Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Conventions fiscales internationales : vers un nouvel ordre fiscal international

Conventions fiscales internationales : vers un nouvel ordre fiscal international

La convention multilatérale pour la mise en œuvre du plan BEPS a pour objectif de faciliter l’application des dispositions du plan BEPS dans le cadre des conventions fiscales bilatérales. Sa mise en œuvre risque toutefois de nuire à la lisibilité des conventions fiscales, faute d’obligation de consolider les textes.

La convention multilatérale pour la mise en œuvre du plan BEPS1 est ouverte à la signature. Une première vague de signature est prévue début juin à l’OCDE. L’objet de cet instrument est de permettre une modification des conventions fiscales bilatérales sans passer par des négociations entre chacun des Etats parties. C’est la recherche de l’efficacité qui a motivé le choix de proposer une convention multilatérale permettant d’insérer notamment une clause anti abus générale et un arbitrage en matière de fiscalité (action 14 du plan BEPS).

Si l’objectif voulu est une application efficace, simple et rapide des dispositions du plan BEPS, sa mise en œuvre risque de s’accompagner dans un premier temps par une perte de lisibilité des conventions fiscales bilatérales.

Il est important donc de se familiariser avec la nouvelle convention multilatérale.

Une nouvelle terminologie

Pour déterminer l’impact de cette convention multilatérale, il convient de maitriser les principaux termes utilisés.

  • Chaque Etat devra notifier les « conventions couvertes » : ce sont les conventions qu’il a signées dont il indiquera qu’elles sont modifiées par la convention multilatérale. Il se peut donc que toutes les conventions fiscales signées par la France ne soient pas des conventions couvertes par exemple parce qu’elles intègrent déjà les modifications inspirées du plan BEPS (p.ex. convention franco colombienne).
  • Les juridictions contractantes désignent les parties aux conventions fiscales couvertes. Cette expression ne recoupe pas forcément les Etats signataires de la convention multilatérale appelées « les parties »
  • Pour chacune des conventions couvertes, chaque Etat devra indiquer les options de mise en œuvre que la convention multilatérale propose. Ces options concernent tant les normes obligatoires (appelées normes minimales) que facultatives du plan BEPS.
  • Les réserves : la convention multilatérale prévoit des cas où les Etats peuvent émettre une réserve, et une réserve peut ne pas concerner toutes les conventions fiscales couvertes mais seulement certaines d’entre elles.

Méthodologie

1. Il faut d’abord identifier si une même convention fiscale bilatérale fait partie de la liste des conventions couvertes par les 2 Etats parties à cette convention bilatérale.

La Convention multilatérale est composée de dispositions, regroupées en parties, dans lesquelles il convient de distinguer les normes minimales et les normes facultatives, les options possibles et les réserves autorisées. Les parties traitent des dispositifs hybrides (partie II), de l’utilisation abusive des conventions fiscales (Partie III qui fait partie des normes minimales), des mesures visant à éviter l’établissement stable (Partie IV), de l’amélioration du règlement des différents (Partie V qui fait partie des normes minimales) et enfin de l’Arbitrage (Partie VI qui est totalement optionnelle).

2. Il faudra ensuite identifier les notifications et les réserves.

Les notifications recouvrent les options offertes aux juridictions contractantes. Elles sont à signaler lors de la signature de la Convention à confirmer au dépôt de l’instrument de ratification. Elles peuvent être complétées ultérieurement au moyen d’une notification adressée au Dépositaire de la convention multilatérale et dont la prise d’effet est fixée à l’expiration d’une période de 6 mois. La partie VI relative à l’arbitrage, s’appliquera à une convention fiscale couverte donnée si les deux juridictions contractantes ont formulé une notification en ce sens.

Les réserves sont encadrées par la Convention multilatérale. Elles doivent être émises lors de la signature de la convention et confirmées lors du dépôt de l’instrument de ratification. La réserve devra indiquer les conventions fiscales visées. La réserve s’applique à l’Etat qui l’a émise et à l’autre juridiction signataire de la convention fiscale.

Langage et interprétation

La convention multilatérale est rédigée en français et en anglais (langues officielles de l’OCDE).

Une note explicative a été préparée dans le cadre d’un comité ad hoc qui a réuni 99 Etats et a été adoptée en même temps que le texte de la convention. A part pour la partie VI qui traite au fond de l’arbitrage, les autres dispositions détaillent la façon dont la Convention doit modifier les conventions fiscales existantes, le fond des dispositions étant commenté dans les rapports BEPS de l’OCDE.. Reste à déterminer si la note explicative peut servir de base à l’interprétation de la Convention au sens des dispositions de la Convention de Vienne sur les traités internationaux. Il nous semble que c’est bien plus dans les rapports BEPS qu’il conviendra de se plonger pour interpréter les dispositions au fond dès lors qu’elles auront été notifiées comme applicables à une convention fiscale couverte.

