Covid-19 et coûts salariaux : la négociation collective, levier indispensable pour les maîtriser
16 juillet 2020
La crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19 a contraint les entreprises à s’adapter en urgence et à prendre des mesures, pour mettre en œuvre, rapidement, les dispositifs indispensables aux besoins de leur activité. Pendant toute cette période, le dialogue social avec les partenaires sociaux a donc été maintenu, parfois à un rythme soutenu, (négociation d’accords collectifs, recours à l’activité partielle, mise en place du télétravail, etc.) et même favorisé par le recours à la visioconférence et à la conférence téléphonique.
Pour faire face aux défis qui les attendent dans le cadre de la reprise d’activité et adapter leurs coûts salariaux, le dialogue social doit se poursuivre et être préservé. Le dialogue social est indispensable dès lors que les différents dispositifs juridiques existants impliquent d’ailleurs, dans une large mesure, le recours à la négociation collective.
Deux types de leviers sont envisageables par les entreprises pour adapter leurs coûts salariaux, soit un processus de repli par des mesures de réductions d’effectifs, soit un processus de redéploiement par des mesures de réorganisation.
Premier levier : les mesures de réduction d’effectifs
Dans le cas de plans de licenciement collectif pour motif économique d’importance (au moins 10 salariés sur une même période de 30 jours, dans une entreprise d’au moins 50 salariés), le recours à la négociation collective devra être privilégié pour mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).
Le PSE peut comporter un plan de départ volontaire qui permettra aux salariés volontaires de faire acte de candidature et de bénéficier des mesures sociales d’accompagnement. La mise en œuvre de ce dispositif de plan de départ volontaire permet à l’entreprise de se rapprocher de son objectif de réduction de postes.
En pratique, la mise en œuvre d’un PSE représente un coût financier très important compte tenu des mesures sociales d’accompagnement auxquelles doit souscrire l’entreprise (tels que des actions de formations, le financement d’une cellule de reclassement, des aides financières au départ, des mesures de pré-retraite, la réactivation du bassin d’emploi, etc.). Les mesures du PSE sont appréciées en fonction des moyens dont disposent l’entreprise ou le groupe.
La mise en œuvre d’un PSE ne peut être envisagée qu’en l’absence de perspectives de reprise d’activité à court ou moyen terme et, lorsque l’entreprise, souhaite définir les postes qui seront supprimés et l’application de critères d’ordre.
En dehors de ces hypothèses, il est possible de recourir au dispositif de la rupture conventionnelle collective (RCC).
Un accord collectif validé par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Dirrecte) peut en effet déterminer le contenu d’une RCC, excluant tout licenciement, pour atteindre les objectifs de suppressions d’emplois, ou du nombre de départs envisagés.
L’accord, dont le contenu est fixé par les dispositions de l’article L.1237-19-1 du Code du travail, détermine notamment les modalités et conditions d’information du comité social et économique (CSE), le nombre maximal de départs envisagés, de suppressions d’emplois associées ainsi que la durée pendant laquelle les ruptures de contrat peuvent être engagées, les conditions que doit remplir le salarié pour en bénéficier, les modalités de présentation et d’examen des candidatures au départ, les critères de départage entre les potentiels candidats au départ et les modalités de suivi de la mise en œuvre effective de l’accord.
S’il peut être conclu en dehors de toute hypothèse de difficultés économiques de l’entreprise, l’existence de telles difficultés ne fait pas obstacle à la conclusion d’un accord de RCC.
Second levier : les mesures de réorganisation
L’entreprise peut mettre en place des mesures de réorganisation afin d’adapter son activité à ses nouveaux besoins.
Ces mesures peuvent porter sur :
-
- le recours aux heures supplémentaires et l’augmentation du contingent ;
-
- l’organisation du temps de travail avec un aménagement sur l’année ou sur un cycle de travail de plusieurs semaines ;
-
- la réduction du temps de travail ;
-
- la généralisation du recours au télétravail ;
-
- la mise en place d’un compte épargne temps ;
-
- de nouvelles modalités de rémunération individuelles par la suppression d’éléments de rémunération ou la création de nouvelles modalités de rémunération (ex : variabilisation, primes d’objectifs, de production, etc) ;
-
- un recours renforcé à l’épargne salariale (participation, intéressement, etc.),
-
- le versement d’une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ;
-
- le dispositif spécifique d’activité partielle (activité partielle de longue durée) ;
-
- la formation professionnelle ;
-
- la mobilité géographique et professionnelle ;
-
- la mise à disposition temporaire de salariés entre entreprises ;
-
- le recours au CDD et au travail temporaire.
