de la relation de travail.
Dans ce cas, le salarié serait fondé à revendiquer l’application de la convention collective figurant dans son contrat de travail.
La plus grande prudence semble donc être de mise lors de la rédaction des contrats de travail, pour éviter que la mention de la convention collective applicable ait pour effet de contractualiser celle-ci et permette au salarié, même après une opération de transfert, d’en revendiquer l’application.
Bien que le changement de la convention collective de branche applicable soit ici automatique, il pourrait, toutefois, être utile pour le nouvel employeur de rappeler aux salariés celle qui est nouvellement applicable.
AUTEURS
Caroline FROGER-MICHON, Avocate associée, CMS Francis Lefebvre Avocats
Camille BAUMGARTEN, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats
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