Aucune obligation de produire une version consolidée des conventions fiscales n’est prévue, ni au niveau de la convention modèle OCDE, ni au niveau des Etats. La lecture des conventions fiscales bilatérales va donc se compliquer grandement, car il faudra suivre les notifications par chacun des Etats contractants lors de la signature et de la ratification de la Convention multilatérale.

Clauses de compatibilité avec les dispositions existantes des conventions fiscales couvertes

La Convention propose 4 types de clauses de compatibilité dont les effets sont différents.

  1.  la disposition de la Convention s’applique à la place d’une disposition existante d’une convention fiscale couverte: elle remplace purement et simplement une disposition existante, mais ne s’applique pas en l’absence de disposition existante.
  2. la disposition de la Convention s’applique ou modifie une disposition existante: il faut qu’il y ait une disposition existante et que les juridictions contractantes aient fait le même choix pour que la disposition de la Convention s’applique.
  3. la disposition de la Convention s’applique en l’absence de disposition existante dans une convention fiscale couverte. Elle ne s’applique que si les juridictions contractantes ont fait le même choix et ont notifié l’absence de disposition dans la convention fiscale couverte.
  4. la disposition de la Convention s’applique à la place ou en l’absence de disposition existante dans la convention fiscale couverte : la disposition s’appliquera dans tous les cas, même si une juridiction oublie de notifier une disposition existante. La note explicative précise que ce type de clause reprend le principe ordinaire d’interprétation des traités de la Convention de Vienne selon lequel un traité antérieur ne s’applique que dans la mesure où ses dispositions sont compatibles avec celles du traité postérieur signé par les mêmes parties.

Date d’entrée en vigueur

Le dépositaire de la Convention multilatérale est le Secrétaire général de l’OCDE. C’est auprès de lui que les Etats déposeront leurs notifications et communiqueront sur l’état d’avancement des dispositions de la Convention multilatérale.

L’entrée en vigueur est subordonnée à la signature de la convention, puis à sa ratification. S’agissant d’une convention multilatérale, la procédure est complexe : la convention entrera en vigueur le 1er jour du mois suivant 3 mois calendaires à compter de la date de dépôt du 5e instrument de ratification. La convention entrera alors en vigueur dans les cinq premiers pays signataires. Par exemple, si le cinquième instrument de ratification est déposé le 15/02/2018, la convention entrera en vigueur entre les 5 premiers signataires le 01/06/2018. Par la suite, elle rentrera en vigueur pour chaque pays signataire le 1er jour du mois suivant la période de 3 mois à compter de la date de dépôt de son instrument de ratification.

La date de prise d’effet

L’article 35 distingue les impôts prélevés à la source et les autres impôts avec un délai d’1 an en général. Le délai dépendra pour chaque convention fiscale de la dernière date d’entrée en vigueur dans la juridiction contractante. Par exemple, si l’entrée en vigueur est le 1er mars 2018 dans l’une des juridictions contractantes et le 1er mars 2019 dans l’autre, la prise d’effet pour les impôts prélevés à la source sera le 01/01/2020. Pour les autres impôts, le délai de prise d’effet est en principe de 6 mois (01/09/2019 dans notre exemple), mais il va au 1er janvier de l’année suivante, si la période d’imposition correspond à l’année civile (soit le 01/01/2020 dans notre exemple). Déterminer la date de la prise d’effet sera complexe.

Toute Partie peut à tout moment se retirer de la Convention multilatérale en le notifiant au Dépositaire, avec prise d’effet à la date de réception de la notification par le Dépositaire.

En conclusion, il conviendra de passer par une lecture minutieuse, avec les les étapes suivantes : La convention fiscale est-elle couverte ? Y a-t-il des réserves émises par la France et/ou par le pays cocontractant ? Quelles sont les options prises par la France et par l’autre pays ? Sont-elles compatibles entre elles ? Les modifications s’ajoutent-elles aux dispositions existantes ou les remplacent-elles ? Quelles sont les ajouts par rapport au texte de la convention fiscale existante ?

En bref, pour chaque article de la convention, il faudra être certain d’avoir une version complète et à jour avant de se demander quel est l’impact sur tel ou tel schéma. Une lourdeur et une complexité issues du souci d’aller vite et bien, sans aller forcément dans le sens de l’intelligibilité de la norme…

Note

1 Base Erosion and Profit Shifting

Auteurs

Agnès de l’Estoile-Campi, avocat associée en fiscalité internationale et Conseiller du Commerce Extérieur de la France

Dimitar Hadjiveltchev, avocat spécialisé en fiscalité internationale

 

Conventions fiscales internationales : vers un nouvel ordre fiscal international – Article paru dans le magazine Option Finance le 2 mai 2017