Le succès de ces mesures de réorganisation nécessite un dialogue social de qualité et seront d’autant plus efficaces si elles s’inscrivent dans le cadre de la négociation d’un accord d’entreprise, qui implique une définition claire des objectifs et de la stratégie à déployer en accord avec les partenaires sociaux.
Ces mesures ont toutefois, dans la majorité des cas, un impact sur les contrats de travail.
Or, par principe, la modification du contrat de travail ne peut se faire qu’avec l’accord individuel du salarié.
Depuis 2017, le législateur a cependant renforcé la primauté de l’accord d’entreprise.
La négociation d’un accord de performance collective (APC) ayant pour objet de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi, permet de modifier les contrats de travail.
L’APC peut porter sur :
-
- l’aménagement de la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ;
-
- l’aménagement de la rémunération au sens de l’article L.3221-3 du Code du travail dans le respect des salaires minima hiérarchiques ;
-
- la détermination des conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.
Les stipulations de l’accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.
Le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l’application de l’accord. En cas de refus, l’entreprise peut prononcer le licenciement du salarié, en raison de ce refus, constitutif d’une cause réelle et sérieuse.
Au regard de son objet et de sa souplesse, ce dispositif présente de nombreux avantages pour accompagner la reprise d’activité, à la hausse, comme à la baisse, par la mise en œuvre de nouvelles mesures d’organisation de manière à maîtriser les coûts salariaux.
Il est toutefois nécessaire d’évaluer les impacts sociaux de l’APC en particulier s’agissant des éventuels licenciements susceptibles d’être prononcés en application de cet accord et par suite les soldes de tout compte devant être réglés par les entreprises (notamment au regard de la trésorerie disponible). De même et surtout, la mise en œuvre de cet accord pourrait conduire à déstabiliser les organisations par une perte de compétences de salariés expérimentés ou bénéficiant d’une grande ancienneté, et nécessiter la mise en place d’un vaste plan de recrutements.
Avec qui négocier ?
Toutes les entreprises peuvent négocier un accord collectif d’entreprise quel que soit leur effectif.
Dans les entreprises pourvues d’un ou de plusieurs délégués syndicaux, un accord collectif d’entreprise peut être négocié et conclu entre l’employeur et le (les) organisation(s) syndicale(s) représentative(s) dans l’entreprise. L’accord ne sera valable que :
-
- s’il est signé par un ou plusieurs syndicats majoritaires, c’est à dire ayant obtenu plus de 50% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections du CSE ;
-
- ou à défaut, s’il est signé par des syndicats représentatifs ayant obtenu au moins 30% des suffrages exprimés à ces mêmes élections, et qu’il est approuvé par les salariés à la majorité des suffrages.
En l’absence de délégué syndical dans l’entreprise, la négociation d’un accord d’entreprise est possible et peut porter, dans la majorité des cas, sur l’ensemble des thèmes ouverts à la négociation d’entreprise, ou dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif. La négociation de l’accord d’entreprise pourra, selon les situations, être engagée avec :
-
- un salarié mandaté par une organisation syndicale représentative au niveau de la branche dont relève l’entreprise, ou à défaut, au niveau national et interprofessionnel, élu du CSE ou non ;
-
- les membres élus titulaires du CSE, mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives au niveau de la branche dont relève l’entreprise, ou à défaut, au niveau national et interprofessionnel, ou non mandatés.
Dans les entreprises comptant moins de 11 salariés, et celles comprises entre 11 et 20 salariés en l’absence de membres du CSE, l’employeur soumet directement au personnel un projet d’accord d’entreprise qui ne sera valide que s’il est approuvé à la majorité des 2/3.
La période de restructuration qui fait suite à la crise sanitaire constitue pour les entreprises l’occasion de repenser une nouvelle organisation indispensable à la reprise d’activité et faire face, selon leur situation, à leurs difficultés ou aux nouveaux besoins identifiés. Il s’agira alors de définir un statut social « sur mesure », en associant les partenaires sociaux et/ou les salariés aux réflexions et aux projets d’entreprise, en suscitant leur adhésion à la stratégie qui sera arrêtée.
Un dialogue social de qualité ne peut que favoriser une meilleure adaptation des entreprises aux enjeux auxquels elles sont confrontées dans un contexte économique difficile.
Article publié dans les Echos Executives le 16/07/2020
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